Lequel est le mieux? Le programme d’entraînement polarisé, ou le programme « sweetspot », autrement dit, « au seuil »?
Le débat fait rage depuis que Dylan Johnson, ce jeune coach présent sur YouTube et que j’aime beaucoup en raison de son approche scientifique, a remis en question les programmes d’entraînement « sweetspot » proposés par des plateformes très populaires comme TrainerRoad ou Zwift.
Évidemment, TrainerRoad a répliqué en diffusant cette vidéo qui présente selon moi davantage de limites, notamment celle de ne critiquer qu’une seule étude, au lieu de s’en remettre à plusieurs comme le fait toujours Johnson dans ses vidéos.
Enfin peu importe, ce qui est sûr, c’est que le débat divise actuellement.
D’un côté, l’entraînement « sweetspot », essentiellement en zone 2 (selon une nomenclature en trois zones seulement) que certains appellent péjorativement la zone « Maîtres », sous-entendu que beaucoup de sportifs, notamment vieillissants, adoptent spontanément cette formule, rechignant aux efforts violents qu’impose un entraînement dit « polarisé ».
La zone sweetspot, c’est en effet cette zone certes inconfortable, mais pas extrêmement intense, située entre 75 et 85% de votre fréquence cardiaque maximale. En gros, ça lamine à petit feu car le but est d’accroitre la capacité de résistance long terme à la fatigue.
Certains programmes sur des plateformes populaires d’entraînement proposent jusqu’à cinq séances par semaine de sweetspot, et presqu’aucune à des intensités élevées ou très élevées, par exemple à VO2max ou à puissance supérieures. Épuisant, cinq séances sweetspot dans une semaine!
Le polarisé, c’est différent et assez simple: zone 3 environ 20% du temps lors de séances d’intervalles le plus souvent courts, le reste (environ 80%) en zone 1, molto piano. À son époque, Geneviève Jeanson s’entrainait déjà en polarisé.
Perso, j’ai adopté le polarisé depuis quelques années avec d’excellents résultats. Si je ne m’interdis pas une sortie « sweetspot » de temps en temps, fini pour moi ces longues sorties d’équipe à jouer à qui pisse le plus loin. Mes « testo rides » sont désormais solo, lors de séances d’intervalles courts bien structurés, et sur divers terrains pour pratiquer techniquement aussi: en danseuse, assis, etc. Le reste, ben du mollo discipliné, mais pas trop mollo non plus! J’y reviendrai.
Des études scientifiques récentes indiquent que cette formule polarisée est meilleure pour progresser que la formule « sweetspot ». Et, surprise: pour progresser partout, même en endurance!
Cette formule est également la plus rentable pour les athlètes amateurs qui ne disposent pas, comme les pros, de 20 voire 25 heures d’entrainement par semaine, ce qui permet de tout travailler à la fois: zone 1, zone 2 et zone 3.
Des partenaires d’entraînement proches ont des résultats encore plus spectaculaires que les miens avec le polarisé, en combinant muscu spécifique et entraînement par intervalles courts (EPIC): une condition physique excellente, en dépit d’un faible nombre d’heures d’entraînement par semaine (souvent moins que six).
J’ai voulu faire le point sur la question de l’entraînement polarisé versus le sweetspot, pour nous cyclistes amateurs.
Mais je ne suis pas un expert en sciences du sport.
Alors j’ai fait appel à un expert. L’un des meilleurs à mes yeux, reconnu internationalement: Guy Thibault.
Guy est un lecteur de La Flamme Rouge depuis longtemps, et a généreusement accepté de collaborer. Je l’en remercie.
Si Guy se passe de présentation, je le rappelle quand même: docteur en physiologie de l’exercice, directeur des sciences du sport à l’Institut national du sport du Québec et professeur associé à l’École de kinésiologie et des sciences de l’activité physique de l’Université de Montréal, Guy a mené de nombreuses recherches dans le domaine des sciences de l’entraînement depuis quatre décennies. Et publié de nombreux livres grand public également (Renaud-Bray, Decitre), ayant comme moi la vulgarisation à cœur.
Il est aussi le créateur de l’application 3-2-1 Go! qui dicte toutes mes séances d’intervalles depuis plusieurs années. En d’autres mots, Guy me fait souffrir! Et ça paye… Son graphique de planification des intervalles fait également école.
Guy est enfin l’auteur du site Nature-Humaine, très utile pour nous sportifs d’endurance.
Façon « Le moine et le philosophe », discussion entre le profane et l’expert au sujet de l’entraînement polarisé.
La Flamme Rouge: Guy, sweetspot ou polarisé?
