Récemment retraité des pelotons, Dominique Perras a accepté, pour le bénéfice de La Flamme Rouge, de répondre à quelques unes de nos questions portant essentiellement sur ses projets d’avenir, notamment ce nouveau site d’entraînement qu’il a lancé avec Mathieu Toulouse, lui-aussi récent retraité du cyclisme. On revient également sur ses méthodes d’entraînement et sa longue carrière cycliste.
La Flamme Rouge: Dominique, te voilà désormais retraité du sport de haut niveau. La pratique sportive te manque-t-elle ? As-tu maintenu l’entraînement ces dernières semaines ou la coupure est totale ?
Dominique Perras: Jusqu’à maintenant je suis très occupé donc je n’ai pas le temps de m’ennuyer. J’ai roulé une à deux fois par semaine de septembre à novembre, depuis je fais un peu de jogging et je joue au hockey à l’occasion. J’ai aussi apporté mon vélo avec moi en vacances en Californie et ai fait quelques sorties de 2h. Mais dans l’ensemble disons que j’ai observé une grosse réduction de mon temps d’entraînement.
Dominique Perras: Je pense que les gens qui m’ont côtoyé peuvent témoigner de toute ma passion pour ce sport donc oui, bien sûr, c’est une façon de rester impliqué dans le cyclisme et de transmettre certaines de mes connaissances acquises en 20 ans de compétition. Notre projet s’adresse autant aux coureurs qu’aux cyclosportifs de tous les niveaux, ce qui a l’avantage de me remettre en contact avec toutes les catégories de pratiquants du sport cycliste.
La Flamme Rouge: Le domaine du coaching en cyclisme s’est beaucoup développé ces dernières années, nombreux étant les centres à Montréal ou ailleurs offrant de planifier et de superviser l’entraînement d’athlètes. En quoi avelocoaching se distingue-t-il des autres centres du même genre ?
Dominique Perras: Nous tenons à nous positionner de façon distincte et non en opposition par rapport aux autres centres d’entraînement. A mon avis, nous nous distinguons à plusieurs égards. D’une part, nous offrons d’aller rouler, en privé, avec nos clients, ceci afin de prodiguer des conseils sur le terrain et non pas uniquement via internet. Nous croyons que certains éléments techniques peuvent améliorer un cycliste presque tout autant que le meilleur des plans d’entraînement.
Ensuite, nous croyons à une approche à moitié scientifique et à moitié intuitive, c’est à dire que nous reconnaissons que la science de l’entraînement est loin d’une science exacte ! Nous visons donc de bâtir des plans d’entraînement qui évoluent avec les progrès d’un client. Par ailleurs, nous visons un volume de clients moindre que nos concurrents, ceci afin d’être en mesure d’offrir un service entièrement personnalisé.
Enfin, je crois que notre avantage concurrentiel provient de notre contact récent, et toujours présent, avec le milieu cycliste de compétition et les récentes évolutions de l’entraînement. Humblement, je pense qu’après 16 ans passés comme membre de l’équipe nationale, 9 ans comme professionnel et avec mon niveau 3 de certification nationale des entraîneurs, j’ai un bon bagage à offrir à mes clients.
La Flamme Rouge: Tu laisses l’image d’un coureur cycliste très régulier, aux résultats constants années après années. Quels étaient les fondements de ton entraînement ?
Dominique Perras: Merci du compliment. C’est vrai qu’hormis quelques ennuis de santé, et peut-être exception faites de mes deux dernières saisons où, pour différentes raisons, j’ai été plus irrégulier dans mon entraînement, j’étais généralement très régulier. J’ai misé, à presque tous les débuts de saison, sur un bon volume de base qui, je crois, est la base de la régularité et des performances dans les épreuves aérobiques et d’endurance. J’ai certes dû faire certains compromis sur ma vitesse, ce qui sur le circuit américain est assez important, mais j’ai toujours visé les compétitions longues et difficiles tout comme les courses par étapes. Je sais qu’au Québec et aux USA, plusieurs coureurs valorisent beaucoup les victoires dans les critériums, mais moi j’ai toujours voulu me démarquer dans ce que je considère comme les vraies épreuves cyclistes, c’est-à-dire celles les plus reconnues sur la scène mondiale en tout les cas, soit les courses par étapes et les courses d’un jour difficiles tels que les championnats nationaux et du monde.
La Flamme Rouge: Comment abordais-tu la période hivernale au Québec ? Consentais-tu aux interminables séances de home-trainer dans ton sous-sol ou privilégiais-tu le ski de fond à l’extérieur ?
