Fort de nos lectures intensives depuis une dizaine d’années sur le dopage dans le milieu du cyclisme, nous croyions en savoir un rayon sur ce sujet ; malgré cela, les auteurs Pierre Ballester et David Walsh réussissent à nous surprendre encore plus avec un livre, L.A. Confidentiel – Les secrets de Lance Armstrong – , qui nous éclaire de façon éloquente sur les dessous du cyclisme, en particulier de Lance Armstrong et son équipe.
Journalistes d’enquête aux méthodes similaires à celles du populaire cinéaste Michael Moore, les auteurs ont interviewé une impressionnante liste de personnes qui ont gravité dans l’univers d’Armstrong et son équipe ces dernières années et qui ont accepté de parler de ce qu’elles ont vu et entendu. Pas dêanalyses sanguines positives, pas dêaveux du principal intéressé, pas de preuves formelles de dopage et donc pas dêaccusations dans ce bouquin, mais plutôt un sacré étalage de faits vérifiables très troublants – et très convaincants – sur les pratiques et les performances d’Armstrong et de son équipe. Lêimpression générale qui se dégage du livre est quêArmstrong se positionne exactement comme Virenque le faisait face au dopage : du moment quêil nêest pas pris positif, que peut-on lui reprocher ? Il respecte les balises UCI. Le reste ne nous regarde pas…
Pourquoi est-il question dêArmstrong dans ce livre, et pas des autres ? Les auteurs justifient ainsi cette enquête approfondie, qui leur aura pris 3 ans de travail : « Miracle médical, cancérologues dubitatifs, mystère d’un contrôle positif qui tourne court, démêlés avec la justice française, performances physiologiquement inexplicables, mensonges avérés, vérités dissimulées, entourage sportif sulfureux, le tout dans une discipline sportive constamment écornée par l’actualité… Quel que soit l’angle d’attaque, surgissent immanquablement un problème, une question. (…) … le malaise était trop fort. Refuser d’enquêter aurait été une offense à notre métier. (…) Peut-être vous demanderez-vous pourquoi Armstrong plutôt qu’un autre, car ce n’est pas le seul champion controversé. Les réponses sont multiples, mais l’une d’elles est déterminante : si l’on ne peut croire en l’histoire d’un sportif de haut niveau qui a survécu à un cancer avant de devenir un espoir pour tous les malades qui en sont atteints, en qui croire alors ? Car après le Tour 1998, qui a vu le cyclisme toucher le fond, Lance Armstrong est devenu sa caution morale, pratiquement sa dernière chance. Depuis bien des années, il s’est même autoproclamé hérault de la lutte anti-dopage, distribuant cartons rouges et bons points. »
Nul doute que dans la foulée des récents événements sportifs et extra-sportifs sur le Tour de France, le bouquin nêa rien perdu de son actualité !
Le livre transpire la crédibilité tant on sent le souci, chez les auteurs, de présenter des faits vérifiables, d’exposer la situation sans toutefois attaquer l’homme lui-même. C’est ainsi qu’il n’est nullement question, dans ce livre, de la vie privée d’Armstrong, de son divorce, de ses enfants voire de ses revenus ou de ses sponsors. Non, le livre ne verse pas dans la facilité, dans les accusations gratuites et personnelles. C’est bien pour ça qu’il est aussi convaincant. Tout au plus peut-on déplorer certains passages, toutefois très rares au cours des 374 pages que compte ce livre, qui nous ont gêné en ce sens qu’on dépassait la simple présentation des faits pour glisser vers le jugement de valeur envers Armstrong.
Les faits les plus convaincants viennent des révélations de quelques personnes clefs de l’ex-entourage du champion, en particulier d’Emma O’Reilly, son soigneur et masseur de 1996 à 2000, dêEddy Coyle, physiologiste à lêUniversité du Texas et qui réalisé les tests sur Armstrong pendant plus de dix ans, et d’Antoine Vayer, diplômé du professorat de sport et analyste scientifique des performances en cyclisme. Voici quelques exemples éloquents de ce que vous apprendrez dans ce livre :
1 – affaire US Postal sur le Tour 2000. Armstrong a toujours nié avoir su ce qu’était l’Actovegin, ayant même déclaré qu’il avait dô chercher sur Yahoo! dans internet pour en apprendre plus. Ce produit était pourtant le deuxième sur la liste de 126 produits – à lêépoque licite – remis par le médecin de l’US Postal à la société du Tour juste avant que ne s’élance le Tour 2000…
2 – sur le Tour 2001, la liste de médicaments licites de l’US Postal remis à la société du Tour comportait… 119 produits différents, pour… 790 boîtes! Il s’agit du double de la consommation des équipes françaises, et d’un tiers de plus que les équipes italiennes… De telles quantités ne répondent, selon tous les médecins consultés, à aucune logique thérapeutique.
