Le milieu cycliste du Québec est sous le choc: Arnaud Papillon, champion canadien sur route en 2010 chez les U23, vainqueur de la Classique Montréal-Québec en 2008, vient d'être suspendu par le Centre canadien pour l'éthique dans le sport (CCES) pour usage… d'EPO. Dopage sanguin. On ne parle pas ici d'amphétamines ou de stéroïdes – des classiques – mais bien d'un produit moderne, plus sophistiqué et qui s'injecte dans le sang.
Deux contrôles, l'un en compétition (les derniers Championnats canadiens), l'autre hors compétition, ont confirmé le verdict. Le CCES a appliqué la sanction conformément au règlement et a suspendu Papillon pour une durée de deux ans.
Dans la foulée, Arnaud Papillon a réagi sans tarder via un communiqué et mis un terme à sa carrière. J'ai trouvé ce communiqué équilibré, nuancé et responsable: "Je reconnais avoir commis un geste inacceptable et je le regrette. Je m’excuse pour la déception que je cause à ceux qui m’ont fait confiance, notamment mes proches, mon entraîneur et les membres de mon équipe. (…) Je devrai vivre avec cette réalité et les apprentissages qui en résultent pour le reste de ma vie. (…) Le cyclisme exige un dépassement de soi où n’ont pas place les paradis artificiels. Je vous supplie de ne pas vous y laisser prendre." Papillon me déçoit énormément, mais conserve, avec cette réaction, une partie de mon estime.
Un dopage seul ?
Espérons maintenant que Papillon collaborera avec les autorités pour mieux comprendre son geste et son contexte, de même que ses sources d'approvisionnement. Car on a peine à croire qu'il s'est dopé seul à l'EPO, un dopage qui nécessite tout de même une certaine connaissance de la substance, de son administration et des protocoles sous-jacents pour en maximiser les effets. Si des gens de son entourage l'ont aidé, Papillon doit maintenant les dénoncer, c'est son devoir s'il veut aider la communauté cycliste.
Bientôt d'autres têtes ?
Des personnes proches du milieu m'informent que d'autres cyclistes québécois de premier plan pourraient être convaincus de dopage par le CCES très prochainement. Affaire à suivre… et si cela se confirme, ces personnes auraient-elles agi avec Papillon?
Si tel est le cas, on sera vraissemblablement devant le plus gros scandale de dopage dans le cyclisme au Québec depuis la triste Affaire Jeanson il y a quelques années. Wait and see.
Le syndrome Foglia
Évidemment, la nouvelle a suscité beaucoup de réactions. Plusieurs d'entre elles évoquent une grande déception. Je partage cette opinion et je suis également très déçu de Papillon. C'est un triste jour pour le cyclisme québécois.
La réaction de Louis Garneau Sport est un exemple selon moi: affirmant leur grande déception, ils ont annoncé derechef une série de mesures – modestes, mais il faut bien commencer quelque part – pour accroître leur lutte contre ce fléau. Bravo.
Parmi beaucoup de réactions cependant, se dégage une impression de surprise, d'étonnement. Un peu comme si plusieurs nous disaient "comment, un bon gars comme Arnaud dopé ? Pas possible… pas lui… De l'EPO, au Québec ? Je pensais que ces affaires là, c'était juste pour les big shot du Tour de France".
J'appelle ça le syndrome Pierre Foglia. Parce que ce journaliste en vue du Québec, souvent très bon d'ailleurs, s'est évertué à défendre aveuglément, il y a quelques années, une Geneviève Jeanson alors que les soupçons d'usage de produits dopants se multipliaient. Comprenez-moi bien: personne ne savait hors de tout doute que Jeanson était dopée, ni Pierre Foglia, ni moi, ni personne hormis son entourage direct. Ce que je reproche à Pierre Foglia, c'est d'avoir refusé de tenir compte du contexte, des éléments qui s'accumulaient, sous prétexte que c'était une petite fille de Lachine qui lui inspirait confiance et avec qui il avait développé une certaine relation. "Pas elle, voyons donc, et de l'EPO au Québec, vraiment ?!".
Et pourtant.
Avec l'Affaire Papillon, voilà une autre preuve que le dopage sanguin, c'est aussi au Québec et pas seulement chez les pros World Tour. Si peu de scandales ont éclaté ces dernières années, c'est probablement parce que peu de contrôles ont lieu.
La langue de bois
Je le pense depuis longtemps, je l'ai déjà écrit sur ces pages: le dopage – même sanguin – dans le cyclisme au Québec, c'est tabou. On en parle, mais peu. Très peu.
