« Dans un éditorial publié aujourd’hui dans le quotidien montréalais La Presse »:http://www.geocities.com/velonouvelles/articles/5/9sept/P8.html, François Cardinal pose une série de questions concernant l’affaire Armstrong. Devant l’énormité des propos qui traduisent une ignorance presque totale de l’histoire récente du cyclisme, nous ne pouvons laisser passer l’occasion de répondre question par question à ce journaliste.
*Question* – De l’aveu même de L’Équipe, il ne peut y avoir poursuite contre Armstrong puisque « les droits de la défense ne (pourraient) être respectés ». Comment donc justifier la publication de telles accusations ?
*Réponse* : Parce qu’il y a bel et bien eu dopage. Douze échantillons présentent « la preuve scientifiquement incontestable d’un dopage à l’EPO »:http://www.sporever.fr/Depeches/story_182338.shtml. Le journal L’Équipe a pu identifier par une enquête que six de ces échantillons appartiennent à Lance Armstrong. Pas un mais six, rendant les probabilités d’erreur quasi-nulles. S’il est vrai que la procédure judiciaire menant à d’éventuelles sanctions ne peut être respectée, il y a quand même la preuve réelle et formelle d’un dopage à l’EPO. Et ca, c’est digne de publication parce que c’est bien réel (il y a des preuves scientifiques) et susceptible de faire avancer les choses. Lance Armstrong déclare depuis 7 ans que son métier est de gagner le Tour, aux journalistes de faire le leur s’ils pensent qu’il est dopé. C’est exactement ce qui a été fait.
*Question* – Malgré une amélioration notoire des dispositifs antidopages depuis 1999, Armstrong n’a jamais été testé positivement. L’Américain n’aurait-il utilisé de l’EPO qu’en 1999 ? Le cas échéant, comment a-t-il pu gagner six autres Tours ? Le cas contraire, pourquoi cet athlète, l’un des plus testés au monde, n’a-t-il jamais été épinglé ?
*Réponse* : On ne trouve jamais ce que l’on ne cherche pas. En 1999 et 2000, aucun test de dépistage de l’EPO n’existait alors. Les coureurs ont donc utilisé la molécule de façon massive, sûrs qu’ils ne pouvaient pas être contrôlés positifs. La seule menace qui planait sur eux était le dépassement du fameux seuil de 50% du taux d’hématocrite. Les coureurs voyageaient donc (et voyagent toujours…) en permanence avec leurs centrifugeuses leur permettant de vérifier eux-même leur taux d’hématocrite.
À partir de 2001, tout le monde a su que les contrôles pour l’EPO étaient au point. Les coureurs ont donc modifié leur dopage : « Actovegin »:http://cyclisme.dopage.free.fr/lexique.htm, « perfluocarbone »:http://cyclisme.dopage.free.fr/lexique.htm#PFC, autres molécules comme la fameuse « CERA »:http://www.doctissimo.fr/html/forme/mag_2000/mag2306/fo_1895_epo_depistage_02.htm (_Continuous Erythropoiesis Receptor Activator_) ou « l’EMP »:http://www.doctissimo.fr/html/forme/mag_2000/mag2306/fo_1895_epo_depistage_02.htm (_Erythropoietin Mimetic Peptide_), bien évidemment indétectables encore aujourd’hui puisqu’aucun test n’existe. Armstrong peut donc continuer à dominer outrageusement le Tour de France en utilisant ces produits – limités aux coureurs qui peuvent financièrement assumer les coûts d’un tel dopage et qui ont les médecins comme Michele Ferrari pour les encadrer – qui seront peut-être découverts dans ses échantillons dans quelques années, tout juste comme on vient de le faire avec l’EPO.
*Question* – Lorsque des échantillons d’urine s’avèrent douteux, ils sont aussitôt contre vérifiés grâce à un second échantillon. S’il existe deux échantillons, cela implique qu’une erreur est possible. Comment donc, avec un seul échantillon existant, L’Équipe peut-elle ainsi crucifier Armstrong ?
*Réponse* : Parce qu’il n’y a pas un seul échantillon positif, mais bien six correspondant à diverses étapes de l’épreuve et s’échelonnant donc dans le temps. Ca vous en prendra combien pour accepter la réalité ?
*Question* – Les échantillons incriminants auraient été testés pour la recherche et non pour coincer d’éventuels coupables. Pourquoi, dans ce cas, les étiquettes permettant de retracer les coureurs étaient-elles toujours en place alors que le protocole, dans pareil cas, est de les éliminer ?