Guy Thibault: Depuis longtemps Laurent, les scientifiques du sport cherchent à établir les intensités optimales des périodes d’effort lors de séances d’intervalles qui mèneraient vers les meilleurs améliorations des déterminants de performance en cyclisme comme dans d’autres sports d’endurance.
La réalité, c’est qu’il n’y a actuellement pas de consensus absolu sur ces séances, ni sur l’orchestration de ces séances dans une semaine d’entraînement. Les recherches récentes (depuis 2015 environ) pointent cependant vers la conclusion que l’entraînement polarisé améliore davantage les performances que l’entraînement au seuil, ou « sweetspot ».
LFR: Le polarisé donne-t-il de meilleurs résultats pour toutes les filières en cyclisme?
GT: C’est un des résultats les plus surprenants des recherches scientifiques récentes. Celles-ci indiquent en effet qu’un entraînement polarisé comprenant des séances où l’intensité des fractions d’effort est très élevée s’accompagne très rapidement d’améliorations importantes non seulement de la capacité anaérobie, mais également du VO2max, de la puissance aérobie maximale et même… de l’endurance!
On ne comprend pas parfaitement pourquoi, mais des recherches sont en cours pour y voir plus clair.
LFR: En polarisé, 20% du temps environ est consacré aux intervalles courts à haute ou très haute intensité. Je fais souvent des séances de quelques fractions d’effort de 30 secondes, selon ton application 3-2-1 Go. La science a-t-elle identifié des séances plus efficaces que d’autres?
GT: Pas vraiment Laurent. Seule certitude que la science nous apporte, il est de loin préférable d’engranger un grand nombre d’intervalles courts à forte intensité, plutôt que quelques intervalles longs à intensité moindre, par exemple à 75-80% de la PAM (puissance aérobie maximale).
De récentes recherches tout à fait fascinantes montrent même que les effets bénéfiques des fractions d’effort de seulement 10 secondes sont les mêmes que ceux induits par des fractions d’effort de 30 secondes. Certains y verront des liens avec le fameux Tabata.
En d’autres mots, du court, voire du très court, c’est très payant. Le but, c’est toujours d’accumuler un grand volume de travail à très haute intensité et pour cela, le décomposer en de nombreux intervalles courts entrecoupés de périodes de récupération est le meilleur moyen.
LFR: Un des défis du polarisé, c’est aussi de bien calibrer le 80% du temps passé en « zone 1 ». Pourrait-on y perdre son temps?
GT: Tout à fait Laurent! On sait qu’en deçà d’environ 50% de la PAM, les gains sont à peu près nuls, peu importe la durée. Pour être bénéfique, certains suggèrent que cette fraction de 80% du temps d’entraînement passée à faible intensité dans le modèle polarisé doit probablement se faire entre 55 et 75% de la PAM. Autrement dit, il y a quand même une intensité minimale requise pour tout ce temps passé en zone « 1 ».
J’irais même plus loin, simplement pour t’illustrer que davantage de travaux sont nécessaires pour bien comprendre: le 80% du temps en zone « 1 » est-il vraiment nécessaire?! On n’a pas encore vraiment testé d’autres modèles d’entraînement polarisé et des formules plus efficaces que le 80:20 existent peut-être.
LFR: Les besoins énergétiques, notamment en alimentation, sont-ils différents si on adopte un entraînement polarisé?
GT: À ma connaissance, il n’y a probablement pas de grandes différences ici, le polarisé ne nécessite pas d’adopter une alimentation différente des autres modèles d’entraînement. Chose intéressante cependant, les séances d’intervalles courts comporteraient des effets anorexiques. Je m’explique.
De retour d’une séance composée de pointes à haute ou très haute intensité, on ne ressent généralement pas la faim. Le corps continue cependant de « brûler » de l’énergie. Ainsi, certaines recherches suggèrent-elles qu’il est moins difficile de perdre du poids si l’on met l’accent sur des séances d’entraînement par intervalles où l’intensité des répétitions est très élevée.
LFR: C’est tout à fait ça Guy! Je n’ai jamais faim de retour de ces séances difficiles. Et je remarque que je récupère vite de ces séances.
GT: Je ne suis pas surpris Laurent! Des études nouvelles portent sur ce qu’on appelle les analyses métabolimiques. En gros, on analyse les urines d’athlètes 24h après divers types de séances pour vérifier les effets concrets sur divers marqueurs biologiques du corps.
Trouvailles? Les déchets sont généralement plus présents après des séances sweetspot, même 24h après. En d’autres mots, le sweetspot, ça magane!! On récupère mieux des intervalles courts, même s’ils sont faits à très hautes intensités (parfois même plus de 175% de la PAM).
