L’article diffusé il y a deux semaines à propos d’une approche polarisée de l’entrainement, versus une approche dite « sweetspot », a suscité beaucoup d’intérêt et de réactions.
J’en profite pour remercier tous les lecteurs de La Flamme Rouge.
Guy a généreusement accepté de faire avec moi un petit suivi sur certaines questions posées, et de répondre à quelques questions supplémentaires qui me sont venues, notamment en lien avec le Tour de France qui est parti il y cinq jours.
La Flamme Rouge: On est déjà sur la 5e étape du Tour Guy, et l’un des favoris, Primoz Roglic, n’avait pas fait de courses depuis Liège-Bastogne-Liège il y a huit semaines, préférant s’entrainer seul du côté de Tignes. D’un point de vue de la science de l’entrainement, il a pris de gros risques?
Guy Thibault: Rien ne me permet de l’affirmer Laurent!
On n’a pas de preuves qu’il faut prendre part à des courses pour être en forme sur une autre course cycliste. Roglic est un des grands talents de ce sport (il aurait LA VO2max la plus élevée mesurée jusqu’à date) et il peut très bien être performant en juillet sans avoir couru en juin. Dommage qu’il se soit blessé sur une chute avant hier.
LFR: Je me surprend du cyclisme actuel, où des jeunes coureurs de 22, 23 ans comme Tadej Pogacar débarquent et gagnent rapidement les plus grandes courses du monde. Génération exceptionnelle ou il y a autre chose?
GT: Je me pose les mêmes questions ! Ce que je peux dire de mon expérience, c’est que le cyclisme européen est un sport de tradition, avec des méthodes d’entraînement qui sont transmises de générations de coureurs à d’autres générations. Or, la science de l’entrainement a beaucoup évolué depuis trois décennies, et il est tout à fait possible que de jeunes coureurs, bien entrainés depuis quelques années avec les méthodes modernes, soient plus performants que par le passé s’ils usaient de méthodes traditionnelles, souvent aujourd’hui dépassées.
LFR: On sait que plusieurs équipes ont intégré à leurs protocoles d’entrainement des dispositifs comme SuperSapiens permettant de mesurer en temps réel, y compris à l’effort, la glycémie des coureurs. On personnalise davantage encore l’entrainement?
GT: Ce nouveau dispositif dont on entend effectivement parler ces temps-ci pourrait permettre à l’équipe d’encadrement de bonifier ses recommandations en ce qui a trait à l’apport en glucides. Mais je ne vois pas d’intérêt à modifier l’entraînement selon que la glycémie est basse ou élevée. Si elle est basse, on cherchera à l’augmenter en ingérant davantage de glucides. Par ailleurs, il y a bien d’autres endroits où les potentiels d’amélioration sont meilleurs. On y reviendra!
LFR : Dernière question en lien direct avec le Tour Guy, devant les exploits de Mathieu Van Der Poel, hériter d’une VO2max élevée est la condition obligée pour pouvoir devenir un coureur professionnel World Tour?
GT : La génétique est importante Laurent, mais peut-être pas pour les raisons que tu crois!
La clé, c’est surtout l’entrainabilité de la VO2max. Les études démontrent qu’avec un entrainement bien optimisé, on peut augmenter assez significativement la VO2max d’un athlète, mais à une condition : que celui-ci réponde bien au stimuli d’entrainement. Certaines personnes vont voir une adaptation très rapide à un entrainement, d’autres moins. C’est surtout ça l’important : l’entrainabilité, autrement dit, comment vous réagissez à un entrainement.
La Flamme Rouge: Guy, faisons un retour sur le premier article publié ensemble. En période de fortes chaleurs comme on a connu encore récemment, recommandes-tu des entrainements par intervalles courts (EPIC) à très haute intensité, par exemple 140 % et plus de la PAM?
Guy Thibault: Cette question revient souvent Laurent.
Quand, à l’effort, le corps produit plus de chaleur qu’il n’en évacue, la température corporelle augmente. Si elle franchit un certain seuil, on risque le coup de chaleur, pas de doute. Moins fréquents à vélo qu’en course à pied, les coups de chaleur peuvent avoir de graves conséquences.
Mais à l’effort en conditions particulièrement chaudes, l’hyperthermie peut se produire tout autant pendant une séance d’entraînement continu que pendant une séance d’entrainement par intervalles.
Pour éviter une trop grande augmentation de la température corporelle, on recommande généralement de s’entraîner sur le plat et non pas en côte : à vitesse élevée, l’air a un plus grand effet refroidissant.
À noter qu’on s’acclimate très bien à la chaleur avec aussi peu que 7 à 10 jours d’entraînement à la chaleur.
