La Flamme Rouge continue sa série d’analyses-critique d’ouvrages cyclistes ayant vu le jour au cours de la dernière année et vous présente Le sale Tour, des journalistes d’enquête Pierre Ballester et David Walsh, déjà auteurs de LA Confidential et de LA Official.
En un mot: c’est un incontournable. Quiconque veut simplement avoir une opinion éclairée des dessous du cyclisme ainsi que du retour de Lance Armstrong ne peut raisonnablement faire l’économie de la lecture de ce livre. Documenté, fouillé, truffé de témoignages – dont certains sont des dépositions sous serment – de dizaines de témoins, c’est une enquête sérieuse et objective que nous livrent là Ballester et Walsh, deux auteurs qui veulent manifestement savoir que la vérité, rien que la vérité. Rappelons que c’est le journalisme d’enquête, celui d’Alain Gravel, qui permis d’aller au fond de l’Affaire Jeanson. Le travail de Ballester et Walsh n’est pas différent et on ne trouve rien, dans les 239 pages du livre, nous permettant de remettre en question les intentions des auteurs ou le professionnalisme de leur travail.
L’ouvrage se divise en quatre grandes parties. La première propose un retour sur les nombreuses casseroles que traine Lance Armstrong face au dopage. Si plusieurs faits sont présentés (contrôle positif aux corticoides lors du Tour 1999, procès Simeoni, dossier L’Équipe de 2005, etc.), les auteurs contextualisent avec succès ces histoires en relatant les témoignages, certains sous serment, de divers acteurs très proches du coureur américain. Par exemple, voici un extrait d’un échange entre les ex-US Postal Jonathan Vaughters (JV) et Frankie Andreu (FA) au lendemain de la 4e victoire d’Armstrong sur le Tour:
JV: Je pourrais même te dire comment Lance a dupé son monde.
FA: Et comment George Hincapie faisait pour monter les cols en tête devant tout le peloton?
JV: De la manière dont me l’a raconté Floyd, je connais la méthode.
FA: Vas-y explique. Quand en as-tu parlé avec Floyd ?
JV: Je ne sais plus. C’est compliqué maintenant d’éviter tous les contrôles – ca n’a rien à voir avec une nouvelle substance, mais avec la manière planifiée de procéder. C’est pour ça qu’ils se sont tous plantés lors de la neuvième étape – ils n’ont pas été réalimentés – puis lors de la journée de repos, boum, 800 millilitres de cellules bien denses.
FA: Ils ont maitrisé le processus, bien joué.
JV: Ils ont retiré le sang juste après le Dauphiné.
FA: Comment se débrouillent-ils pour passer à travers, ou pour le garder ? Je suis sûr que ce n’est pas dans le frigo du camion.
JV: Une moto. Des glacières réfrigérées les jours de repos. Floyd a une photo du truc.
FA: Dingue. Le procédé est monté d’un cran.
JV: Oui, c’est compliqué mais avec de l’argent, tu peux le faire.
Ce chapitre a également l’avantage de nous faire comprendre la stratégie en 3 temps mise de l’avant par Lance Armstrong pour limiter les dégâts. Son premier rempart est l’intimidation des témoins ; ce fut tenté sur Greg Handerson, sur Greg LeMond aussi. Le second rempart est l’achat pur et simple du silence. Armstrong aurait ainsi, de témoins sûrs, fait parvenir un chèque de 500 000$ à Hein Verbruggen pour que l’AUT nécessaire à la neutralisation de son contrôle positif aux corticoides lors du Tour 1999 passe comme une lettre à la poste. Le silence de nombreux autres témoins a également été acheté de la sorte. Dernier rempart lorsque tout le reste a échoué et que procès a lieu, comme celui l’ayant opposé à la société d’assurance SCA Promotions, la négation ou l’oubli. Certains extraits de dépositions de Lance Armstrong et relatées dans le livre sont carrément loufoques, Armstrong n’ayant pour seule défense devant le juge que les mots "je ne me souviens plus" ou "je ne sais pas". Cette approche est par ailleurs bien connue et a été employée avec beaucoup de succès lors de la commission Gomery, au Canada, dans le dossier du scandale des commandites !
La seconde partie du livre est consacrée aux récents dessous du cyclisme, dessous qui permettent de bien comprendre dans quel contexte s’inscrit le retour de Lance Armstrong. Relatant la séquence d’événements partant du décès du pdg du groupe Amaury en 2006 – le point de départ – jusqu’à la nouvelle lune de miel ASO-UCI – le point d’arrivée – les auteurs nous montrent dans quelle mesure le récent virage à 180 degrés dans les relations UCI-ASO ne tient en rien du hasard et émane plutôt de nouveaux acteurs chez ASO et de l’éviction de d’autres (Patrice Clerc, Pierre Bordry, Dick Pound, etc.). Ce sont ces nouveaux acteurs qui sont responsables d’un changement radical de cap envers la lutte contre le dopage, les scandales qui y sont associés pouvant nuire au chiffre d’affaire du groupe de presse français…
Ballester et Walsh y présentent également plusieurs éléments très troublants à propos des vraies raisons pour lesquelles l’UCI a cherché à tout prix à reprendre le contrôle de la lutte contre le dopage lors des épreuves cyclistes, contrôle momentanément cédé à l’AFLD en 2008 sur le Tour. Beaucoup d’éléments troublants également quant à l’influence toujours immense sinon totale d’Hein Verbruggen sur l’UCI et quant à l’entrée de ce dernier au capital d’ASO via une filiale appelée ASO International.
Le livre se termine enfin sur les entreprises de Lance Armstrong, surtout LiveStrong.com, une société à but lucratif lancée par la compagnie Demand Media Inc. au sein de laquelle Lance Armstrong lui-même détiendrait des parts de capital. LiveStrong.net, quant à elle, est toujours aujourd’hui faiblement classée sur divers sites américains de surveillance des sociétés caritatives, estimant à faible l’efficacité opérationnelle de la fondation. Là encore, les témoignages sont éloquents.
Le livre se termine par un entretien avec Dick Pound qui revient sur son mandat à l’AMA et surtout sur les tractations de l’UCI pour l’empêcher – avec succès – de se faire élire à la tête du Conseil international d’arbitrage du sport (CIAS).
Bref, si savoir de quoi vous parlez lorsque vous évoquez Lance Armstrong, sa fondation ou encore ses succès sportifs ou d’homme public vous intéresse, vous ne pouvez raisonnablement pas faire l’économie de la lecture de ce livre. Vous trouverez dans Le sale Tour un livre crédible, sérieux, transparent, les noms ou les sources des témoignages étant soigneusement répertoriés dans l’ouvrage. Comme le dit Gabriel Béland dans son petit compte-rendu du livre, "Mais les preuves sont là, Le sale Tour les amasse, nous les mets sous le nez, et de la magie, il ne reste rien".