Quelques récentes conversations m’ont donné l’idée de cet article.
Aujourd’hui, et depuis un peu plus de 10 ans, deux mesures font foi de tout lorsque vient le temps de considérer la géométrie d’un cadre de vélo: le « reach » (portée) et le « stack » (hauteur).

À en croire certains vendeurs en boutique cycliste, il ne suffit que de considérer ces deux mesures pour pouvoir choisir le bon cadre pour votre morphologie.
Ça nous vient du monde du Mtb ou, depuis assez longtemps, les formes de cadres sont très diverses, notamment afin d’équiper le vélo de suspensions (avant et arrière). Dans ce contexte, il faut reconnaitre que le stack et le reach sont utiles pour comparer les géométries d’un cadre à l’autre.
L’avènement progressif, dès le début des années 2000, des cadres carbone pour les vélos de route a multiplié les possibilités de designs. On trouve aujourd’hui des cadres « sloping » ou « semi-sloping ». Beaucoup de cadres présentent des formes de tubes très variables, question surtout de se distinguer de la concurrence (le Pinarello Dogma F12 en regorge!). Certains cadres sont même asymétriques.
Plus récemment, on joue également sur la longueur des haubans arrières, question de permettre l’usage de pneus ou de boyaux de section plus large (25, voire même 28mm).
Dans ce contexte, les mesures traditionnelles associées à la géométrie des cadres n’étaient plus tout à fait pertinentes, et le stack et le reach sont aujourd’hui les deux mesures les plus communes. L’époque des cadres acier avec tubes Reynolds (les fameux 753 ou 531), Columbus (les fameux SL ou SLX) ou encore Dedacciai est loin!
Croire cependant que le stack et le reach vous permettent de choisir la bonne géométrie de cadre adaptée à votre morphologie, je dis attention.
L’épreuve des faits
J’ai comparé les géométries annoncés de plusieurs vélos du World Tour où celles de vélos dans le vent actuellement, comme le Specialized Tarmac SL7 ou le Aethos, et bien d’autres. J’ai pris un vaste panel de 20 différents cadres, de BMC à Lapierre en passant par Pinarello, Bottecchia, Canyon, Giant, Trek, ou encore Merida, Ridley, ou Bianchi et Scott.
Ces comparaisons de géométries de 20 cadres très haut de gamme a été réalisée notamment grâce à l’excellent site geometry geeks. J’ai pris soin de comparer des pommes avec des pommes, soit tous des cadres présentant des douilles de direction comprises entre 13 et 14cm de longueur. Curieusement, la plupart des fabricants détaillaient ces cadres comme taille Small, mais certains les qualifiaient de Médium ou d’autres en taille 47 jusqu’à… 55 cm!
Les résultats sont clairs.
Prenez le Specialized Aethos et le Cervelo S5 par exemple: ils annoncent tous deux un reach de 384mm, pour un stack de 544 et 542mm, respectivement.
Autrement dit, ces deux géométries sont très, très proches apparemment, si on se fie à ces deux mesures phare.
Pourtant, la longueur réelle du tube horizontal de ces deux vélos est très différente: 540mm pour l’Aethos, contre 550mm pour le S5. Un centimètre complet de différence en longueur. C’est énorme!
L’explication? L’angle de recul de selle, bien évidemment. L’Aethos donne un angle de 74 degrés, et le S5 un angle de 73 degrés. Autrement dit, avec le S5, vous êtes beaucoup plus sur l’arrière du vélo, la distance entre le centre du tube vertical et le pédalier étant nettement plus importante que sur l’Aethos qui est un cadre plus « droit ».
Et ca, le reach et le stack ne vous en dit rien.
Autre exemple.
Le Cervelo R5 vous donne une longueur réelle du tube horizontal de 548mm. Le Canyon Aeroad CF SLX, 549mm. Un petit millimètre de différence.
Leur stack et leur reach? 548mm et 380mm dans le cas du R5, 539mm et 390mm pour le Aeroad. Très différents, en gros un centimètre complet!
L’angle de selle, encore une fois, explique la majeure partie de ces différences.
Dans ce contexte, quatre autres mesures sont pour moi fondamentales dans le choix d’une géométrie de cadre, car elles seront déterminantes dans l’équilibre des masses sur votre vélo, et donc la conduite de ce dernier, notamment à haute vitesse dans les descentes de col: l’angle de selle, la longueur réelle du tube horizontal, la hauteur de la douille de direction ainsi que la longueur des haubans arrières.
Négliger de considérer ces mesures, c’est s’exposer à rouler sur un vélo qui sera dangereux pour vous: soit un vélo trop instable pour vous car votre masse sera trop sur l’avant de la machine, vous « embarquant » rapidement dans des trajectoires difficiles et non-sécuritaires, soit un vélo « mort » sous vous, avec une direction flottante et des trajectoires imprécises, par manque de réactivité.
D’autres résultats m’ont surpris.
Cervelo par exemple propose tous ses cadres R5 ou S5 en recul de selle 73 degrés, qu’il s’agisse d’un cadre très petit en 48cm ou très grand en 61cm. Je ne comprends pas cette philosophie qui m’apparait peu judicieuse.
Les Cannondale SuperSix, Giant Propel et BMC TeamMachine SLR proposent des reach et des longueurs réelles de tube horizontal les plus courtes du marché: 52,8cm pour le Cannondale SuperSix, autrement dit un ultra-court cadre. Ce cadre est notamment celui vous proposant l’angle de selle le plus droit de la gamme de 20 vélos analysés: 74,3 degrés, autrement dit vous êtes pas mal au dessus de l’axe du pédalier. Sur ce cadre, votre masse corporelle sera forcément beaucoup plus sur l’avant du vélo que sur les autres.
Autre bizarrerie chez Pinarello, avec son Dogma F12: pour le cadre en douille de direction 13,1cm, on annonce un stack de 55,12mm, pour une longueur réelle de tube horizontal de 550mm. Autrement dit, un cadre presque « carré », 55 par 55, mais on le présente comme un cadre de taille… 54!
Enfin, les haubans arrières: le DeRosa SK Pininfarina propose des haubans d’une longueur de… 39,5cm. C’est très court ca! Le vélo sera forcément plus réactif, plus « agile » en virage, notamment si vous faites des critériums. En comparaison, le Canyon Ultimate CFR propose lui des haubans d’une longueur de… 41,5cm, soit pratiquement deux centimètres plus longs, un monde!
Bref, je pense qu’il faut être très prudent quand vous choisissez un nouveau vélo par rapport à sa géométrie, car elle affectera fortement son comportement sur la route, en particulier dans des sprints ou à haute vitesse lors de descentes techniques comme des cols avec de nombreux lacets. Se fier uniquement sur le stack ou le reach est une erreur selon moi, et il convient d’avoir bien en tête votre morphologie (longueur de vos jambes, fémurs, bras et avant-bras notamment, et rapports entre tout cela) pour bien choisir ce qu’il vous faut.
Après tout, c’est de votre sécurité dont il est question, et votre plaisir sur votre machine.