À noter aussi que le stress cardiovasculaire imposé par la chaleur s’ajoute à celui imposé par l’effort proprement dit, d’où une amélioration souvent accentuée de l’aptitude aérobie avec l’entraînement à la chaleur.
On doit réduire la durée de l’échauffement avant les premières fractions d’effort d’une séance d’EPIC à la chaleur. Mieux vaut réduire l’intensité des répétitions plutôt que leur nombre, mais aux premiers signes de surchauffe, on doit mettre fin aux répétitions.
LFR: L’EPIC à très haute intensité est-il moins recommandé à mesure que l’âge avance?
GT: Hormis chez les personnes qui ont un problème de santé où l’entraînement à intensité élevée est non-indiqué (il faut voir ça avec un médecin), je ne vois aucune raison de se priver de séances d’entraînement par intervalles courts, même à un âge avancé.
Deux éléments changent au fil des ans passé disons la trentaine :
1) la performance, donc l’aptitude à développer des puissances très élevées pendant des efforts maximaux courts, moyens ou longs, diminue (mais passer d’un plan médiocre à un bon plan d’entraînement peut freiner cette diminution, ou même la renverser)
2) la récupération : alors que les jeunes cyclistes s’accommodent bien de trois ou quatre séances hebdomadaires de haut degré de difficulté (exemple des séances d’EPI), après un certain âge, on a besoin de deux voire trois ou même quatre jours de repos actif ou passif entre les séances intensives ou très longues.
Si on ressent un malaise (étourdissements, arythmie, etc.) en effectuant des séances où les brèves fractions d’effort sont d’une intensité extrêmement élevée, mieux vaut se limiter à l’EPI avec répétitions moins intenses.
LFR: Quand on fait des séances mollo de 60 à 90 min à jeun, est-ce qu’on «brûle» plus de graisse? Est-ce qu’on s’affûte davantage? Est-ce qu’on «booste» notre aptitude à faire de longues sorties (plus de 3 h)?
GT: L’entraînement à jeun a longtemps été considéré comme une technique efficace pour perdre du poids. Toutefois, des études récentes indiquent qu’au contraire, il est moins difficile de dépenser à l’entraînement une grande quantité de calories si l’on profite d’un apport en glucides. Bien qu’on utilise moins de lipides durant un entraînement précédé d’un apport en glucides, on en oxyde davantage au cours des heures qui suivent l’effort. Alors qu’il est bien documenté, ce phénomène est encore peu connu.
S’entraîner à jeun est aussi une pratique courante chez les cyclistes qui espèrent ainsi améliorer leur aptitude aérobie (endurance) et, donc, leurs performances. Toutefois, on s’est rarement penché sur les effets de l’entraînement à jeun sur la performance lors d’épreuves de longue durée.
On peut penser que l’entraînement à jeun stimule davantage l’oxydation des lipides et, qu’ainsi, il améliore l’aptitude à produire de l’énergie par oxydation des gras davantage que l’entraînement suivant un repas. Théoriquement, la stimulation accrue de l’oxydation des lipides devrait se traduire par une amélioration de la performance dans les épreuves de longue durée.
Dans l’étude Beneficial metabolic adaptations due to endurance exercise training in the fasted state (2011), on a divisé 20 hommes physiquement actifs en deux groupes, le premier s’entraînant à jeun, le second s’entraînant avec un apport en glucides suffisant, avant et pendant l’exercice. Tous les tests et séances d’entraînement ont été exécutés à vélo. Pendant six semaines, les deux groupes ont suivi un entraînement identique, comprenant deux séances de 60 minutes et deux séances de 90 minutes de pédalage à 70 % de leur consommation maximale d’oxygène (VO2max).
Au début puis à la fin des six semaines d’entraînement, tous les sujets ont effectué un test d’évaluation du VO2max, un contre-la-montre d’une heure, et un test à jeun de deux heures à intensité constante (environ 65 % du VO2max de départ).
Lors de l’exercice à jeun, l’oxydation totale des lipides était presque deux fois plus élevée.
Après les six semaines d’entraînement, le VO2max des 20 sujets avait augmenté de 9 %, leur performance au contre-la-montre de 8 % et la densité capillaire dans le muscle vaste latéral de 10 %. Seuls les sujets entraînés à jeun ont toutefois augmenté leur taux d’oxydation des lipides intramusculaires pendant l’exercice.
En effet, alors que le contenu en lipides intramusculaires n’a pas changé au cours des six semaines d’entraînement, ni dans un groupe, ni dans l’autre, leur utilisation a plus que doublé chez les sujets entraînés à jeun, alors qu’aucun changement n’a été observé chez les sujets de l’autre groupe.
Ainsi, pour une même intensité et un même volume d’entraînement, l’entraînement à jeun constituerait un meilleur stimulus que l’entraînement avec apport glucidique pour l’amélioration de la capacité oxydative musculaire.
