De mal en pis.
Florissante dans le monde du cyclisme il y a encore 15 ans, la société Louis Garneau Sports vit des moments pénibles depuis quelques années.
Et la descente aux enfers se poursuit.
Placée à l’abri de ses créanciers en 2020, le redressement entrepris alors n’a pas porté fruit: aujourd’hui, la dette de l’entreprise n’a pu être résorbée, les ventes stagnent voir régressent, c’est la débandade.
Je m’en désole, car Garneau Sports était un fleuron au Québec et parce que Garneau Sports a contribué à La Flamme Rouge pendant quelques années en offrant aux trois premiers du jeu « pool de cyclisme » des petits cadeaux à sa discrétion. J’en suis encore reconnaissant.
La société a été vendue en septembre dernier à la compagnie de vêtements de sport Lolë. Au passage, on aura licencié de nombreux employés(ées), et fermé les usines de Chine et du Mexique, ainsi que la succursale des États-Unis.
Le siège social situé à St-Augustin de Desmaures en banlieue de Québec a été vendu depuis plus d’un an, et cela faisait des années qu’on n’y fabriquait plus rien.
Comme fin abrupte, c’est assez spectaculaire et triste. Garneau Sports a incarné pendant trois décennies la réussite, voire l’entreprenariat au Québec. Bref, le succès. Parti de rien, fabriquant des vêtements cyclistes dans le garage paternel, Louis Garneau aidé de sa conjointe a hissé à force de travail son entreprise parmi les joueurs importants du marché du vêtements de sports au Canada, voire sur la scène internationale.
L’entreprise avait aussi réussi à diversifier ses produits, faisant dans les fournitures scolaires pour enfants par exemple.
Il aura même été le bonnetier de l’équipe pro Europcar pendant quelques années au début des années 2010, soutenant également un David Veilleux et, auparavant, la Classique Montréal-Québec ainsi qu’une équipe Senior 1 tout entière, initiatives qu’on regrette encore aujourd’hui.
Alors, comment est-ce possible d’assister à pareille déchéance, et aussi rapidement?
Quelques réflexions sur les possibles raisons
Je ne suis évidemment pas dans le secret des Dieux, bien loin de tout ca et détaché du milieu cycliste au Québec, un état que je chéris car il me procure une indépendance, critère de la crédibilité.
Vu de loin, comme ca, plusieurs raisons me viennent à l’esprit pour expliquer en partie la triste évolution de Garneau Sports depuis quelques années.
Pour moi, trois tournants: le premier vers 2011-2012, puis un deuxième plus récemment, 2020-2021 et enfin le dernier, vers 2023-2024.
Sur le premier tournant vers 2011-2012, peut-être une expansion trop rapide, et une décentralisation de la production à l’extérieur du Québec qui s’est malheureusement soldée par une baisse drastique de la qualité des produits Garneau Sports.
Je me souviens des magasins « Concept Store » qui ouvraient partout au Québec au tournant des années 2010, Garneau mettant alors de l’avant sa « solution globale », c’est à dire sa capacité d’équiper le cycliste de la tête au pied, vélo compris. À l’époque, Garneau Sports donnait l’impression que tout lui réussissait, et j’étais personnellement très séduit par la compression offert par les cuissards haut de gamme de la compagnie.
Cette expansion s’est toutefois accompagnée d’une décentralisation de la production, traditionnellement assurée au Québec. Dorénavant fabriqués en Chine notamment, les produits Garneau ont souffert d’une énorme baisse de qualité, et Garneau n’aura pas compris qu’il négligeait ainsi sa base, c’est à dire en premier lieu tous ces Québécois qui lui faisaient confiance.
Je m’en souviens comme si c’était hier: j’avais acheté au Concept Store de Longueil plusieurs items Garneau, dont des gants et un sac à dos multi-rangement.
Les gants ont duré une seule sortie: sans coutures mais collés, les pièces se sont séparées en moins de 50kms, notamment en raison de l’action de la sueur. Idem pour le sac à dos: deux sorties et les fermetures éclair étaient explosées, et des compartiments entiers déchirés.
Une qualité médiocre, pour un prix qui, lui, n’avait pas baissé.
Connaissant un représentant commercial de la compagnie, je lui avais fait part de mes constatations, et de mes inquiétudes.
On peut lire dans le livre « Je suis tombé deux fois » de Valérie Lesage et portant sur Louis Garneau ceci:
« Chez Louis Garneau Sports, nous avons, pendant quelques années, négligé d’écouter les représentants commerciaux qui, eux, étaient en contact avec les clients ».
Je suis tombé deux fois, p.140
C’est exactement ça.
Déçus, de nombreux cyclistes se sont tournés ailleurs, et notamment sur toutes ces compagnies émergentes qui ont refaçonné le textile cycliste en proposant notamment de nouveaux look, je pense aux « Pas Normal Studio », « Attaquer », « Pedal Mafia », « Café du Cycliste », « Velocio » et tellement d’autres, ils sont si nombreux aujourd’hui !
