Pour une fois, les récents propos de Johan Bruyneel m'ont paru soulever un débat important dans le monde du cyclisme sur route professionnel.
En effet, je n'ai que très rarement partagé l'opinion du directeur sportif belge au cours des dernières années. Il est, par exemple, un fervent défenseur de l'usage des oreillettes en course. Je m'y oppose fermement, estimant qu'elles tuent la course cycliste. J'ajoute que j'estime l'opinion de Bruyneel intéressée: lorsqu'on dirige une des formations les plus puissantes du peloton, à même de gagner les plus grandes Classiques voire les grands tours, on a intérêt à ce que les oreillettes soient permises en course. Dans ce contexte, son opinion me paraît peu objective et, du coup, peu crédible.
Mais cette fois, Bruyneel soulève un point légitime qui touche l'avenir même du cyclisme: sa gouvernance. Et plus précisément, la redistribution de la richesse parmi les principaux acteurs du sport.
Les voix se sont multipliées ces dernières semaines autour du problème de gouvernance du cyclisme. Bruyneel l'a évoqué. Plus récemment, Zdenek Bakala, propriétaire de l'équipe belge Omega Pharma/Quick Step, en a rajouté une couche: si des changements ne sont pas opérés prochainement, une nouvelle ligue de cyclisme professionnel pourrait voir le jour. Certains ont déjà évoqué cette possibilité et manifesté leur intérêt de créer une telle ligue, comme le groupe Rothschild's.
Le problème, la source d'insatisfaction des groupes sportifs ? La redistribution des droits télé.
Le raisonnement de Bruyneel et de d'autres est simple: les coureurs cyclistes, les équipes cyclistes sont les acteurs principaux d'un grand spectacle, le cyclisme professionnel. Or, les revenus, dont la principale source sont les droits télé, vont aux organisateurs de courses cyclistes, les deux plus importants étant Amaury Sport Organisation (ASO) et RCS Sport.
Les droits télé sont en effet d'immenses sources de revenu pour le Groupe Amaury, propriétaire de Amaury Sport Organisation, filiale d'organisation d'événements sportifs du Groupe et qui organise notamment le Tour de France, la Vuelta, Paris-Roubaix, Paris-Nice, Paris-Tours, la Flèche Wallonne, Liège-Bastogne-Liège, le Tour de l'Avenir, le Tour du Qatar, le Dauphiné Libéré, le Critérium International, entre autres ! En 2012, ASO touchera 24,4 millions d'euros de droits télé uniquement pour le Tour de France ! Au total, le seul Tour de France génèrerait environ la moitié (50%) de tous les revenus du Groupe Amaury, grand groupe de presse français propriétaire, outre d'ASO, de nombreux journaux et magazines dont L'Équipe et Le Parisien.
Bref, machine à fric, le Tour de France ? De toute évidence, oui. Sans le Tour de France, le Groupe Amaury ne serait tout simplement pas ce qu'il est. L'idée de Géo Lefevre en 1902 avait servi les buts d'Henri Desgrange qui voulait vendre son journal L'Auto et ainsi concurrencer le journal Le Vélo. 110 ans plus tard, on peut dire que c'est réussi !
Mais Bruyneel et d'autres propriétaires veulent désormais leur part du gâteau. Surtout, disent-ils, que la recherche de sponsors est devenue très ardue dans le contexte économique actuel. Que les équipes cyclistes sont menacées. Et donc les coureurs.
Ce n'est pas faux: en Espagne, en Italie, en Allemagne, les équipes cyclistes professionnelles sont beaucoup moins nombreuses. Le chômage, parmi les coureurs cyclistes, est élevé. Si le peloton World Tour s'en sort, c'est que d'autres équipes cyclistes se forment: en Australie, aux États-Unis, au Royaume-Uni, au… Kazahkstan !
Bref, la question d'un partage plus équitable des revenus du sport cycliste professionnel est-elle légitime ? Je pense, comme Bruyneel, que oui. Et que c'est le bon moment de porter cette question à l'avant de la scène.
L'UCI a-t-elle un rôle à jouer ? Je pense également que oui. C'est à l'UCI que revient la légitimité de parler au nom de toutes les équipes cyclistes professionnelles. C'est l'UCI qui a la légitimité de parler avec ASO et RCS et de porter ces questions à leur attention.
La solution ?
Elle est simple: trouver une façon équitable de rediriger une partie des profits, dont la majeure partie provient des droits télé, des grandes courses cyclistes de ce monde vers les équipes professionnelles et ses principaux acteurs, les coureurs.
N'est ce pas ce que la plupart des grands sports professionnels de la planète – football, baseball, basket, hockey, F1, football américain – font avec les revenus tirés de la vente de billets et de produits dérivés ? En l'absence d'une telle possibilité pour le sport cycliste en raison de la nature même du sport (pas de stades et on voit mal comment facturer le bord de route aux fans!), les droits télé deviennent la source de revenus à partager.
Bref, je suis pour une fois d'accord avec Johan Bruyneel: les coureurs sont les principaux acteurs du sport cycliste professionnel. Dans ce contexte, il apparaît normal qu'une partie des profits générés par la présentation d'un tel spectacle leur revienne. Plus que jamais, il faut que l'UCI entame des pourparlers avec les grands organisateurs de courses cyclistes pour négocier ce partage. Les organisateurs de courses cyclistes ayant leurs défis, le partage des revenus risque fort d'être un long et difficile débat au cours des prochaines années. Mais nécessaire pour le développement du sport cycliste professionnel.