À l’occasion d’un séjour à Sherbrooke, j’ai partagé une petite sortie vélo avec Magdeleine Vallières-Mill, coureure professionnelle de la formation Team EF-Tibco-SVB.
L’occasion de faire le point sur sa saison 2022, et ce qui se prépare pour 2023.
La Flamme Rouge: On roule doucement aujourd’hui Mag?
Magdeleine: Certain Laurent, vraiment mollo, je suis en période de récupération en ce moment après une grosse saison.
LFR: En effet, on t’a vu sur tous les fronts cette saison.
Mag: J’ai cumulé 46 jours de courses, alors qu’au début de la saison il était prévu que j’en fasse plutôt une quinzaine. L’équipe a eu besoin de moi, et personnellement, j’aime mieux courir que de rester à la maison, donc ce n’était pas un problème. Mais j’ai senti en fin de saison que j’étais fatiguée et il est important en ce moment que je recharge les batteries.
LFR: Tu n’as que 21 ans, tu as vraiment beaucoup couru pour une néo-pro.
Mag: On peut dire ca. J’ai fait les Classiques en avril, puis après une petite coupure début juin, j’ai enchainé Giro, Tour, un déplacement en Australie pour les Mondiaux avec l’équipe canadienne, puis j’ai terminé ma saison par les Classiques italiennes de fin de saison et le Tour de Romandie en Suisse début octobre. J’ai tellement appris cette saison!
LFR: Cyclisme Canada a pu couvrir tes frais de déplacement en Australie?
Mag: Non, c’était à mes frais.
LFR: Tu as été contrainte à l’abandon lors de la course sur route.
Mag: Oui, une journée sans, où je n’avais vraiment pas de bonnes sensations et je n’ai pas pu contribué comme je l’aurais voulu. Ca arrive, peut-être le contre-coup d’une longue saison, du voyage dans des conditions parfois moins faciles, du décalage horaire. C’est toujours plate de ne pas pouvoir remplir le rôle que tu as au départ, d’épauler des filles comme Alison ou Simone. On avait une belle équipe chez les élites femmes.
LFR: Ton pic de forme, tu l’as atteint quand cette saison?
Mag: Je dirais au Giro, fin juin, je me sentais bien et j’avais des bonnes jambes. Il y avait 10 étapes, c’était long, ca roulait vite et j’ai pu remplir mon rôle d’équipière sur l’épreuve, j’y ai pris du plaisir. Et je termine mon premier grand tour!
LFR: Ce rôle d’équipière, parle-moi en un peu.
Mag: C’est tellement difficile Laurent! Beaucoup de gens ne se rendent pas compte comment c’est difficile d’être équipière dans une équipe professionnelle. Des fois, des filles sont brulées après 30 kilomètres seulement, car si tu dois couvrir 5, 6 attaques de suite pour l’équipe, tu te brûles c’est pas long. Tu dois parfois remonter des filles dans le peloton, gérer les bidons, rouler derrière des échappées, amener des sprints, aider une coéquipière à revenir d’un incident mécanique, il s’en passe des choses. J’ai beaucoup appris cette saison dans ce rôle, j’ai travaillé fort. Ca m’a permis aussi de progresser physiquement et tactiquement.
LFR: As-tu pu trouver ton créneau, ta spécialité?
Mag: J’en suis pas encore sûre. Plus jeune, je pouvais rouler assez vite dans les chronos, mais je n’ai pas vraiment travaillé ca cette saison. Je te dirais que je m’en sors assez bien sur des parcours accidentés, avec des petites bosses. Je suppose que ca voudrait dire que je suis plutôt une puncheuse. Chose certaine, pas une grimpeuse de grands cols, en tout cas pas encore!
LFR: Tu arrives dans le cyclisme féminin à un moment intéressant, alors que le sport explose, se professionnalise, créé des opportunités.