Dominique Perras : L’idéal, bien sûr, c’est de pouvoir profiter de l’hiver pour faire du volume en vélo. Pour cela toutefois, il faut quitter le Québec pour des cieux plus cléments. Mais quand j’ai passé mes hivers au Québec, je tentais de rouler dehors dès que la météo le permettait. Je me souviens, entre autres, de ma seconde année junior où, motivé à l’idée de me faire sélectionner pour les championnats du monde junior, Daniel Belleville et moi avions roulé pratiquement à tous les jours ! Mais sinon, je roulais en vélo de montagne, et optais pour un combo ski de fond, musculation et exercices brefs mais intenses sur le home-trainer.
La Flamme Rouge: Utilisais-tu un système de mesure de la puissance comme un capteur de type SRM, un cardiofréquencemètre ou faisais-tu plutôt tout "aux sensations" ?
Dominique Perras: J’ai longtemps résisté à la technologie et n’utilisait qu’un cardiofréquencemètre. Ce fut peut-être une erreur car j’ai utilisé un appareil de mesure des watts ces dernières années et j’en ai compris toute l’utilité, notamment pour les contre-la-montre et afin de bien gérer son effort dans les longues montées.
La Flamme Rouge: Adepte de l’entraînement classique basé sur le foncier ou plutôt adepte de l’entraînement moderne basé sur de courtes séances, mais meublées d’intervalles ?
Dominique Perras: Tout dépend du temps disponible pour une personne, de ses objectifs et de la météo. Quelqu’un qui passe l’hiver au Québec peut difficilement miser sur le volume, alors l’approche de l’entraînement par intervalles est idéale. Par contre, pour un coureur qui veut passer pro, il faut passer par une période hivernale axée sur le volume sur le vélo (et pas sur un home-trainer) et essayer d’augmenter progressivement ses charges d’entraînement pour un jour, peut-être, pouvoir passer au travers de courses par étapes de 25 à 30 heures de course par semaine.
La Flamme Rouge: Durant ta carrière, consentais-tu à des entraînements spécifiques sur ton vélo de contre-la-montre afin de te préparer à ce type d’épreuve ?
Dominique Perras: Je n’ai jamais été un spécialiste des contre-la-montre ! Toutefois, de temps en temps, oui, je roulais avec mon vélo de contre la montre. Des spécialistes comme Eric Wohlberg ou Roland Green, par exemple, roulaient sur leur machine de contre-la-montre environ 1 fois par semaine. A l’approche des grandes épreuves, je l’utilisais plus fréquemment, c’est vrai.
La Flamme Rouge: Tu as fait partie de l’équipe EVA-DeVinci pour ta dernière saison de coureur élite. Quels sont les jeunes coureurs qui t’ont le plus impressionné en 2008, chez EVA comme ailleurs ?
Dominique Perras : Au sein de mon équipe, plusieurs coureurs ont démontré l’étendue de leur talent. Guillaume Boivin et Jean Sébastien Perron, entre autres, m’ont impressionné, de même que Simon Brassard qui nous a tous surpris au championnat québécois. Arnaud Papillon aussi a très bien fait pour un coureur de 19 ans et Eric Boily a été solide tout au long de la saison. J’ai aussi été impressionné par la classe de David Boily.
La Flamme Rouge: Désignerais-tu un successeur à Dominique Perras au sein du peloton québécois ?!
Dominique Perras: En 2003, alors en Europe, le magazine cycliste « Cyclisme international », m’avait demandé une question similaire ! J’avais alors suggéré Dominique Rollin et François Parisien. Cinq ans plus tard, force est d’admettre que je ne m’étais guère trompé et je suis bien content pour eux !
Il se trouve que plusieurs jeunes coureurs québécois sont voués à un bel avenir selon moi, tels que David Veilleux, Eric Boily, Arnaud Papillon, Guillaume Boivin ou Simon Lambert-Lemay. J’observe toutefois qu’aux cours des dernières années, les jeunes canadiens sont encore un peu juste – Christian Meier étant la seule exception – dans les épreuves par étapes montagneuses ou dans des courses plus relevées, pour preuve leurs récentes difficultés au Tour de l’Avenir qui, pourtant, n’est ouvert qu’aux moins de 23 ans et non plus aux jeunes professionnels. Idem dans la course sur route des mondiaux U23. Je m’interroge à savoir si c’est en raison du fait que les jeunes se concentrent sur le type d’épreuves que l’on trouve aux USA et au Canada (i.e. beaucoup de critériums) ou si c’est parce qu’ils privilégient essentiellement des entraînements courts et intenses au détriment du volume et de l’endurance aérobique, tous deux nécessaires pour performer à l’échelle mondiale.
