Depuis une semaine, on lit tout et n’importe quoi sur l’Affaire Armstrong. Il y a 7 ans par exemple, c’était la jalousie des Français qui était évoquée pour expliquer le dossier L’Équipe. Plus tard, ce fut l’esprit mercantile de Walsh et Ballester comme explication à leurs livres-enquête L.A. Confidentiel et L.A. Officiel. Ironie du sort, Armstrong est maintenant condamné par l’agence anti-dopage de son propre pays. Du coup, on évoque désormais un « agenda caché » ou une « chasse à la sorcière ». Chaque fois donc, on trouve quelque chose pour délirer.
Je vous propose de tenter de faire le point sur un certain nombre de vos possibles questions. Je ne prétend pas tout savoir des dessous de l’affaire. Néanmoins, je propose mon analyse à votre sens critique, estimant que cette analyse est raisonnable et probablement assez proche de la réalité pragmatique des choses.
Pourquoi l’USADA a-t-elle poursuivi Armstrong pour dopage?
Tout simplement parce que son mandat est de garantir l’intégrité du sport aux États-Unis, comme celui du CCES est de garantir l’intégrité du sport au Canada. L’USADA n’a eu d’autres choix en raison de l’accumulation des preuves et des témoignages de dopage à l’endroit de Lance Armstrong. Devant une telle accumulation, que pouvait-elle faire d’autre? L’inaction aurait été pire encore, on aurait alors reproché à l’USADA de ne pas faire son travail.
L’USADA a-t-elle un agenda caché pour « descendre » Armstrong?
Je ne crois pas. Il est en effet difficile de voir en quoi le procès Armstrong est bénéfique pour l’USADA, qui n’est pas un organisme à but lucratif. L’USADA fait son travail, c’est tout, et elle n’avait d’autre choix que de le faire devant l’accumulation des preuves à l’endroit d’Armstrong. C’est un peu comme le scandale de la construction au Québec: devant l’importance des scandales, le gouvernement n’a eu d’autres choix, à un certain moment, que de mettre sur pied une commission d’enquête.
Pourquoi le gouvernement américain a-t-il mené une enquête avant l’USADA?
Parce que US Postal est une compagnie américaine publique et parce que la constitution des États-Unis interdit à un fonctionnaire (le statut d’Armstrong chez US Postal en quelque sorte puisqu’il était payé à partir de fonds publics) de mentir. Hors, Armstrong niait s’être dopé. Devant l’accumulation des preuves et des témoignages dans le procès entre Armstrong et sa compagnie d’assurance chargée de lui verser des sommes considérables en cas de victoire sur le Tour de France (prémisse à toutes ces enquêtes), le gouvernement n’a eu d’autres choix que de chercher la vérité, étant responsable à l’égard du peuple américain.
Pourquoi Novitsky a-t-il abandonné son enquête fédérale?
C’est une question difficile auquelle on ne peut répondre avec certitude. L’enquête s’est terminée abruptement, laissant croire à une décision politique soudaine d’un supérieur de Novitsky. Il n’est pas impossible (voire probable) que Lance Armstrong et son entourage aient pu influencer une personne ayant le pouvoir de tout stopper. Qui plus est, l’enquête des fédéraux américains visait à prouver qu’Armstrong avait menti au peuple américain, pas qu’il s’était dopé…
Pourquoi Armstrong n’a-t-il pas réussi à stopper l’USADA?
Ce n’est pas faute d’avoir essayé! Armstrong s’y est pris par trois fois, et a été à chaque fois débouté. Il a perdu parce que c’est le mandat de l’USADA que de lutter contre le dopage dans le sport aux États-Unis. Aucun juge, aucun tribunal n’a pu aller contre cela. Armstrong avait même reconnu, plus tôt dans sa carrière, l’autorité de l’USADA en la matière!
Armstrong demeure le meilleur puisque tous ses adversaires étaient aussi dopés que lui.
C’est peu probable. Le dopage n’est pas uniforme dans le peloton professionnel puisque les moyens financiers ne le sont pas. Il est utopique de penser qu’un coureur gagnant 40,000 euros par an dans le peloton pro peut se permettre un programme de dopage aussi sophistiqué que ceux gagnant des centaines de milliers d’euros. Déjà en 1997, Richard Virenque chez Festina consacrait des sommes considérables à son programme de dopage. Les chèques retracés entre Lance Armstrong et Michele Ferrari font aussi état de sommes considérables, de l’ordre d’un demi-million de dollars.
Lance Armstrong a gagné 7 Tours de France car il était dopé, et mieux que les autres. Il n’est pas impossible que la même chose se produise actuellement chez les Sky, l’équipe la plus riche du peloton professionnel actuel.
Armstrong n’a jamais échoué de tests antidopage, donc on ne peut croire l’USADA.
Les contrôles anti-dopage ne prennent qu’une infime proportion des coureurs cyclistes qui se dopent. Le plus souvent, on peut croire que ceux qui sont pris ont commis une erreur. Beaucoup de coureurs pros suspendus pour dopage depuis 15 ans l’ont été à la suite d’enquêtes judiciaires ou d’actions policières: Puerto, Oil for Drugs, etc. Qui plus est, l’USADA aurait les preuves que Lance Armstrong était prévenu d’avance des contrôles, lui permettant de se préparer à les déjouer. Et au pire des cas, lorsqu’un contrôle était positif dans son cas, l’UCI a étouffé l’affaire, comme sur le Tour de Suisse 2001.
