16h50, mardi soir. Je quitte enfin le bureau après une réunion de 3h sur un projet d’importance, le Recensement de 2016. Fatigué et las. Un entrainement par intervalles est prévu ce soir avec mon équipe, à 18h. Ca va être serré s’il y a de la circulation.
16h55. Loi de Murphy. Circulation, il y a. Un véhicule en panne à l’entrée du pont séparant Ottawa de Gatineau. Pire, panne d’électricité majeure (curieux en cette période!) dans tout mon quartier, les feux de circulation ne fonctionnent pas. Ca ne s’arrange pas, tout comme mon état de fatigue, qui passe de moyen à élevé.
17h25. Finalement chez moi. J’enfile le cuissard, le maillot, sans trop y croire: ça va être une soirée merdique… Mais bon, mon agenda d’entrainement me recommande des intervalles ce soir: rule #5, harden the fuck up. Je pars « quand même« .
17h30. Bosse de 300m située à un kilomètre de chez moi, juste après le départ. Je suis planté. Shitty day. Zéro force. J’insiste en réalisant que je suis vent de face, un vent violent. Mon 52-21 me parait bien gros.
17h40. Je rattrape un équipier à l’entrée du parc. La conversation me fait du bien. Au moins, je suis pas tout seul! Déjà vidé, mais pas tout seul.
18h. Début de l’entrainement avec mon équipe. Je secoue mes puces, me disant qu’il va falloir serrer les dents ce soir. La présence des autres me fait du bien.
18h15. Ascension du lac Pink. Je monte en gardant le même braquet que sur le plat, galvanisé par le fait que je dépasse un gros groupe qui semble planté complet dans la pente. Les puls sont hautes dans le dernier 100m, mais j’insiste. Strava me dira plus tard en soirée que j’ai établi mon 2e meilleur temps à vie, hors compétition. Je suis encore surpris.
18h20. Je récupère. Ca va mieux, la fatigue se dissipe, probablement que le moteur s’est mis à tourner, merci à l’effort que je viens de produire. Je commence à me concentrer sur les efforts à venir.
18h25. 2e bosse. Un coureur inconnu me colle au train. Toi mon gaillard, tu ne seras pas longtemps dans ma roue. Je garde une fois encore le grand plateau jusqu’en haut. Personal best sur Strava, 2min32! Le gus? Il doit encore y être…
18h35. La Black. Juge de paix de ce Parc de la Gatineau, avec la montée Fortune. Je visualise Contador: tout en danseuse! Je relance sur le haut, mais ça fait vraiment mal. En soirée, j’aurai le plaisir de découvrir que j’ai établi mon 3e meilleur temps à vie sur Strava, à quelques secondes de mon personal best.
18h40. Retour vers le bas de Black pour une 2e ascension. J’aide un peu mon équipier Luc « M. 500 watts » qui a crevé au pied de la première ascension. Le chanceux, il ne fera qu’une ascension de la bosse plutôt que deux ce soir!
18h50. Nouvelle ascension de Black, tempo élevé avec une violente accélération sur le haut, puis je tiens la vitesse jusqu’au bas de la descente qui suit. Celle-là, elle a fait mal. La grosse séance de gainage réalisée hier soir laisse des traces, j’ai un peu mal dans le bas du dos.
19h00. La putain de petite bosse avant l’intersection Fortune (Beaver Pond Climb sur Strava). Toi ma salo… je vais te faire la peau. À donf jusqu’en haut, mains en bas du guidon, je sprinte vraiment à bloc. 44 secondes sur Strava, bon pour le 8e meilleur temps (record 38 sec). Évidemment un autre « personal best ». Aie, des sensations de fatigue reviennent.
19h10. Belvédère Champlain. L’équipe a prévu un retour à l’entrée du parc, 18 kms plus loin, au rythme de course. J’enfile un gel. Ma stratégie est simple: assurer un tempo élevé dans les ascensions, ma force. J’établi mon record personnel Strava sur deux des bosses, et je suis très près dans les autres (des records établis en course). Malheureusement, ce tempo fait des dégâts, nous sommes rapidement que quatre devant. Dans la dernière ascension (Pink), je me retrouve même seul devant, mais me relève pour attendre les trois autres afin de rendre le final plus intéressant. Je commence toutefois à être cuit.