Si j’avais à choisir un coureur qui a le potentiel de se distinguer à moyen ou long terme (4-7 ans), en particulier en montagne et dans les courses par étapes, je crois que je choisirais David Boily. C’est un jeune de la région de Québec qui a connu un Tour de l’Abitibi phénoménal, qui a remporté le Championnat canadien de la course aux points et madison et qui a de très belles qualités aérobiques.. S’il continue de travailler fort et est discipliné, je crois qu’il atteindra un bon niveau dans 4 ou 5 ans.
La Flamme Rouge: Tu as couru une saison chez Post Swiss en 1999 et chez Phonak en 2000, et ensuite chez Flanders-Iteamnova en Belgique, faisant donc plusieurs courses en Europe. Dominique Rollin s’apprête lui-aussi à intégrer la scène des courses professionnelles en Europe. Basé sur ton expérience, quel conseil lui donnerais-tu afin qu’il réussisse son passage chez les pros en Europe ?
Dominique Perras : Je connais assez bien Dominique pour lui transmettre mes conseils directement ! Mais pour jouer le jeu et pour le bénéfice des lecteurs de ce site, disons que je lui suggérerais de faire une base énorme cet hiver et d’arriver en pleine forme au camp d’entraînement très bientôt. Dans ce contexte, il ne faut pas qu’il songe à sa forme plus tard durant la saison. Les courses par étapes sont si difficiles en Europe qu’il faut être à 100% pour y performer, faute de quoi elles peuvent vous détruire rapidement. Enfin, je lui suggérerais de signer une entente de 2 ou 3 ans si possible car, dans la plupart des cas, les premières années peuvent être difficiles et on a tendance à être moins patient envers un coureur canadien qu’un coureur "local", c’est-à-dire un coureur français ou italien par exemple.
La Flamme Rouge: Tu as eu une carrière bien remplie, ponctuée de beaux succès. L’année 2003 demeure à mon avis ta meilleure saison en carrière avec ce titre de Champion canadien acquis à Hamilton et, à la clef, ta participation aux Mondiaux dans cette même ville quelques mois plus tard. C’est ton avis aussi ?
Dominique Perras: Ce sont de très beaux souvenirs et 2003 fut peut-être ma meilleure année en terme de résultats, avec le Championnat canadien, une victoire d’étape dans une arrivée au sommet au Sun Tour en Australie, une 3ème place au Tour de Qinghai Lake en Chine et une 8e place au classement final du Tour de Beauce. Mais je dirais toutefois que ma meilleure saison fut ma saison 2005 ou j’ai bien marché durant toute l’année et ou je suis passé bien près de remporter le Sun Tour. Je n’ai perdu le maillot jaune que la veille de l’arrivée aux mains de Simon Gerrans, vainqueur d’étape cette année sur le Tour. En 2005, j’ai eu une saison solide aux USA également, perdant le maillot de leader dans un criterium, via le jeu des bonifications, lors de la Fitchburg Longsjo. Bref, je crois que 2005 fut ma meilleure année au plan physiologique. Ceci dit, je ne crois pas en l’utilité d’être nostalgique!
La Flamme Rouge: Que conserves-tu comme souvenir de ton expérience aux Mondiaux d’Hamilton ? Comment s’était déroulée ta course ?
Dominique Perras: Ma course comportait 2 objectifs : essayer de m’intégrer à un gros groupe d’échappée s’il y avait lieu dans les premières heures de course et aider Michael Barry, qui venait de terminer en force la Vuelta, à se positionner dans le final. La course se déroula à une allure rapide mais constante et il n’y eu jamais plus de 2 ou 3 coureurs devant. Il était donc inutile, dans ce contexe, de chercher à s’échapper et je suis donc resté aux avant-postes une bonne partie de la course. J’ai réussi à aider Mike de façon significative en ce sens et à deux tours de la fin je me suis retrouvé dans une cassure au sommet de la première montée. J’ai terminé dans un petit groupe, en 100e place environ.
J’ai aussi fait trois championnats du monde pro (Plouay 68e, Hamilton 104e et Madrid DNF) et un junior (92 à Athènes) mais ceux d’Hamilton resteront toujours les plus spéciaux en raison de ma famille, de ma femme et de nombreux amis sur place.
La Flamme Rouge: Quel a été le plus bel exploit qu’il t’aie été donné de voir sur une course cycliste au cours de ta carrière ?