D’autre part, les témoignages recueillis à l’endroit d’Armstrong et provenant de ses ex-équipiers sont largement suffisants, sur le plan légal, pour convaincre quelqu’un d’usage de produits dopants. Si les témoignages de Landis et Hamilton n’auraient peut-être pas été suffisants, ceux de Vaughters, de Leipheimer et d’Hincapie ont « bétonné » le dossier.
Lance Armstrong était un grand coureur.
Lance Armstrong était un bon coureur pro, mais pas un grand champion. Le dopage sanguin permet aujourd’hui de convertir un coureur moyen en un super-champion. L’exemple de Bjarne Riis est éloquent à ce sujet. Coureur modeste du peloton, l’EPO a fait de lui le tombeur de Miguel Indurain en 1996, rien de moins! Et je laisse tomber l’équipe Gewiss de 1994…
Il est connu que la VO2 max de Lance Armstrong était moyenne. Ses qualités sportives étaient ailleurs: une tolérance aux lactates peu commune et surtout, un mental de fer, hors norme. L’honnêteté intellectuelle exige de lui reconnaître ces deux dernières qualités.
Sans le dopage, Lance Armstrong aurait fait une carrière honnête, à l’image par exemple de celle d’un Maurizio Fondriest qui possède un beau palmarès sur les courses d’un jour, dont un titre de champion du monde comme Armstrong. Le dopage aura permis à Lance Armstrong de s’élever au rang de super-champion et de flouer des coureurs avec davantage de talent que lui, comme par exemple Jan Ullrich (qui était dopé lui-aussi, bien sûr, mais peut-être pas de la même façon qu’Armstrong, où pas aux mêmes doses). Un peu comme le dopage aura permis à Geneviève Jeanson d’elle aussi s’élever au rang de super-championne, alors que ses qualités physiques initiales étaient plus modestes.
En ce sens, le dopage sanguin est une vraie merde car il peut fausser profondément les hiérarchies génétiques, une chose que le dopage plus classique (non sanguin, celui des années 1980 et avant) ne pouvait pas faire.
L’UCI portera-t-elle les sanctions de l’USADA en appel?
Je pense que c’est peu probable. La preuve accumulée par l’USADA renferme des éléments très embarrassants pour l’UCI, notamment des preuves de contributions monétaires d’Armstrong, voire de protection en cas de contrôle positif. L’UCI sera tentée de porter l’affaire en appel pour protéger l’image du cyclisme, mais elle prendrait alors un très gros risque, celui de voir toute la preuve étalée au grand jour, et donc des éléments très accablants pour sa propre crédibilité.
Je pense donc que l’UCI « larguera » Armstrong car elle voudra d’abord se protéger elle-même en gardant les preuves dans le domaine privé.
La Fédération Française de Cyclisme a-t-elle raison de demander à Lance Armstrong de lui redonner les prix monétaires gagnés lors des compétitions?
Je crois que oui. L’USADA possède les preuves que les victoires de Lance Armstrong ont été acquises grâce au dopage. Il est donc normal que Lance Armstrong, qui a triché, redonne les primes monétaires de ses victoires, car il n’aurait pas dû les toucher.
Pourquoi revenir si loin en arrière?
Parce qu’il est possible de le faire, tout simplement. Et parce que cela envoie un message fort qui aide la lutte contre le dopage: les tricheurs ne seront jamais tranquilles si on peut revenir en arrière comme on a pu le faire avec le dossier Armstrong, dont une partie non-négligeable repose sur des témoignages de ses ex-équipiers (et ils sont nombreux).
Landis, Hamilton, et les autres ne sont que des menteurs et des jaloux.
La réalité est qu’ils n’ont rien à perdre, puisqu’ils ont déjà tout perdu eux-mêmes dans leurs propres affaires de dopage. Dans ce contexte, ils ont décidé de se libérer la conscience et de parler, brisant ainsi l’omerta tacite du milieu. Ils ont très certainement été encouragés par les aveux de Bjarne Riis et d’autres, tout comme Vaughters récemment. Une vengeance à l’endroit d’Armstrong? Non, je ne crois pas. Encore une fois, la simple nécessité de se soulager la conscience après des années de mensonge prime probablement. Et aussi d’enfin se faire lâcher par ceux qui les poursuivaient sans relâche pour comprendre le « système US Postal ». En parlant, Hamilton, Landis et les autres (dont probablement Hincapie) vont retrouver la paix, la sainte paix.
Il faudrait que la preuve USADA sorte au grand jour.
Je suis bien d’accord! C’est la condition nécessaire pour que l’Affaire Armstrong dépasse le simple cas de ce coureur cycliste. C’est la condition nécessaire à un grand ménage dans le cyclisme. Je crois, encore une fois, que l’UCI ne portera pas la cause en appel car son intérêt est que la preuve demeure privée. L’UCI a trop à perdre dans l’affaire… Mais ce serait tellement bien que Lance Armstrong se mette à table et nous aide à comprendre les années 1990 et 2000, ces années sombres du cyclisme…
Lance Armstrong a donné de l’espoir à des millions de gens.
Vrai et faux. Vrai dans la mesure qu’on ne peut contester qu’il a vaincu le cancer des testicules, un cancer qui, par ailleurs, présente de bonnes statistiques de guérison. Faux lorsqu’il affirme qu’on peut gagner un Tour de France après un cancer. C’est le dopage, un dopage sophistiqué, organisé, institutionnalisé au sein de son équipe, qui lui a permis de réaliser cela. En ce sens, sans le dopage, Armstrong ne serait pas devenu un « héros américain » sur la base d’accomplissements exceptionnels. Mais il aurait pu mettre de l’avant qu’il a réussi à vaincre le cancer, comme d’autres personnes. On ne peut lui enlever cette victoire sur la maladie.