Parmi les conclusions de cette saison 2021, peut-être celle que le cyclisme ne tourne plus tout à fait rond.
Avec l’affaire récente de la tizanidine, on peut se demander si les autorités antidopage en font actuellement assez pour prévenir les dérives.
Déjà, des coureurs pro avaient exprimé leurs inquiétudes en 2020 devant la baisse drastique (baisse de 90%!) du nombre de contrôles hors-compétition. La situation serait revenue à la normale en 2021.
Les contrôles ne sont pas tout: encore faut-il qu’ils soient efficaces! Le sont-ils? Pas sûr! L’Affaire Armstrong nous a prouvé les limites de ces contrôles.
Marc Kluszczynski nous aidę aujourd’hui à y voir plus clair, et notamment du côté de l’Agence mondiale antidopage. Je le remercie encore de cette contribution!
Les limites de l’AMA (par Marc Kluszczynski)
Dans l’affaire de la tizanidine, l’AMA a une nouvelle fois montré des limites évidentes.
Non seulement la tizanidine n’est pas citée dans la liste des interdictions, mais la clonidine, substance dont elle dérive, est citée dans les exceptions des stimulants non spécifiés S6b. Elle est donc autorisée alors qu’elle favorise la sécrétion d’hormones de croissance et la mobilisation des lipides.
La trimétazidine, quant à elle, de stimulante, est maintenant au chapitre des modulateurs métaboliques (S4.4), alors qu’aucune preuve de son action n’existe.
Autre exemple, depuis plus de dix ans, on a assisté à la libéralisation des bronchodilatateurs et l’Agence mondiale antidopage (AMA) continue à nier leurs effets favorisant la performance.
Si les corticoïdes sont maintenant interdits en compétition pour toutes voies injectables, leur effet systémique quand ils sont administrés localement ont été reconnu avec 20 ans de retard.
Tous les ans, l’agence promet des études (comme avec les bronchodilatateurs) mais son faible budget annuel ne lui permet pas de les réaliser, ou alors elle n’en a pas la liberté puisque dépendante du Comité international olympique, son principal bailleur. Certains employés, exaspérés, ont démissionné.
Howman claque la porte
Alors qu’il avait occupé le poste de Directeur général de l’AMA de 2003 à juin 2016, David Howman, avocat néo-zélandais, avait déclaré le 16 avril 2019 lors d’une conférence des Partenaires pour un sport propre, que les méthodes de détection du dopage ont 50 ans de retard.
Selon lui, ces méthodes sont tout juste bonnes à attraper les « petits bricoleurs du dopage ». Lors de son passage à l’AMA, Howman avait subi les critiques de scientifiques s’étonnant du manque de volonté (ou de moyens) de l’agence pour innover. L’avocat, dans ses discours, citait « les progrès considérables réalisés par la communauté antidopage au cours des dernières années » (le 21 septembre 2015) ou encore « Notre travail consiste à faire en sorte que ceux qui empêchent les sportifs propres d’avoir un terrain de jeu équitable, soient expulsés du sport ».
Mais ces belles déclarations d’Howman n’étaient pas en adéquation avec les moyens très limités de l’AMA, moyens qui dépendent des pays signataires du code mondial antidopage et du CIO.
Le pire des constats concerne les transfusions sanguines autologues : alors que le Pr Björn Ekblom, pionnier de cette méthode dans le sport, déclarait qu’il est possible de les détecter, rien n’a été fait depuis 50 ans pour venir à bout de leur usage! Cela n’a jamais été un sujet prioritaire pour l’AMA depuis sa création en 1999, malgré leur probable généralisation dans tous les sports.
Pour le passeport sanguin, on sait qu’il peut être manipulé et truqué. Qui va le faire évoluer ?
Le 27 janvier 2019, Howman avait déjà mis la pression sur son ex-employeur, déclarant que Craig Reedie, président à l’époque, était plutôt au service de l’industrie du sport mondial qu’à la protection des athlètes propres. Il ne s’était pas gêné non plus pour critiquer Reedie et sa décision de réintégrer la RUSADA, alors que les critères exigés n’étaient pas atteints (reconnaissance des rapports Mc Laren et transmission des données du laboratoire de Moscou avant le 31 décembre 2018).
Devenu un des plus farouches critiques de l’AMA, Howman est devenu en avril 2017 le directeur de l’AIU (Athletics Integrity Unit) qui oeuvre de façon indépendante pour assainir l’athlétisme mondial. L’affaire n’est pas gagnée!
Howman avait reçu le renfort d’un autre éjecté de l’AMA, le Dr Alain Garnier
Le Dr Alain Garnier, ex-directeur médical de l’AMA dans les années 2000, déclarait en 2018 : « Les préoccupations de l’AMA ne sont pas de lutter contre le dopage, mais de le gérer afin qu’il ne nuise pas au sport ». Garnier, qui n’avait pas hésité à critiquer l’AMA en 2012 dans la conduite de l’affaire Armstrong, sera vite éjecté et remplacé par le Dr Olivier Rabin.
Garnier déclarait encore à propos de l’AMA : « Continuer à utiliser un système qui a fait la preuve de son inefficacité équivaut à tolérer le dopage ».
Avec hypocrisie, on continue de réaffirmer la nécessité de lutter contre le dopage, mais on n’agit que peu, ce qui convient à tout le monde, sauf encore une fois, aux sportifs propres, qui demeurent les premiers bernés.
Bref, l’AMA présente de nombreuses limites: ne vient-elle pas seulement de s’apercevoir que l’agence nationale antidopage d’Ukraine prévenait depuis 2012 les athlètes ukrainiens des contrôles inopinés qu’elle allait réaliser?