Dominique Perras : Bonne question ! J’en ai vu tellement que c’est dur d’en pointer un seul, et je ne suis pas tout à fait du type groupie mais… Je me souviens d’une victoire de Francesco Casagrande à la Coppa Placci il y a quelques années. Après un forcing phénoménal de Massimo Donati au terme duquel il ne restait pas plus de 20 coureurs en course, Casagrande s’était détaché dans l’ascension de San Marino et avait résisté à un groupe derrière comportant entre autre Danilo DiLuca, Marco Pantani Davide Rebellin, Michele Bartoli, Paolo Bettini et autres. Je faisais partie de ce groupe jusqu’au paroxysme du forcing de Donati ; je m’étais alors fait décroché et j’ai abandonné la course. J’ai donc pu assister à son terme sur le circuit final. C’est peut-être une victoire parmi d’autres, mais j’ai vu ce duo Donati-Casagrande faire ce type de sélection, au train, pratiquement en faisant exploser tout le monde un à un, dans plusieurs autres classiques italiennes (Tre Valle Varesine, etc.) et c’était, disons, très spécial.
Je me souviens aussi d’un coureur de MROZ à la Course de la Paix en 2003 qui s’était échappé au tout début d’une étape de 200km, dans un vent de face épouvantable et sous la pluie. Il avait eu une avance maximale de 25 minutes et avait résisté au peloton où pourtant Telekom et Gerolsteiner avaient mis en route, avec à peine quelques minutes à l’arrivée. Cette étape avait pris plus de 5h30 de selle et il avait tout fait tout seul, dans un vent de face atroce. Derrière, on s’emmerdait dans le peloton, imaginez vous lui!
La Flamme Rouge: Tu t’es imposé dans Montréal-Québec une fois et tu as terminé sur le podium à plusieurs autres reprises. Consentais-tu à une préparation spécifique pour cette course ?
Dominique Perras: L’année que je l’ai remporté, en 2004, je me souviens avoir fait 2 longues sorties consécutive, dont une longue sortie de 4 h30 seul que j’ai enchaîné (sans arrêt) avec deux heures de derrière moto (derny) pour une sortie de plus de 6h30, sortie effectuée dans les plaines de la Montérégie avec mon fidèle "motard" Jacques Barriault.
La Flamme Rouge : Je te pose la même question qu’à Alexandre Lavallée récemment: devrait-on s’inquiéter du dopage dans le cyclisme au Québec ?
Dominique Perras: Non, je ne crois pas. Il y a certes quelques rares exceptions, mais il faut savoir que le CCES procède à beaucoup, beaucoup de tests de dépistage chez les athlètes d’élite et de la relève canadienne, ce qui a un effet dissuasif et de conscientisation selon moi. Mais surtout, je crois que la culture cycliste ici est un peu différente de celle prévalant en Europe. Ceci dit, il convient d’être vigileant.
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aplg
csagrande-donati, ça envoyait des flammes… sulfureuses !
sinon, c’est bien d’avoir des infos sur le vélo canadien (quebecois), à vrai dire peu connu par içi. si j’ai bien compris, D. Rollin aurait pu briller sur le GP de Rennes, coupe de France qui n’aura pas lieu cette année.
bikelarue
Toujours passionnant ce type d’entrevue, surtout qu’il s’agit d’un coureur de chez nous.
Il y a juste la question du dopage au Québec. La question aurait du être « Qu’elle type de dopage existe t-il au Québec? » La réponse aurait été plus difficile.
Le dopage sanguin demeure marginal mais il y a du dopage dans le sport au Québec comme dans tous les pays.
L’athlétisme demeure selon moi le sport ou il y a le plus de dopés, beaucoup plus que dans le cyclisme. Courir le marathon sous les 2h04 comme ils le font présentement, il faut courir le kilo sous les 3 minutes. Essayé de courir un kilo sous les 3 minutes et vous réaliserez à qu’elle point la performance est de type extraterrestre
Andy Lamarre
J’ai rencontré ce monsieur une seule fois et j’ai été très inpressionné par son franc parlé. J’espère qu’il pourra transmettre son expérience a beaucoup de jeune Québecois et Canadiens. Merci pour l’entrevue.
Mitch
Vraiment intéressant. J’espère qu’il y en aura d’autres.
Je souhaite beaucoup de succès à Dominic dans sa nouvelle carrière.
Patrick B
Bonne entrevue. Merci Laurent. Voilà un travail très utile.
Demain, championnat de France de cyclo-cross. A la télé française, strictement rien, chaines thématiques comprises. Sur France 3, trois séries policières allemandes.
Pub ou pas pub, à quand la possibilité d’un abonnement (payant) exclusif à des chaines sportives et cinémas qui dégagerait de la redevance. Un peu de libéralisme ne ferait pas de mal en ces temps de collectivisme (extrêmement) centralisé (!), mesdames et messieurs de l’assemblée nationale.
Trudo
Laurent,
Super ton entrevue. Ça nous prend une entrevue de Rollin avant le début de la saison.
bebye