Mag: Oui, c’est vraiment bien de ce côté-là, c’est excitant. Sur le Tour de France, le public tant sur le bord des routes qu’à la télé était aussi nombreux que pour les hommes. C’était vraiment spécial de vivre ca, la présence du public nombreux donne de l’énergie. On a des conditions bien meilleures aussi, notamment ce salaire minimum imposé par l’UCI, qui nous permet d’exercer notre métier dans de bien meilleures conditions que les coureuses il y a encore quelques années, plus besoin de penser à comment on va manger le soir. On commence à voir une volonté d’ajuster les primes de victoire aussi pour avoir moins d’écart avec celles des hommes, on a des équipes mieux structurées avec des ressources, c’est l’fun.
LFR: Lorsque tu es à Gérone, ton camp de base en Europe, tu ne t’ennuies pas trop de Sherbrooke?
Mag: Non, ca va. Un peu quand même, c’est certain, mais je vis bien ca. Je suis bien installé à Gérone, je partage mon appartement avec une coéquipière, et puis mes amis(es) et ma famille, notamment mon père, me rendent visite régulièrement.
LFR: Ouin, ca va prendre un camp d’entrainement du Siboire-CCS à Gérone cet hiver!
Mag: Je peux en tout cas vous servir de guide là-bas! Ca serait cool.
LFR: Justement, parlons un peu de la saison prochaine.
Mag: Je reste chez Team EF, et tout ce que je sais c’est que je commencerai ma saison sur le Tour de Valence en février. Le programme précis n’a pas encore été élaboré, mais je pense que je ne ferai qu’un grand tour l’an prochain, pas deux. Nous avons un camp d’entrainement début décembre en Californie, je suppose que les choses commenceront à se préciser à ce moment.
LFR: Après, retour à Gérone pour l’hiver?
Mag: Oui, c’est trop difficile de rouler 20-25h par semaine au Québec durant l’hiver, et j’ai déjà essayé. À un moment donné, le fatbike a ses limites, comme le home-trainer. Le froid, la neige, pour nous qui devons beaucoup rouler et faire du spécifique, c’est pas évident à gérer au quotidien. Alors je serai plutôt à Gérone pour accumuler les kilomètres et préparer la saison 2023.
LFR: Tu travailles avec un entraineur, une nutritionniste?
Mag: Oui, c’est essentiel. Côté nutrition, il faut vraiment faire attention à ca, notamment en course. J’ai beaucoup appris de ce côté-là cette saison, savoir exactement ce que mon corps consomme à chaque heure de course et pouvoir manger ce qu’il faut. J’ai apporté plein d’ajustement sur par exemple la quantité de carbs que j’ingère en course, ca a fait une différence. Et puis j’ai aussi pris un peu de masse corporelle et ca m’aide.
LFR: Ton père ne s’en mêle pas trop?
Mag: Ha ha! Non, il est vraiment bon là-dedans!!
LFR: Tu vas donc laisser ton père et la boutique Qui Roule de Sherbrooke?
Mag: Oui, et des fois je me sens un peu mal, car c’est beaucoup de travail pour mon père. Je veux m’investir dans ce projet, je le fais le plus possible mais je dois aussi faire mon métier de coureuse professionnelle. J’en profite ces jours-ci pour l’aider le plus possible, définir la suite, les projets d’avenir, et puis je reste en contact.
LFR: Ton implication à long terme dans Qui Roule, c’est quoi?
Mag: Les plans actuels, c’est qu’après ma carrière je puisse reprendre le magasin, et continuer son développement. On a une vision large, celle de créer une communauté active à Sherbrooke, où ca bouge et ca roule en ce moment. Je veux faire partie de ce projet, et la boutique est un élément rassembleur à quelque part, le point de regroupement pour beaucoup de personnes que l’on souhaite rejoindre. On a de bons partenaires, la première année a été un franc succès, c’est vraiment un beau projet qui va encore beaucoup se développer je pense.
LFR: Justement, on est de retour à Qui Roule, c’était venteux aujourd’hui! Merci Mag, bonne route pour la suite des choses.