Malgré tout ca, j’ai été fier que mes premiers vêtements La Flamme Rouge ont été fabriqués par Garneau Sports, vers 2015. Cependant fatigué des problèmes de décoloration et de tenue dans le temps, j’ai changé pour une compagnie concurrente environ trois ans plus tard.
Autre raison, Louis Garneau, de son aveu lui-même dans ce livre, a toujours voulu garder une influence de premier plan sur « la création et le marketing ». Je pense qu’il n’aura pas su prendre certains virages sur les nouveaux look cyclistes, les nouvelles façons d’assurer la promotion des produits, sur le « branding » et l’expérience qu’offrent aujourd’hui de nombreuses compagnies, façon Apple qui a peut-être été la première compagnie a comprendre qu’il était important de créer ce « branding » limite « secte » pour bien accrocher les consommateurs.
Au deuxième tournant, fin des années 2010, le monde du vélo avait changé: aujourd’hui, quelques grandes compagnies dominent outrageusement le marché, Shimano, Sram, Trek, Specialized, par exemple. Tu ne peux plus lutter contre ce quasi-monopole, cette – TRÈS malheureuse – convergence (le jour où vous roulerez tous sur des Trek, vous comprendrez…). Dans ce contexte, il faut justement miser sur la niche, la secte, le différent, et la qualité. Le branding aussi: en achetant un vélo, un consommateur n’achète pas juste un vélo, il achète une identité. Plus cool, plus différente est l’identité, plus il achète, jusqu’à l’irrationnel. Ce concept a été poussé encore plus loin au cours des cinq dernières années.
Bref, face aux géants, Garneau Sports n’a pas su se positionner pour survivre. L’exemple de son actuel site Internet en dit long.
Et Garneau Sports n’a peut-être pas su connecter avec les acteurs d’ici, au Québec, la base, qui vendent des produits du vélo et qui sont au contact de la clientèle, parfois de niche. Ces acteurs sont à Québec, à Montréal, à Gatineau, à Sherbrooke, sont reseautés, créent, innovent, bougent. Garneau? À ma connaissance depuis quelques années, jamais à la table.
Sur le troisième tournant, la lecture du plus récent livre laissait croire que Garneau Sports se relancerait grâce aux vélos électriques et aux vélos d’enfants.
Force est de reconnaitre qu’en effet, l’occasion semblait très belle: la vente de vélos électriques a explosé dans le monde ces dernières années, et ce type de vélos est le plus vendu actuellement.
Or, qui a entendu parler des vélos électriques Garneau récemment?
Pas moi en tout cas. Dans ce domaine, les géants n’ont pas loupé l’occasion de s’imposer.
Il fallait proposer des produits faits ici, compétitifs, et se distinguant, ne serait-ce que par le look.
Dernier point, derrière une entreprise, il y a toujours des personnes, c’est comme dans tout.
Enfin, s’il s’en défend dans les premières pages, il reconnait plus tard dans le dernier livre à son sujet que l’entreprise Garneau a longtemps été un « one man show ». Or, s’entourer efficacement est un gage de s’ouvrir à des réalités et des évidences que seul, on ne voit pas toujours.
Je ne connais pas M. Garneau. J’ai beaucoup de respect pour ce qu’il a fait. Mes lectures me laissent croire qu’il présente un petit côté mégalomane qui, dans certaines circonstances, auront pu lui servir, et dans d’autres le desservir. A-t-il pu s’entêter par moment, refusant ce que d’autres voyaient comme évidences ?
Quoi qu’il en soit, je suis bien triste de l’évolution des choses pour cette entreprise québécoise dans le monde du cyclisme. Idem pour Argon 18 dont la trajectoire récente a été difficile, à la lumière de ce qu’ils représentaient il y a 10 ou 15 ans. Ces compagnies auraient pu être le moteur du développement du cyclisme au Canada, aux côtés de Cyclisme Canada et de la FQSC. Au lieu de ca…
Au fond, Garneau Sports est peut-être à l’image de ce maillot de l’équipe canadienne, qui n’a jamais vraiment évolué depuis 50 ans: figé dans le temps. Alors que l’équipe nationale italienne ou d’autres présentent régulièrement un nouveau look, et vendent facilement les nouveaux maillots au grand public, fiers de leur produit et de leur nation, Garneau Sports et Cyclisme Canada sont figés dans le temps, tant au niveau du look que du marketing, comme s’ils étaient encore en 1980. C’est dommage.
Nordiq Canada n’en est pas loin non plus, dommage aussi… pour moi qui devient tous les jours davantage fondeur que cycliste, c’est désolant.
Le titre du plus récent livre sur Louis Garneau, écrit par Valérie Lesage, est « je suis tombé deux fois ». Malheureusement, j’ai bien l’impression que le vieil adage « jamais deux sans trois » se vérifiera cette fois encore. Espérons simplement que Louis Garneau l’homme s’en relèvera, fidèle à son adage « ne jamais abandonner ».