D’étranges colis sur le dernier Tour. L’équipe Bahrain-Victorious perquisitionnée. Des watts en hausse, de retour aux niveaux de l’ère Armstrong.
Des vers marins. De l’hémoglobine. Du plasma, mieux que les globules rouges.
Forcément, je me pose des questions.
J’ai voulu faire le point sur le dopage sanguin, 30 ans après l’arrivée de l’EPO au coeur du peloton pro.
Qui de mieux pour cela que Marc Kluszczynski, un collaborateur fidèle de ce site depuis des années?
Marc a gentiment accepté de m’aider à y voir plus clair sur les nouvelles techniques probables de dopage sanguin. Je lui ai demandé de ne pas m’épargner sur les détails techniques.
Je le remercie chaudement pour sa contribution à ces pages.
L’idée n’est pas d’être négatif face au cyclisme professionnel. Beaucoup de coureurs pro font certainement leur métier dans le respect des règles. Non, ils ne sont pas tous dopés. Et ceux qui le sont, le sont très probablement à échelle variable. Comme dans tout, il y a le comprimé vite avalé en vue de l’arrivée, et la cadillac du dopage sanguin qui implique une lourde logistique sur des mois.
Je veux juste être un observateur éclairé du cyclisme. Être au fait des avancées scientifiques médicales qui peuvent sauver des vies, la création par exemple d’un sang artificiel étant à placer dans ce registre. Mais il y a des effets pervers. L’EPO par exemple a été notamment créée pour venir en aide aux patients cancéreux après les traitements de chimio: noble cause! mais le produit a été détourné pour être utilisé comme dopant.
Premier article d’un dossier en deux temps. Demain, la suite, avec le Graal du dopage sanguin.
Où en est le dopage sanguin? par Marc Kluszczynski
Trente ans après la première utilisation présumée de l’EPO aux mondiaux de ski nordique de Lahti (Finlande) en 1989, le dopage sanguin est-il entré dans une nouvelle ère après la découverte d’hémoglobine lyophilisée (en poudre) dans les mallettes du Dr Mark Schmidt aux mondiaux de Seefeld (Autriche), encore en ski nordique, en février 2019 ? L’affaire Aderlass était lancée.
Il faut dire que depuis dix ans, les progrès dans la détection de l’EPO sont bien réels et il est de plus en plus risqué de l’utiliser.
Détectable dès 2000, l’EPO est, depuis, de plus en plus employée en microdoses, décelables que quelques heures. Le passeport sanguin, adopté par la plupart des fédérations internationales (et par l’UCI dès 2008) rendra le dopage sanguin un peu plus difficile, mais encore possible pour des sportifs n’hésitant pas à s’adjoindre le savoir-faire de spécialistes, tel le plus connu d’entre eux, le Dr Michele Ferrari.
Au sein de l’arsenal « classique », il reste aussi actuellement les transfusions sanguines autologues, toujours indétectables depuis leur première utilisation dès 1970 par les coureurs à pied suédois, finlandais et certains cyclistes professionnels des nations dominantes. Ces transfusions ne seront interdites qu’après les JO de Los Angeles 1984, où les cyclistes américains les avaient utilisées.
Mais la clé aujourd’hui, c’est de pouvoir contourner le passeport sanguin qui se focalise sur les variations des constantes des globules rouges. Les globules rouges contiennent à l’intérieur de leur membrane l’hémoglobine, formée de quatre sous-structures qui, chacune, fixe une molécule d’oxygène grâce à son atome de fer. Il existe aussi une petite quantité d’oxygène dissoute dans le plasma, donc à l’extérieur du globule rouge.
L’idée n’est pas nouvelle : l’industrie pharmaceutique cherche depuis les années 2000 à fabriquer un sang artificiel pour pallier la pénurie des donneurs et aux risques de la transfusion (transmissions de virus).
Ce fait prend encore davantage d’importance en période de pandémie virale comme celle de la COVID-19.
Dans l’affaire Aderlass, le procureur en charge de l’affaire, Kai Graber, a parlé d’hémoglobines humaines fabriquées par le laboratoire Merck et sa filiale Sigma-Aldrich : les produits H 7379 et H 0267.
Il pourrait s’agir de sub-unités d’hémoglobine humaine (qui comporte 4 chaînes protéiques appelées globines). L’hémoglobine humaine réticulée (ou Diaspirin cross linked Hb de Baxter) avait d’ailleurs déjà été utilisée dès 1996 dans les sports d’endurance à la dose de 50 mg/kg. Du point de vue des tricheurs, sa demi-vie de 2 heures était intéressante, malgré des effets indésirables à base de troubles du rythme cardiaque et d’hypertension artérielle.
