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Catégorie : Littérature

Tempêtes sur le Tour

Après avoir consacré plusieurs articles au come-back de Lance Armstrong, je fais place à la littérature cycliste avec un petit commentaire sur le livre que nous avons récemment terminé de lire, Tempêtes sur le Tour du journaliste d’enquête Pierre Ballester. Rappelons que Pierre Ballester est un des deux auteurs des deux bouquins à succès L.A. Confidentiel et L.A. Officiel sur Lance Armstrong.

Je fais aussi place à un peu de littérature puisque vous êtes nombreux, selon mon récent sondage que je commenterai en détail sous peu, à souhaiter voir sur La Flamme Rouge des critiques de livres portant sur le cyclisme.

Alors, Tempêtes sur le Tour ? En un mot: un excellent livre selon moi, mais pas fait pour tout le monde. Ce livre s’adresse à des passionnés de cyclisme professionnel qui veulent en savoir plus sur les dessous de ce sport. L’amateur de performances, de récits d’aventure, de biographie sera déçu. Celui qui se pose des questions sur comment fonctionne le Tour, comment il est organisé, quels sont les enjeux politiques et financiers et surtout, celui qui s’intéresse de près à l’actuelle guerre UCI-ASO y trouvera largement son compte. J’ose même dire que quiconque qui veut prendre position dans le conflit UCI-ASO doit lire ce livre avant de se prononcer.

Le livre est divisé en 6 chapitres. Le premier porte sur L’autre histoire du Tour, un chapitre où Bellester montre que du dopage, il y en a toujours eu sur le Tour. C’était d’abord la strychnine, l’arsenic, la caféine, le phosphore, l’éther et la fameuse "liqueur de Fowler". Ce fut ensuite la bomba de Coppi, puis la cortisone et bientôt les amphétamines et les anabolisants. C’est maintenant l’arsenal du dopage sanguin – autrement plus efficace – et les hormones de croissance. Demain, ce sera le dopage génétique.

Le chapitre deux porte sur Les véritables chiffres du dopage et présente une comptabilité audacieuse où l’auteur démontre que 35% des coureurs ayant pris part au Tour de France depuis 1968 ont contrevenu à la réglementation anti-dopage au moins une fois durant leur carrière et surtout, que ce pourcentage augmente à 60% si on prend les 10 premiers de chacun de ces Tours, à 73% des coureurs ayant monté sur le podium et même à… 85% des vainqueurs! Évidemment, vous voudrez savoir qui de ces vainqueurs n’ont jamais contrevenu aux règlements anti-dopage durant toute leur carrière de coureur ? Ils sont seulement 3: Lucien Van Impe, Greg LeMond et, récemment, Alberto Contador. Depuis le temps que je vous dis que Greg LeMond est le dernier des mohicans, le dernier vainqueur clean du Tour…

Le chapitre trois, intitulé "Au sommet du discrédit", présente les résultats de certains sondages en France qui prouvent que l’intérêt des Français pour le Tour n’est pas, en premier lieu, sportif. Les Français regardent le Tour d’abord et avant tout pour les paysages! L’auteur présente aussi certaines statistiques alarmantes de ces sondages, notamment le désintérêt généralisé des jeunes d’aujourd’hui (moins de 30 ans) pour le Tour et le cyclisme.

Le chapitre quatre, Quand la télévision se regarde, porte sur la télévision et le Tour. Peut-être le chapitre le moins intéressant du livre à mes yeux.

Le chapitre cinq, "Le Tour s’envole, le cyclisme dégringole", illustre avec brio la fracture dans le cyclisme entre d’une part le Tour, qui demeure immensément populaire et rentable, et le reste du cyclisme, celui géré par la Fédération Française de Cyclisme (FFC), une fédération sur le bord de la faillite, en baisse de licenciés et qui, chaque année, voit, impuissant, des dizaines d’épreuves cyclistes disparaître. À la lecture de ce chapitre, on réalise à quel point l’arbre (le Tour) cache la forêt… et on réalise que le profit que génère le Tour pour ASO est vertigineux, de l’ordre de… plus de 30 millions d’euros en 2006 et 2007. Trente millions d’euros de profit ! Doit-on s’en scandaliser ? Je ne crois pas, ASO ayant repris nombre d’épreuves cyclistes – Paris-Nice, Paris-Roubaix, la Flèche Wallonne, Liège-Bastogne-Liège, le Tour de l’Avenir, etc. – qui sont déficitaires. En gros, ASO finance avec le Tour d’autres épreuves cyclistes qui, sans son soutien, auraient aujourd’hui disparues faute de rentabilité.