3 – selon le physiologiste Eddy Coyle, Armstrong a perdu tout au plus 4 kg lors de son traitement contre le cancer, et non 10 comme Carmichael et lui aiment à dire. Sa VO2max, de 82, et sa capacité respiratoire, de 5,9 litres, n’ont pas bougé non plus avant et après son cancer. La seule chose qui ait varié de façon importante selon lui, c’est l’efficacité de son pédalage (mechanical efficiency). Or, si le truc résidait à tourner plus vite les jambes, tout le monde s’y serait mis, et depuis longtemps, selon Greg LeMond, présent lors dêune présentation du Pr. Coyle. Car que se passe-t-il lorsqu’on tourne plus vite les jambes? On crée la dette d’oxygène, et vite. Lorsque Greg LeMond appris à ce physiologiste qu’Armstrong travaillait avec le Dr. Ferrari, Coyle eut ces mots « ça me rend malade » et « jêai envie de vomir »…
4 – Antoine Vayer a validé un modèle qui lui permet de prédire, avec une marge dêerreur de moins de 5%, les temps que feront les cyclistes sur des clm ou des ascensions de cols grâce à des calculs complexes tenant compte, entre autre, de la puissance développée, de la VO2max du coureur, de son poids total (corps et vélo), des conditions atmosphériques, de la condition de la route, etc, sous lêhypothèse que ces coureurs sont hautement motivés et feront lêépreuve « à bloc ». Selon lui, aucun être humain ne peut normalement produire 400 watts à la fin dêune étape comportant 3 ascensions majeures, dont la dernière est dêune durée dêau moins 20 minutes. Selon Vayer, il y a un « hit-parade » des coureurs cyclistes : « il y a le club des 380-400 watts, auquel appartiennent une trentaine de coureurs professionnels, et pour lesquels on peut déjà sêinterroger… mais bon, ça reste dans le domaine du possible. À 400 watts, cêest le top ten. Ensuite, le groupe des 420-450 watts, voire 470-480 watts, que Lance Armstrong maîtrise complètement. En 1997, on a obtenu 494 watts avec Ullrich dans la montée dêArcalis… ». Les récentes analyses de Vayer nous montrent quêArmstrong progresse encore, malgré les années qui passent…
5 – lors de son ascension victorieuse à Hautacam en 2000, Armstrong a généré une puissance moyenne de 457 watts, après 200 bornes de course. Cela équivaut à la force requise pour soulever alternativement dêune jambe puis de lêautre, et à hauteur de 1 mètre, un sac de 45kg attaché à chacun de ses pieds pendant 36 minutes 25 secondes (son temps dêascension), soit 2175 fois de suite sans aucune faiblesse… Impressionnant.
6 – utile à notre débat sur le taux dêhématocrite de Geneviève Jeanson à Hamilton : « Sêappuyant sur les expérimentations avec 42 sportifs de haut niveau et sur les extrapolations qui en découlent, Laurent Schmitt (professeur de physiologie) est formel : les variations des taux dêhématocrite vont de 2 à 3 points. On peut pousser à 4 pour prendre une marge de sécurité. Mais quoi quêil en soit, les athlètes ne peuvent pas avancer lêutilisation dêune chambre hypoxique pour expliquer quêils ont gagné 5 ou 6 points de taux dêhématocrite. Ce nêest pas possible ».
Précisons enfin quêune fois lêenquête terminée, les auteurs ont cherché à connaître la réaction de Lance Armstrong, et ont directement pris contact avec lui pour lui permettre de sêexpliquer. Armstrong nêa jamais répondu, comme son agent Bill Stapleton, une attitude qui lui valu dêêtre débouté dans sa récente tentative dêinclure un message écrit dans le livre. Notons que les auteurs, fair-play, ont rapporté pour chacun des sujets traités dans le livre les prises de position dêArmstrong dont ils avaient connaissance, par souci dêhonnêteté.
Bref, L.A. Confidentiel ne permet pas de conclure que le champion américain ou son équipe se dopent, loin de là. Mais il ébranle sérieusement le profane qui y perdra, au passage, énormément dêillusions. Le connaisseur nêest pas négligé non plus car hormis lêélément de surprise qui nêest plus là, les liens quêon peut faire avec divers événements des 10 dernières années dans le cyclisme nous permettent de comprendre bien des choses.
Conséquemment, il sêagit dêun ouvrage de référence incontournable pour celui qui a le désir et la volonté de poser un regard juste sur le cyclisme et sur un de ses grands champions, tout comme Secret Défonce dêErwan Manthéour ou Massacre à la chaîne de Willy Voet.