Les tricheurs avaient donc déjà compris l’intérêt d’une hémoglobine dissoute dans le plasma : déjouer le passeport biologique puisque cette hémoglobine dans le plasma ne peut pas se fixer à l’intérieur du globule rouge qui en contient déjà.
Ces hémoglobines se présentent sous forme de poudre lyophilisée. Leur conservation est de plusieurs années à température ambiante alors que celle d’une poche de sang est de 7 à 8 semaines à 4°C, sachant que 1% des globules rouges sont détruits chaque jour par hémolyse.
Ces hémoglobines en poudre se retransforment en hémoglobine fonctionnelle après injection. Les produits H 7379 et H 0267 existent depuis plusieurs années en tant que réactifs chimiques vendus par le laboratoire et ne sont pas très chers. On n’est pas étonné de leur utilisation (probable) dans le sport alors qu’aucune étude sur leur toxicité n’existe !
Il y a vraisemblablement d’autres hémoglobines humaines semi-synthétiques ou modifiées. Le fait de polymériser la molécule évite la formation de dimères néphrotoxiques. Polyheme, une autre hémoglobine humaine polymérisée, avait raté de peu sa commercialisation aux USA en 2009.
Le gros problème de la mise au point des hémoglobines humaines consiste à leur faire diminuer l’affinité pour l’oxygène, pour qu’elles le relarguent dans les tissus. Et à maîtriser l’effet vasoconstricteur qui peut provoquer des infarctus du myocarde. En les polymérisant, cet effet diminue un peu, mais le temps de demi-vie augmente, ce qui facilite leur détection dans les contrôles antidopage.
Une nouvelle hémoglobine recombinante humaine est-elle actuellement utilisée ? Pas impossible.
Des hémoglobines animales
Il existe aussi des hémoglobines animales (bovines).
Sigma-Aldrich propose la H 2500, toujours en tant que réactif de biologie. Lors du Tour de France 2003, le danois Michael Rasmussen et l’espagnol Jesus Manzano avaient utilisé l’Oxyglobin (HBOC-301 pour hemoglobin based oxygen carrier) mais avec quels risques pour la santé ! Avec ces produits, on a constaté une augmentation de la pression artérielle pulmonaire et une diminution du volume d’éjection systolique.
Avec l’Hemopure (HBOC-201), une hémoglobine bovine polymérisée encore vendue en Afrique du Sud, l’effet vasoconstricteur est moindre, mais il y a toujours cet effet d’augmentation des résistances à l’écoulement (synonyme de risque d’infarctus du myocarde ou de thrombose).
Si l’Oxyglobin a disparu dès 2004, les hémoglobines animales ont sûrement progressé depuis en terme d’efficacité et de bonne tolérance.
Lors du Tour de France 2021, des sources crédibles rapportent que des cyclistes de l’équipe Bahraïn Victorious devaient pédaler en pleine nuit sur home-trainer (ce fait explique la descente de police dans la nuit du 14 juillet) comme au temps de l’EPO surdosée. On peut donc soupçonner l’usage de ce type de substances, cette habitude qui ne trompe pas étant nécessaire pour vaincre les résistances à l’écoulement.
Un autre dopage : les perfluorocarbones
Ces substances formées d’atomes de carbone et de fluor sont toujours en développement et leur usage est toujours envisageable.
Certaines sont encore utilisées en médecine d’urgence dans les états de choc hypovolémiques, en cas de pénurie de don de sang (le Perftoran russe depuis 2005). Cette recherche intéresse bien sûr l’armée, tout comme celle sur les substituts HBOC.
Il est connu que Mauro Gianetti, directeur d’UAE Team Emirates, les avait utilisés sur le Tour de Romandie 1998. Atteint d’insuffisance rénale et hépatique, le suisse avait été envoyé aux urgences de l’hôpital de Lausanne.
Les PFC peuvent véhiculer l’oxygène dans les tissus et disparaissent en 48 heures de l’organisme. L’avantage dans la lutte contre le dopage, c’est qu’elles sont facilement détectables.
Oxygent a vu son développement stoppé en 2002 pour trop grand nombre d’infarctus en essais de phase III. Le dernier PFC, l’Oxycyte, a vu son développement arrêté en 2014. Il pouvait transporter 5 fois plus d’oxygène que l’hémoglobine humaine, tout en étant constitué de particules 50 fois plus petites qu’un globule rouge. Le développement de ces PFC ne s’est vraisemblablement pas arrêté, bien que leur faible efficacité soit connue (à pression atmosphérique).
Le milieu sportif reste très probablement à l’affût, mais il existe une meilleure piste pour expliquer la domination de trois équipes sur le dernier Tour de France, le retour de sprinteurs aux premières loges dans les étapes de montagne, et les longs raids solitaires de coureurs dans certaines étapes de montagnes de grands Tours. Ca sera l’objet de l’article de demain, le Graal du dopage sanguin.