Mais attention! Dans l’étude, ces adaptations ne se sont pas traduites par une amélioration supérieure de la performance chez les sujets entraînés à jeun.
Pendant les séances d’entraînement, les sujets ne tenaient qu’une intensité de 70 % de leur VO2max. Or, on sait que l’entraînement à des intensités supérieures permet d’obtenir des améliorations plus importantes de l’aptitude aérobie. Le hic, c’est que les cyclistes peuvent moins facilement tenir des intensités très élevées quand ils sont à jeun.
Tout compte fait, le crois que l’entraînement avec apport suffisant en glucides est plus avantageux, car il permet de maintenir des intensités de travail plus élevées ou plus longtemps, pour un même niveau de fatigue. Ainsi, cet avantage de l’entraînement plus intense s’oppose à l’avantage de l’entraînement à jeun (stimulation plus importante du métabolisme des lipides).
LFR: Que peut-on considérer comme intervalles « courts » versus « longs»?
GT: La fourchette des possibilités de durée de fractions d’effort est très vaste (de moins de 10 secondes à plus de 30 minutes!) et chaque spécialiste a sa nomenclature.
Personnellement, j’appelle «entraînement par intervalles courts» (EPIC) les séances où la durée des fractions d’effort est d’au maximum 20 secondes. Mais il n’y a pas d’inconvénient à considérer que les séances composées de fractions d’effort de 30 ou même 40 secondes sont des EPIC!
LFR: Et quels sont les meilleurs temps de récup si cela existe?
GT: Sauf exceptions, la durée de la récupération active ou passive entre les répétitions doit être suffisamment longue pour faciliter l’exécution du nombre prescrit de fractions d’effort à intensité cible. Mais les périodes de récupération ne doivent pas être longues au point d’allonger exagérément la séance.
Pour les séances d’EPIC et les séances de sprints (où les fractions d’effort sont réalisées à intensité très élevée), je recommande des périodes récupération à intensité très faible (ex. 30 % de la PAM – puissance maximale aérobie) de 2 à 5 minutes.
Pour les séances où le nombre de répétitions est particulièrement élevé, je recommande des récupérations plus courtes. Exemple : 1 minute de récupération si le nombre de répétitions de 60 à 120 secondes est supérieur à disons 25. Autre exemple : 15 secondes seulement de récupération pour une séance enchaînant plus de 50 répétitions de 15 secondes.
LFR: Doit-on considérer, en intervalles courts à très haute intensité, la réponse cardiaque comme un indicateur pour se « caler »?
GT: Non! La fréquence cardiaque est un très mauvais indice de l’intensité d’entraînement, surtout en EPI.
Ce qui suscite l’amélioration, c’est l’accumulation de périodes d’effort à haute intensité, pas les fréquences cardiaques élevées! En EPI, la fréquence cardiaque est généralement plutôt basse. On peut noter nos fréquences cardiaques pour référence future si l’on veut, mais il ne faut surtout pas s’y fier pour dicter l’intensité.
LFR: Ton avis sur la préparation idéale pour affronter de grands cols, à quel point de l’EPI avec fractions d’effort à haute intensité peut nous aider sur ce genre d’exercices plus particulier?
GT: Voilà une question à 1000 piastres comme on dit communément au Québec Laurent!
C’est une question que j’aborde dans mon avant-dernier livre Entraînement cardio, sports d’endurance et performance.
Chose certaine : un plan d’entraînement mettant l’accent sur des séances intermittentes donnera toujours de meilleurs résultats qu’un plan mettant l’accent sur l’entraînement continu.
Même si quelques recherches récentes suggèrent que l’entraînement polarisé améliore davantage la performance en sports dits d’endurance que l’entraînement comprenant surtout des séances où l’intensité se situe autour du seuil anaérobie (entre le premier et le second seuil ventilatoire, ou sweetspot), je crois que ces dernières séances ont leur place dans l’entraînement cycliste, à condition d’être bien composées.
Plutôt que de faire un petit nombre de longues fractions d’effort dans cette zone «sweetspot» (ex. 3 à 5 fois 10 à 30 min, avec 5-10 minutes de récupération active), je préconise l’inverse (ex. 25 à 35 fois 75 à 105 secondes, avec 45-75 secondes de récupération active.
Je crois qu’il est avantageux de mettre l’accent sur l’entraînement «au seuil» en début de saison, puis de passer au polarisé. D’ailleurs, des collègues italiens viennent de montrer (rapport de recherche pas encore publié) que cette séquence s’accompagne de plus grandes améliorations que la séquence inverse (passer du polarisé à l’entraînement «au seuil»).
LFR: Merci Guy, très éclairant, et on aura d’autres suites à ces échanges, notamment sur les gains possibles en condition physique grâce à certains travaux spécifiques à l’entrainement.