Le chapitre six nous est apparu comme la pièce maîtresse du livre. À lui seul, il vaut l’achat (18 euros) du bouquin. Très volumineux, il nous fait plonger au coeur du conflit UCI-ASO, décortiquant les acteurs, les enjeux, la source des problèmes. Ce faisant, Ballester nous permet un jugement éclairé de ce conflit très négatif pour le cyclisme. On y découvre en particulier qui est l’homme derrière Hein Verbruggen, une véritable crapule dans la plus pure tradition des membres du CIO dont il est un acteur très important (probablement le #2 derrière Jacques Rogge), corrompu jusqu’à la moelle et dont l’unique ambition est de noyauter le cyclisme pour en sucer les profits jusqu’à la dernière goutte, quitte à écraser les organisateurs et les fédérations. On a aimé la citation de Patrice Clerc, patron d’ASO: "Hein Verbruggen se prétend depuis toujours un stratège du marketing. En fait, il s’est toujours gouré. Sa Coupe du Monde, ses créations d’épreuves, sa piste, tout transpire l’échec. Son ProTour est peut-être le plus retentissant".  

Réduisant l’actuel Pat McQuaid à un simple pantin à son service, Verbruggen est présenté sous son véritable jour puisque Ballester publie quelques lettres qu’il a adressé à ASO et à la FFC. On s’est délecté d’une des réponses du président de la FFC, l’excellent Jean Pittalier, qui commence sa réponse à une lettre de Verbruggen "Permettez-moi de m’étonner d’avoir reçu une réponse à un courrier qui ne vous était pas destiné…" (ndlr: ce courrier était évidemment destiné à l’actuel président, Pat McQuaid !). Pittalier encore: "Verbruggen a un bras tellement long… Au niveau du CIO, il se vante d’avoir le contrôle des votants de 55 pays dans sa poche. Il a fait organiser le congrès d’Afrique à… Rome fin 2004 ! Il est capable de tout. Son pouvoir de nuisance va jusqu’à faire démissionner un président d’une fédération, en l’occurence l’Allemande Sylvia Schenk, qu’il avait lui-même cooptée au sein du comité directeur de l’UCI. Elle s’était opposée à l’absence de mode électif démocratique…". 

En épilogue, le lecteur trouvera un texte percutant de Greg LeMond qui explique sa fin de carrière et sa brusque découverte que quelque chose ne tournait pas rond dans le peloton en 1991.

Bref, en conclusion, Tempêtes sur le Tour est un excellent livre pour tout ceux qui veulent, comme moi, être des observateurs éclairés du cyclisme. Pour ceux qui veulent vraiment comprendre ce qui se passe, derrière ce que les agences de communication des principaux acteurs nous servent comme salade. Ballester est de toute évidence un excellent journaliste d’enquête, possède des réseaux étendus et crédibles dans le cyclisme et demeure somme toute assez objectif. Pour 18 euros, vous ne perdez pas au change.

Pour lire une autre critique de ce livre, ne manquez pas l’excellent commentaire de notre ami Raphael Watbled de VeloChronique

Prochaine critique littéraire, le remarquable, le fantastique, le magistral Forcenés de Philippe Bordas, un livre vraiment sublime.

Dans la roue du Tour…

Le Canal Évasion propose tous les vendredi soirs à 20h (en reprise les dimanche soirs à 17h) une émission, "Dans la roue du Tour":http://www.canalevasion.com/emission.asp?iem=324&itype=42, qui se veut une visite _cyclotouristique_ de diverses régions de France. Pour ce faire, l’animateur, Yvan Martineau, prend part à différentes manifestations et épreuves cyclosportives visant à faire découvrir aux téléspectateurs les charmes des régions d’un des plus beaux pays du monde où pratiquer le vélo. Cette émission peut être intéressante pour ceux qui projettent de prendre part à de telles manifestations ou ceux qui ont simplement envie de découvrir, à peu de frais, les plus belles routes cyclistes de France. "À noter que le Canal Évasion diffusera de nouveau le Tour de France cette année":http://www.canalevasion.com/emission.asp?iem=301&itype=44 et reviendra avec ses deux animateurs vedette, Richard Garneau et Louis Bertrand, _grands spécialistes du Tour_.

L.A. Official : à chacun son idée!

1 – Le nouveau livre intitulé L.A. Official des journalistes d’enquête David Walsh et Pierre Ballester sortira demain en librairie. Ce livre fait suite au premier tome, L.A. Confidential, mais « révèle cette fois certains détails du procès qui opposait Lance Armstrong à une compagnie d’assurance texane »:http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3242,36-824774@51-789918,0.html qui devait lui verser une prime en cas de victoire sur le Tour de France 2004. On y présente également « de nouveaux éléments dans l’histoire de la perte de poids suite à son cancer, perte de poids qui lui aurait permis de passer d’un coureur de Classiques à un coureur de grand tour »:http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3242,36-824775@51-789918,0.html.

Le but du livre est évidemment de porter à l’attention du grand public de nouvelles informations jugées pertinentes et susceptibles de permettre aux gens de se forger une opinion éclairée concernant une grande question: le champion américain a-t-il utilisé ou non des produits dopants au cours de sa carrière cycliste, notamment lors de ses sept Tours de France victorieux?