*Réponse* : Les étiquettes n’étaient pas en place et le laboratoire de Chatenay-Malabry ne les a jamais eues. C’est là qu’intervient l’enquête des journalistes de L’Équipe qui ont trouvé le moyen d’établir le lien entre le code des échantillons et le nom des coureurs. Pour cette raison, les « analyses du labo sont exemptes de soupçons »:http://archquo.nouvelobs.com/cgi/articles?ad=sport/20050823.OBS7163.html&host=http://permanent.nouvelobs.com/, l’enquête leur étant totalement étrangère.
*Question* – Les résultats de l’analyse seraient « indiscutables » même si les échantillons ont près de six ans. Comment se fait-il que les tests en laboratoire de la grande spécialiste Christiane Ayotte démontrent que l’EPO se dégradent en l’espace de quelques mois à peine ?
*Réponse* : Si, M. Cardinal, vous aviez fait votre travail de journaliste proprement en vérifiant vos sources, vous auriez constaté que la déclaration de Mme Ayotte est fort différente. La voici dans son intégralité :
« _The stablity of EPO in urine isn’t as long as five years according to our testing here in Montreal. It’s more a matter of months,_ » stressed Ayotte, whose testing centre is accredited to WADA, the world’s anti-doping agency. « _If the lab in Paris claims to have identified categorically the presence of erythropoetin in this urine then I have no doubt that the identification’s adequate._ »
« Un extrait de l’entrevue de Mme Ayotte à Pierre Maisonneuve est disponible ici. »:http://www.radio-canada.ca/radio/maisonneuve/24082005/63069.shtml
*Question* – L’enquête a nécessité la complicité de bien des gens qui n’ont pas hésité à bafouer les plus simples règles éthiques, tant dans le monde scientifique que cycliste. Comment donc juger de l’authenticité des échantillons et, de surcroît, du lien fait avec Armstrong ?
*Réponse* : Aucune régle d’éthique n’a été bafouée dans le domaine scientifique. Les tests effectués par le labo français pour valider la méthode de détection de l’EPO à partir d’échantillons urinaires recueillis lors du Tour 1999 ont été faits dans les règles de l’art et en respectant toutes les procédures. Les échantillons A n’étaient pas disponibles puisqu’ils avaient déjà été utilisés lors des tests faits en 1999. Les B ont été analysés de façon anonyme par des scientifiques qui se foutaient pas mal de savoir si ces échantillons provenaient de cyclistes, de tennismen ou on ne sait quoi. Pourquoi remettre la bonne foi de ces gens en question?
Côté cyclisme, on ne voit vraiment pas quelles sont les personnes qui auraient « bafoué les plus simples régles éthiques » si ce n’est les coureurs qui se dopent… Seuls les journalistes ont fait preuve d’audace en trouvant le moyen d’identifier ces échantillons certes, mais c’est le boulôt des journalistes d’enquête…
En conclusion, il est toujours surprenant de constater la rapidité avec laquelle les gens remettent en question la bonne foi des autres. Le labo de Chatenay-Malabry est, à la limite, une victime dans cette affaire, ayant fait l’objet d’une fuite. Les journalistes d’enquête ont simplement fait leur boulôt, celui de mettre au jour les techniques d’Armstrong, un coureur – le seul d’ailleurs – qui les nargue depuis 7 ans malgré les évidences qui commencent à sérieusement s’accumuler (si vous voulez des détails, cela nous fera plaisir de vous les donner, mais prévoyez du temps…). On se cache pour se doper, on se cache beaucoup même ; on ment à ce sujet, on ment même beaucoup ; pourquoi alors reprocher à ceux qui veulent faire éclater la vérité au grand jour de mener des enquêtes avec les moyens qui leur sont accessibles?
Pourquoi ne pas plutôt voir dans cette affaire une preuve additionnelle que les contrôles sont quasiment totalement innefficaces (la grande majorité des grands champions cyclistes piqués pour dopage depuis l’affaire Festina en 1998 – les Virenque, Zulle, Pantani, Gotti, Vandenbroucke, Millar, Musseuw, etc. – n’ont pas été suspendus suite à des contrôles positifs mais bien suite à des aveux ou des perquisitions…), que c’est une formidable occasion de prendre conscience que rien n’a changé dans le milieu suite à l’affaire Festina et qu’il s’agit de l’occasion rêvée de travailler tous en commun (fédérations, instances internationales, équipes, etc.) à enfin assainir le sport ?
Bref, M. Cardinal, la seule chose qui m’apparaît baclée dans tout cela est votre éditorial. Il me fera plaisir de vous conseiller la prochaine fois que vous voudrez parler – intelligemment cette fois – de dopage dans le cyclisme.