Surtout, on marginalise: c'est l'affaire de quelques cas isolés. Chaque scandale est traité tel quel. Et les autorités gèrent leur image en ré-affirmant haut et fort leur extrême fermeté contre le dopage, couplé de la phrase classique: "nous prenons la situation très au sérieux et prenons également tous les moyens possibles pour lutter contre ce fléau".
Vraiment ?
Et si le dopage – classique comme sanguin – était plus répandu qu'on ne le croit, même parmi la base de pratiquants ? Pas plus qu'ailleurs, mais pas moins non plus probablement.
Et si on pouvait davantage pour lutter contre, bien davantage, même avec des moyens limités ?
Quelques suggestions
Soyons constructifs. Voyons ce que nous pourrions faire ensemble.
1 – reconnaître que le dopage dans le cyclisme québécois est peut-être plus répandu qu'on ne le pense, et ce à tous les niveaux. Il ne s'agit pas de s'autoflageller bien sûr, le dopage est présent dans bien d'autres sports très probablement, voire dans toutes les activités humaines: certains ne se dopent-ils pas pour réussir un examen académique? Cette reconnaissance est cependant nécessaire pour prendre acte qu'il faut davantage lutter contre.
2 – reconnaître que deux moyens s'avèrent efficaces dans la lutte contre le dopage, et qu'ils doivent être conjugués: la prévention via l'éducation, et la peur du gendarme.
3 – côté prévention, le programme "roulez gagnants au naturel" de la FQSC a été une première étape, mais s'avère insuffisante à mon sens. En gros, le coeur de ce programme se résume à ce passage clef du document qui le présente: "La campagne « Roulez gagnants au naturel » est à la fois une réponse à la fausse perception quant à l’intégrité des athlètes qui pratiquent les sports cyclistes, et une indication très claire quant à la position adoptée depuis toujours par la FQSC face au dopage sportif, soit une tolérance zéro. Un peu à l’image de certaines organisations qui ont utilisé le bracelet comme outil de sensibilisation et de levée de fonds, la FQSC a opté pour un écusson, que tous les supporteurs de cette campagne, cyclistes et autres, pourront porter fièrement pour montrer leur adhésion à cette cause."
Très bien l'idée de l'écusson, mais il est permis de douter que cela va freiner nombre d'athlètes qui veulent se doper, même s'ils portent le dit-écusson !
Voilà une autre idée: pourquoi ne pas rendre obligatoire une formation étoffée et en ligne sur le dopage, formation qui conditionnerait l'obtention d'une licence par la Fédé ? Seuls ceux ayant suivi cette formation, incluant des questions à répondre, pourraient obtenir une licence de course leur permettant de s'inscrire aux courses sanctionnées.
Cette formation pourrait répondre facilement au manque criant de connaissances de très nombreux cyclistes à propos des produits accessibles. La créatine est-elle un produit figurant sur la liste des produits interdits par l'Agence Mondiale Anti-dopage ? Et qu'en est-il de l'éphédrine, elle-aussi facilement disponible ? L'usage d'une pompe pour l'asthme est-elle permise avant une compétition sans ordonnance médicale ? Quels sont les risques réels lorsqu'on tente de s'injecter des substances directement dans le sang ?
Une telle formation serait un moyen concret de former la communauté cycliste – notamment les plus jeunes – qui participe à des courses durant une saison et ce, chaque année. Peu chère à mettre sur pied, cette formation en ligne présente aussi l'avantage de rejoindre directement tous les cyclistes, quel qu'ils soient, et où qu'ils soient, chez eux.
4 – côté peur du gendarme, les contrôles sont malheureusement une nécessité. Là, on ne s'en sort pas. Il faut que les coureurs aient peur de se faire prendre au détour.
Or, les moyens sont limités. On ne peut multiplier les contrôles. C'est donc une question d'équilibre: assez de contrôles, mais pas trop pour respecter les budgets.
Et si on essayait de les augmenter, ces budgets ? Inclure, dans chaque licence d'équipe comme de coureur, un "prélèvement" supplémentaire en justifiant ce prélèvement par la garantie d'offrir aux coureurs des compétitions plus équitables ? Vous savez ce que coûte une saison de hockey sur glace dans une ligue de garage, excluant l'équipement ? La licence de course en cyclisme, d'un peu plus de 100$, demeure très abordable. Un effort supplémentaire pour acheter la licence de course, dans le contexte du financement de la lutte contre le dopage dans le cyclisme, serait un moyen possible me semble-t-il.