Le sujet est original, du moins pour moi: l’introduction de phases d’apnée (retenir sa respiration) lors d’entrainements serait bénéfique à la performance dans les sports d’endurance, augmentant par exemple (légèrement) la sécrétion d’EPO endogène au corps humain et améliorant le transport d’oxygène.
C’est une technique apparemment bien connue des entraineurs professionnels et pratiquée depuis fort longtemps. Je l’ignorais jusqu’à maintenant. Et c’est grâce à Marc Kluszczynski, pharmacien et expert sur le dopage, que j’ai pu en savoir plus puisqu’il m’a fait parvenir récemment cette critique du livre intitulé « The Oxygen Advantage » écrit par Patrick McKeown et publié en avril dernier. C’est assez intéressant, et peut-être la preuve que la natation est très bénéfique en préparation hivernale pour les cyclistes sur route! Je remercie Marc au passage de m’avoir envoyé ce résumé-critique pertinent.
Une méthode de dopage naturelle, par Marc Kluszczynski
Le titre du livre de Patrick Mc Keown est trompeur, et on lui préférerait « le paradoxe de l’oxygène ». Car la manière dont nous respirons détermine en fait la teneur du sang en gaz carbonique (CO₂). Or, l’effet Bohr, connu dès les années 1900, nous apprend que l’hémoglobine délivre plus facilement son oxygène aux tissus quand le pH du sang s’abaisse en présence du CO₂. C’est donc le gaz carbonique qui règle la respiration.
Mc Keown nous explique qu’il est inutile de trop respirer, si l’on veut favoriser la dissociation de l’oxyhémoglobine. Pour diminuer sa respiration, ou plutôt pour réduire sa sur-respiration, la 1ère méthode est d’adopter une respiration nasale, rejoignant en cela la théorie du médecin russe Konstantinovich Buteyko (1923-2003). Buteyko pensait que l’hyperventilation abaisse le CO₂, comme lors d’une crise d’asthme à son début, et le médecin proposait sa méthode dans l’asthme léger. Buteyko recommandait aussi d’introduire dans la journée, au repos, des petites pauses où l’on retient son souffle. Il s’agit donc de lutter contre l’hyperventilation, et d’augmenter la teneur du sang en gaz carbonique (hypercapnie). C’est une rééducation de la respiration que propose l’auteur.
Mais de nombreuses personnes dorment la bouche ouverte ! Que faire ? Car on ne peut négliger la rééducation de la respiration nocturne. Mc Keown propose une solution radicale pour adopter une respiration nasale la nuit : se scotcher la bouche avec du Micropore de largeur 2,5 cm ! Ce qui paraît un véritable supplice est en fait bien accepté par l’organisme, à en croire ceux ou celles qui ont essayé. Respirer par le nez augmenterait en plus la teneur sanguine en oxyde nitrique (NO) vasodilatateur.
Les progrès du passage à une respiration nasale peuvent être appréciés par le BOLT (Body Oxygen Level Test) : après une petite expiration normale (mais pas de grande inspiration), la personne s’arrête de respirer le plus longtemps possible. Le but est d’atteindre les 30 à 40 s, pour passer à la phase suivante. Le BOLT, qui n’est pas un exercice en lui-même, est à faire une fois par jour, 3 fois par semaine pendant trois mois. Des spasmes du diaphragme peuvent survenir, et aident ainsi à renforcer ce muscle essentiel dans la respiration.
Le BOLT sert à mesurer les progrès réalisés par les exercices de réduction du souffle (breathe right to breathe light), qui consistent au début à adopter une respiration nasale et abdominale imperceptible au cours de la journée et sur plusieurs mois. C’est ce qu’enseignent d’ailleurs les maîtres du Tai Chi, art martial chinois, qui recommandent de respirer de telle manière que l’on ne se sente pas le faire. On pourra ensuite pratiquer des pauses respiratoires au repos, puis pendant un exercice ; on augmentera l’intensité de l’exercice en respirant uniquement par le nez.
