Nous sommes de toute évidence nombreux – même le journal Le Monde – à nous questionner sur ce cyclisme version 2019: une très jeune génération avec beaucoup de succès notamment sur les grands tours (Carapaz, Evenepoel, Bernal, Pogacar…), et des succès de coureurs émanant de pays où les scandales de dopage se sont multipliés au cours des derniers mois, comme la Colombie ou la Slovénie.
Quant à Lutsenko, ouf… 80 kilomètres d’échappée solitaire hier à la Coppa Sabatini, il sera en effet tout un client pour les prochains Mondiaux, pas de doute là-dessus.
Je vous avoue être loin d’avoir des explications à toutes ces performances parfois surprenantes!
Pour y voir plus clair, je publie aujourd’hui cette excellente contribution reçue hier de notre ami Marc Kluszczynski qui, lui aussi, essaie d’apporter des éléments à la réflexion. Merci Marc!
Cette année, on voit arriver en cyclisme une nouvelle génération de coureurs très talentueux (Egan Bernal, Tadej Pogačar, Remco Evenepoel…). Est-ce à dire que le dopage est en recul, comme certains le pensent, ce qui permet aux jeunes d’arriver car l’ancienne génération aurait baissé les armes ?
Le Tour d’Espagne, qui s’est déroulé du 24 août au 15 septembre, permet d’apporter des éléments de réponse.
Deux nations ont dominé cette Vuelta : la Colombie avec Nairo Quintana (Movistar) 8èmedu TdF, Miguel Angel Lopez (Astana) 7èmedu Giro, et la Slovénie avec Primoz Roglič (Jumbo Visma) 3ème du Giro et Tadej Pogacar (UAE Emirates). Remco Evenepoel a gagné en août la Classica San Sebastian à 19 ans ! Il est vrai, devant des pros fatigués par la TdF.
Si l’Amérique du Sud (la Colombie avec Egan Bernal) et l’Equateur (avec Richard Carrapaz) a gagné le TdF et le Giro, ce sera au tour de la Slovénie de remporter son 1erGrand Tour avec Primoz Roglič, vainqueur cette année du Tour de Romandie et de Tirreno-Adriatico. L’ex-sauteur à skis, en World Tour depuis trois ans, a dominé cette Vuelta, aidé par l’absence de quelques têtes d’affiche (les 7 premiers du TdF et les 2 premiers du Giro n’étaient pas là). Mais, curieusement, sa femme le suivait en camping-car sur cette Vuelta !
La Slovénie (avec la Croatie) est après l’Amérique du Sud le pays le plus impliqué dans les affaires de dopage. Milan Erzen, directeur sportif chez Bahreïn-Merida, est le découvreur des talents slovènes et croates. Il est impliqué dans l’affaire Aderlass. Dès 2011, le slovène Tadej Valjavec sera suspendu deux ans (après l’appel gagné par le TAS) pour anomalies de son passeport sanguin, après avoir été blanchi par le comité olympique slovène. Actuellement, Kristiyan Durasec (croate), Kristiyan Koren (slovène) et Borut Bozic sont impliqués dans l’affaire Aderlass.
Le jeune slovène Tadej Pogačar (20 ans) gagnera la 9èmeétape (Andorra La Vella-Cortals d’Encamp, 95 km et 3370 m de dénivelé +), la 13ème(Los Machucos : derniers 6,8 km à 9,2% de moyenne, mais avec 2 passages à 25%) où les deux slovènes assurent le doublé, et la 20ème(Plate-forme de Gredos). Lors de la 15èmeétape du 8 septembre (Santuario del Acebo) avec 4 cols de 1èrecatégorie, Pogačar se hissera à la 3èmeplace du classement général derrière Roglič et Valverde. L’américain Sepp Kuss, lieutenant de Roglič, gagnera cette étape : l’équipe Jumbo Visma était la plus forte sur cette Vuelta. Mais Pogačar sera rejeté du podium après la 17èmeétape des bordures et reperdra 1 min 16 lors de la suivante. Lors de la 20èmeétape, il démarre à 40 km de l’arrivée, bien avant le dernier col. Lopez et Quintana perdent 2.12 et 1.56 et Pogačar assure sa 3èmeplace au général. Sa résurrection à la fin de la 3èmesemaine est plus que douteuse.
Pogačar est déjà champion de Slovénie du CLM. Vainqueur du Tour de l’Avenir l’année dernière, il gagne cette année le Tour de Californie, avec ses chaussures à lacets et des jambes pas encore ciselées par les années d’entraînement.
Chose curieuse, on réassiste sur cette compétition à des attaques dans les cols et situées loin de l’arrivée (plus de 2 km) ; lors de la 2èmeétape (Calpe-benidorm le 25 août), Nairo Quintana démarre à 3 km de l’arrivée. Le colombien, aux attaques faisant long feu depuis quelques saisons, et comme anesthésié sur le TdF, retrouve en Espagne une vigueur qu’on ne lui connaissait plus. Mais il aura des jours sans (étape 5 du 28 août, étapes 15 et 16, 18, 20) et rétrogradera à la 4èmeplace au général en fin de 3èmesemaine. Il devient peut-être impossible actuellement de faire deux grands Tours et d’y briller. Sa carrière n’aura fait que s’étioler peu à peu au fil des ans, ce qui n’est pas un signe de non dopage. Ce sera peut-être la carrière type des jeunes qui arrivent actuellement et qui gagnent très vite. Miguel Angel Lopez est dans le même cas chez Astana.
La nouvelle norme pour échapper au passeport sanguin
Des coureurs jeunes, sans passé, se mettent donc à gagner des grands Tours. C’est certes un signe de recul du dopage, mais tant à la fois, cela pose question. Mais Alejandro Valverde, à bientôt 40 ans, est deuxième de cette Vuelta. La vérité est quelque part entre ces deux lignes.
On peut faire le rapprochement avec les jeunes africains de l’Est (kenyans ou éthiopiens), inconnus pour certains, gagnant les grands marathons grâce à des entraîneurs en cheville avec des médecins officiant en Afrique et les dopant très tôt avant qu’ils ne soient sur les listes de contrôles des agences antidopage, et soumis au passeport sanguin. Se doper très tôt (effet Obélix !) deviendrait la norme pour échapper au radar du passeport sanguin ! En somme, il s’agirait de se fabriquer un faux passeport et de le maintenir par un dopage régulier, la démarche inverse étant bien plus risquée.
Bernal a-t-il été contrôlé en Colombie après le TdF et avant son retour en Italie ? Gianni Savio, directeur de l’équipe Androni Giocattoli, est le découvreur de talents sud-américains, comme Egan Bernal, Ivan Sosa et Sergio Andres Higuita, le colombien d’Education First (5èmedu Tour de Colombie en 2018 et 2èmedu Tour de Californie cette année derrière Pogačar). Savio les « revend » ensuite à coup de centaines de milliers d’euros à de grosses équipes. Milan Erzen étant celui des slovènes et croates. Y a-t-il des docteurs Rosa (médecin italien installé au Kenya depuis la fin des années 80 ; disciple de Michele Ferrari, Rosa a choisi le marathon et a dopé les kenyans leur permettant de gagner la plupart des marathons du monde) en Amérique du Sud ou en Slovénie ?
Bien sûr, l’UCI n’a rien vu.
Et le passeport sanguin s’avère de plus en plus comme la ligne Maginot de l’antidopage.