On peut d’ors et déjà prévoir deux réactions à ce nouveau livre. Il y a ceux qui l’accueilleront favorablement, estimant qu’il est utile d’accumuler le plus d’information possible pour être lucide dans le jugement qu’ils porteront quant aux performances du septuple vainqueur du Tour. À l’opposé, il y aura ceux qui l’accueilleront défavorablement, pour principalement deux raisons: d’une part, ils estimeront que Lance Armstrong est victime d’un acharnement, lui qui a été parmi les athlètes les plus testés du sport cycliste pendant plusieurs années. Ils mettront ce supposé acharnement sur le compte de tout ce qu’ils trouveront: anti-américanisme, nostalgie du passé (Armstrong ayant supplanté Anquetil, Merckx, Hinault et Indurain au palmarès des victoires sur la Grande Boucle), etc. D’autre part, ils vouent probablement une certaine admiration au champion américain, tous les grands sportifs ayant leurs supporters inconditionnels. L’amour rend aveugle…

« Le principal intéressé, Lance Armstrong, a pour sa part déjà réagi et sa réaction est fidèle au personnage »:http://www.cyclingnews.com/news.php?id=news/2006/oct06/oct19news. Il estime que c’est une fois de plus une campagne de salissage, ne manquant pas l’occasion de rajouter que ce livre est publié en France par notamment un journaliste français. Cet élément lui permet de donner une dimension politique à l’affaire, ce qui le sert bien pour défendre son image et sa réputation aux États-Unis, son principal marché. Il a en effet déclaré: _I raced clean. I won clean. I am the most tested athlete in the history of sports. I have defended myself and won every court case to prove I was clean. Yet another French book with baseless, sensational and rejected allegations will not overcome the truth_. « Sa déclaration complète est ici »:http://www.thepaceline.com/members/lancenewsitem.aspx?cid=2769.

Qu’en pense La Flamme Rouge ? Nous accueillons évidemment très favorablement ce genre d’ouvrage. Loin d’y voir un quelconque acharnement, nous estimons en effet qu’il est très utile que des journalistes sérieux et crédibles nous permettent d’être mieux informés sur les « affaires » de Lance Armstrong. L’ignorance et la manipulation de l’opinion publique ont en effet trop longtemps servi les intérêts des dopeurs et dopés dans le cyclisme, ces derniers pouvant ainsi opérer en toute tranquilité. Même à la retraite, le pouvoir du clan Armstrong demeure très étendu, pour preuve la récente accession à la présidence de la Fédé américaine de Thomas Weisel, un fidèle parmi les fidèles. Voilà qui, en passant, fera probablement l’affaire d’un certain Floyd Landis qui doit prochainement être jugé par cette Fédé… Quoi qu’il en soit, en l’absence de contrôles anti-dopage efficaces, le travail de ces journalistes – comme celui des policiers de l’affaire Puerto – est donc non seulement très utile mais carrément nécessaire selon nous pour faire évoluer les choses.

On termine en rappelant que Lance Armstrong a retiré l’an dernier sa poursuite face aux deux journalistes pour la publication de leur premier livre. Pourquoi ? Parce qu’Armstrong a très bien compris qu’il n’avait aucun intérêt à engloutir des sommes importantes dans cette poursuite. Ce premier livre – comme le deuxième – ne seront jamais suffisants pour le menacer de perdre ses titres sportifs pour dopage. Il n’a en effet jamais échoué de tests anti-dopage, seuls faits qui seraient reconnus devant les tribunaux pour le conduire à une condamnation (avec des aveux volontaires bien sûr, aveux peu probables!). La lutte est donc au niveau de l’opinion publique uniquement et Armstrong préfère – intelligemment – se concentrer sur cet aspect. Pour cette raison, il n’aura jamais de cesse de clamer son innocence en multipliant ses déclarations et en utilisant tous les arguments nécessaires pour semer le doute et la confusion au sein du public. Il convient de bien le comprendre lorsqu’on considère ses propos. Et en plus d’être efficace, cette stratégie a l’immense avantage de lui coûter également beaucoup moins cher!

2 – Hasard ou coincidence ? « On apprend aujourd’hui que le coordonateur antidopage de l’UCI, M. Christian Varin, vient de démissionner ‘pour poursuivre d’autres horizons professionnels' »:http://www.uci.ch/Modules/ENews/ENewsDetails.asp?id=MjU1&MenuId=MTYxNw&BackLink=%2FTemplates%2FUCI%2FUCI5%2Flayout%2Easp%3FMenuID%3DMTYxNw. Il a été remplacé par une femme, Anne Gripper, anciennement au sein de l’agence antidopage australienne.

Il y a des parfois de drôles de coincidences…

3 – Lu ce soir sur « Cyclismag »:http://www.cyclismag.com/article.php?sid=2748#ancre2, parce qu’il faut aussi savoir en rire:

*_LA Promotionnel_*

_C’est demain jeudi que paraîtra en librairie *LA Officiel* (et non pas la semaine prochaine, comme l’annonçait Cyclismag dimanche). Cet essai raconte la bataille judiciaire, les pressions et les révélations d’experts deux ans et demi après la parution d’un premier ouvrage, LA Confidentiel. Avec un peu de chance, une nouvelle pagaille va naître et, à l’horizon 2008 pourra paraître un troisième tome, *LA Sacrificiel*, dont les conséquences judiciaires déboucheraient en 2010 sur *LA Dementiel_*.

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