Cette phase suivante, Emil Zatopek (champion olympique du 10 000m en 1948 et 1952) l’appliquait déjà dans les années 50. Lorsqu’il se rendait à son travail, Zatopek s’amusait à retenir sa respiration en marchant, prenant les arbres d’une allée comme repères. Puis il utilisa cet exercice en courant, sauf bien sûr, en compétition, où il est nécessaire à plein régime de respirer aussi par la bouche. La méthode est donc connue de tous les entraîneurs.
Valerio Luiz De Oliveira, entraîneur de Joaquim Cruz, champion olympique du 800m en 1984, recommandait au brésilien de retenir sa respiration sur les 15 derniers mètres d’un 200m répété sur trois séries de quatre efforts. Et on peut penser que Chris Froome et Mo Farah pratiquent aussi ce genre d’entraînement. Et qu’Alberto Salazar l’impose aussi à ses coureurs: on se souvient que Galen Rupp s’est évanoui lors d’un entraînement! Avait-il oublié de respirer, attendant vainement le signal de son entraîneur?
Prudence toutefois: avec un oxymètre, il ne faut pas descendre sous le seuil de 80% en saturation d’oxygène, sous peine de mettre l’organisme en grand danger. Mc Keown cite plusieurs études montrant que retenir sa respiration quelques secondes 8 à 10 fois durant un exercice d’endurance permet d’augmenter le taux d’EPO endogène, alors que les meilleurs sportifs passent plusieurs mois par an à plus de 2500m d’altitude! Il ne s’agit alors que de gains marginaux.
La confirmation est apportée par une étude coréenne publiée en 2006 montrant une augmentation de 20% du taux d’EPO endogène chez les malades victimes de l’apnée du sommeil. Ces malades s’arrêtent de respirer la nuit de 20s à 1 min 20, et de 5 à 70 fois par heure.
Mais un autre mécanisme semble être en cause et intervenir dans une plus grande proportion encore: une meilleure tolérance à l’acidité sanguine, et une amélioration du métabolisme anaérobie lactique. Car Mc Keown n’hésite pas à écrire dans son livre que les bicarbonates augmentent le score du BOLT jusqu’à 8,6%. Or on sait qu’une autre substance, la béta-alanine, est dorénavant utilisée en course à pied et en cyclisme. On sait depuis longtemps que les bicarbonates, utilisés en pâtisserie et dans les sodas, permettent d’améliorer de plusieurs secondes les performances des efforts lactiques, tel un 800m. Mais en tamponnant l’acidité sanguine, les bicarbonates (s’ils améliorent le BOLT) réduisent le relarguage de l’oxygène par l’hémoglobine. A partir de ce moment, l’auteur aurait mieux fait d’écrire que pratiquer des exercices de retenue de la respiration améliorent en fait principalement la résistance à l’acidité, la sécrétion d’EPO endogène si elle est démontrée, restant accessoire et fugace.
La preuve en est donnée par l’auteur qui cite une meilleure efficacité à l’effort en haute altitude chez les sportifs ayant un BOLT élevé (plus de 40 s), de même qu’un effet sur la perte d’appétit, connu en altitude. On sait que le traitement du mal aigu des montagnes (MAM) consiste à administrer du DIAMOX (acétazolamide), inhibiteur de l’anhydrase carbonique, qui inhibe la transformation du CO₂ en HCO₃⁻. Le Diamox réacidifie l’organisme, ce qui constitue une preuve de l’effet principal du BOLT dans le registre anaérobie lactique. L’augmentation de VO₂ max constatée n’étant due qu’à la composante anaérobie qui se rajoute à la composante aérobie.
Le livre de Mc Keown a au moins le mérite de divulguer au grand public une ancienne méthode d’entraînement paradoxale : s’entraîner à l’apnée dans les sports d’endurance ! Est-elle responsable de certaines grandes performances récentes en natation et en demi-fond ?