LFR: La PAM, justement, ou « puissance aérobie maximale ». Je préfère de loin calibrer mes intervalles sur ce concept plutôt que sur celui, actuellement populaire, du « FTP », ou « Functional Threashold Power ».
GT: Et tu as raison! Le FTP, c’est un peu une « aberration commerciale » selon moi (et selon plusieurs autres entraineurs chevronnés). En réalité, le FTP n’est pas un seuil proprement dit. Vaut mieux une mesure sur une période brève; la PAM c’est la puissance moyenne critique sur seulement cinq minutes, selon moi plus utile pour calibrer des séances d’intervalles à très haute intensité.
En plus, le FTP, c’est très difficile à mesurer: quel athlète veut se soumettre à un protocole où il (elle) aura à rouler une heure à bloc? C’est un record de l’heure! La PAM, ça se mesure beaucoup mieux et plus rapidement, notamment en laboratoire, même si ça reste un cinq minutes très difficile.
Dans l’avenir (on y travaille à l’INS Québec), on élaborera les séances d’entraînement à partir de la « signature » de l’athlète, c’est-à-dire sa propre courbe des puissances critiques pour des durées de tests maximaux allant de quelques secondes à plusieurs minutes. Cette courbe diffère pour des athlètes d’un même niveau, et reflète leurs qualités physiques : VO2max, capacité anaérobie et endurance. On personnalisera ainsi bien mieux qu’en ne se basant que sur la PAM ou le FTP.
LFR: Très intéressant! Et pourtant, des plateformes populaires continuent d’offrir des programmes composés de beaucoup de séances « sweetspot » par semaine, sur la base du FTP.
GT: En effet. C’est peut-être parce que ces outils reposent sur des modèles de l’entraînement par intervalles qui sont imparfaits, et que peu d’entraîneurs maîtrisent à ce jour l’art de la programmation de séances comprenant des fractions d’effort d’intensité très élevée. Personnellement, je préconise certaines séances d’entraînement composées de 120 fractions d’effort de 15 secondes seulement!
Si plusieurs valorisent depuis longtemps l’entraînement sweetspot, c’est surtout parce qu’ils croient que c’est la meilleure façon de repousser le FTP, ce seuil qui n’en est pas un, vers le haut. Trop souvent, ce sont des séances où les fractions d’effort sont plutôt longues et trop peu nombreuses. Elles demandent beaucoup de motivation et peuvent générer une grande fatigue mentale tout autant que physique.
LFR: Wow. Le polarisé, c’est vraiment très différent et très intéressant par rapport à des séances de type Gimenez ou autres « Over-Under »!
GT: Le « over-under » Laurent, je ne trouve pas ça intéressant pour bâtir la condition physique d’un athlète : beaucoup trop difficile et épuisant mentalement et physiquement. Le but des périodes de récupération lors de séances d’intervalles, c’est justement de récupérer pour pouvoir enchaîner les répétitions sans baisser l’intensité. Il faut donc vraiment récupérer, à très, très faible intensité. Avec la formule « over-under » c’est impossible, car on travaille trop fort lors des récup.
Les over-under, c’est du très spécifique, utile pour un athlète déjà dans une très grande condition physique, par exemple un coureur qui voudrait bien performer sur des critériums comme les Mardis cyclistes de Lachine, ou il y a beaucoup de relances avec pics de puissance, suivies de périodes moins intenses certes, mais où il faut être capable de tenir une intensité élevée quand même, le tout sur une heure environ.
LFR: En conclusion Guy, il reste beaucoup de questions sans réponse dans le monde de la science du sport, mais on peut quand même affirmer aujourd’hui qu’avec du polarisé, on ne se trompe pas: on profite de gains plus intéressants qu’avec la formule « sweetspot ».
GT: Oui Laurent.
Mais si l’entraînement polarisé semble meilleur que l’entraînement au seuil, ce n’est peut-être pas parce qu’il est polarisé! C’est peut-être parce qu’il comprend des séances où les répétitions sont nombreuses et d’intensité élevée ou très élevée. Il faudra mener d’autres recherches pour mieux cerner la meilleure approche. Qui sait? elle pourrait être une répartition différente, par exemple 50-50 au lieu de 80-20!
En attendant, si je crois que toutes les intensités d’effort supérieures à 75 % de la PAM sont utiles, il faut préférer les séances comprenant un grand nombre de courtes répétitions à haute ou très haute intensité.
LFR: Merci Guy, et j’y retourne demain avec 24x30sec en côte!