19h20. Le sprint final (Gamelin) approche, reste à négocier cette partie assez plate d’environ 3 kms avant le sprint. Le tempo est élevé, Chantal, qui prépare ses Canadiens, tire un bon relais, puis me cède la place. Je me « sacrifie » pour l’équipe, tirant sur environ un kilomètre à un endroit peu favorable à mon gabarit et sachant que cette cartouche ne sera plus disponible pour le sprint. Ca tombe bien, la fatigue de la soirée me tombe dessus comme une enclume: les jambes sont grosses, l’énergie diminue à vue d’oeil, les jambes ne « tournent » plus très ronds. La fin des haricots est proche.
19h23. Sprint final. Mon équipier Luc amène dans la descente et… lance le sprint en tête! Bien joué, j’avais pas prévu ça! Je lâche les chevaux et… coince solide, incapable de le remonter dans les derniers 100 mètres, Luc maintenant une puissance impressionnante vu de l’arrière. Je termine à deux longueurs de vélo derrière lui, heureux.
Heureux, car Luc nous a sorti un grand sprint, solide, tout en puissance, sur le bon braquet, sécuritaire car sur une trajectoire rectiligne, et lancé en tête s’il vous plait après un bon relais. Luc, ce fut un honneur de me faire battre par toi ce soir, vraiment, et cette victoire tu ne l’as pas volé. Il faut savoir que Luc, c’est le gars reparti en ambulance au dernier camp d’entrainement de l’équipe, début mai, victime de pierres au rein… Bravo, vraiment, car je sais que tu t’entraines avec sérieux, toi aussi papa de deux enfants.
19h35. Rincé complet, je roulotte jusqu’à la maison.
19h50. Maison. Vidé. Mon fils, parti ce matin à 7h25 de la maison, m’attend pour me raconter sa journée à l’école, et me pose la question la plus importante qui me sera posée de toute la journée: « papa, as-tu gagné?« . Je lui réponds « oui », pas la force de lui expliquer toutes les nuances des événements entre le Belvédère et le sprint final. De toute façon, je vois dans ses yeux que sa motivation pour son match de soccer demain soir vient de décupler.
20h. Lait au chocolat, du blanc de poulet, salade de riz et de thon, de l’eau, un repas frugal. Je fais le métier en pensant au Mortirolo qui s’en vient, tout en me disant que je suis quand même un peu fou. Le regard que m’adresse ma conjointe n’en dit pas moins…
20h20. Je m’occupe enfin un peu de mon fils, en passant du temps avec lui, toujours en cuissard. Neymar Jr. nous attend sur YouTube (je préfèrerais Contador, mais je ne lui ai pas dit…).
20h30. Dodo pour le fils, les énergies me lâchent complètement, je m’affale lamentablement dans un bain chaud. Ce qui me reste de dignité vient de voler en éclat mais difficile, compte tenu de mon état général, de m’en foutre davantage que ca.
20h50. J’écris ces lignes en pensant à ces méritants discrets que nous sommes, nous les coureurs de 40 ans et plus, qui conjuguent quotidiennement responsabilités professionnelles, responsabilités familiales, maison à entretenir, vie de couple, et entrainement. Nous qui nous faisons violence souvent en silence, dans le fond pour la simple passion du vélo et de nous dire « je suis aussi coureur cycliste ».
J’ai beaucoup de respect pour les jeunes coureurs de haut niveau, les Matteo Dal-Cin, Derek St-John, et autre Mike Woods de la région, sans parler des autres coureurs top-niveau du Québec voire les pros en Europe: ce sont mes modèles, je m’applique à essayer d’en suivre quelques uns lorsque j’en ai l’occasion en participant au A-loop du Parc par exemple. Ces mecs font le métier, et savent se motiver et souffrir sur le vélo. Ils ont aussi, très souvent, un environnement leur permettant d’évoluer dans de bonnes conditions pour s’entrainer et récupérer.
Mais ce soir, j’ai envie de nous donner deux « morceaux de robot » à nous, les coureurs de 40 ans et plus qui conjuguent au quotidien de nombreuses activités, souvent autrement plus importantes que le vélo d’ailleurs. Nous sommes probablement nombreux à évoluer dans ces conditions, aussi je ne suis pas mieux que la plupart d’entre vous: simplement, je nous tire, à nous tous, un grand coup de chapeau et je me dis que nous sommes quant même très forts sur un vélo, compte tenu du reste…
Bon, je vous laisse, du repassage m’attend. Le partage du travail domestique, ça veut aussi dire ca. Je ne suis pas encore couché…