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Mois : décembre 2012

Greg LeMond, président de l’UCI?

C’est une des choses qui sont ressorties de la réunion du comité « ChangeCyclingNow » le week-end dernier à Londres, à l’initiative du PDG de la société Skins.

Comme la plupart d’entre vous très certainement, ma première réaction fut enthousiaste: Greg LeMond, président de l’UCI? Bien sûr que oui!

Greg LeMond jouit en effet d’une excellente réputation au niveau de sa probité d’athlète d’abord (je vous rappelle qu’il est le seul coureur américain à avoir remporté le Tour de France…), de son engagement à l’égard de la lutte contre le dopage ensuite. Même des experts reconnus du dopage dans le sport, et particulièrement dans le cyclisme comme Jean-Pierre de Mondenard, ne trouvent que très peu de choses à redire sur Greg LeMond qui est très certainement le dernier vainqueur « à l’eau claire » du Tour de France (voir l’ouvrage « 33 vainqueurs face au dopage – Jean-Pierre de Mondenard – éditions Hugo et Compagnie, 2011).

Mais avec un peu de recul, ce n’est peut-être pas si simple que ca.

D’une part, l’option sous-entend la poursuite de l’existence même de l’UCI dans sa forme actuelle. Il y aurait peut-être lieu de revoir cela, non?

D’autre part, Greg LeMond a été un des tous meilleurs cyclistes de l’histoire du vélo certes, et un habile homme d’affaire présentant un discours articulé, sincère, droit au but. Mais on peut penser qu’il manque d’expérience « politique » pour oeuvrer à ce niveau, entre nécessité de connaître les cadres légaux et la gestion d’une organisation qui emploie environ 60 employés à temps plein chaque année.

Enfin, le processus d’élection du président de l’UCI est lui-même compliqué. Le président est en effet élu par une sorte de collège électoral découlant du Congrès de l’UCI, l’instance suprême de l’organisation. Ce Congrès est composé de représentants d’une foule de Fédérations nationales, en premier lieu leur président. Pour le Canada par exemple, il s’agit du président de l’Association cycliste canadienne, John Tolkamp. Certaines fédérations de pays centraux du cyclisme, comme la France ou l’Italie, ont droit à plusieurs représentants au Congrès de l’UCI.

Greg LeMond devra donc s’assurer du vote de nombreux membres du Congrès de l’UCI s’il veut être élu président. Si cela ne devrait pas être un problème aux États-Unis et au Canada (du moins on espère), pas évident pour les autres fédérations nationales réparties à travers le monde. Chacune a en effet ses propres intérêts, et ses propres limites financières.

À moins que Pat McQuaid ne démissionne et que son successeur soit désigné rapidement. Évidemment, la démission de Pat McQuaid serait un grand pas en avant pour le cyclisme tout en représentant la seule façon qu’il reste à ce Monsieur de nous prouver qu’il aime vraiment le vélo…

Quoi qu’il en soit, et à bien y réfléchir, je crois qu’il serait plus réaliste de considérer une candidature comme celle de Dick Pound par exemple, un homme nettement plus rompu aux rouages de ce genre d’institutions internationales. Greg LeMond pourrait certes agir à titre de conseiller dans la lutte contre le dopage, mais je doute que ce soit à la présidence de l’UCI qu’il serait le plus efficace.

Greg LeMond lui-même a évoqué Dick Pound dans une entrevue hier au journal français Le Monde, preuve qu’il connaît lui-aussi ses limites et là où il pourrait être le plus utile. J’y vois une raison de plus d’avoir confiance en Greg LeMond, un homme qui de toute évidence adore le cyclisme et est déchiré par la situation actuelle de son sport.

Commission indépendante de l’UCI: je n’ai pas confiance

Ca y est, on connaît les noms des trois personnes qui devront, au cours des prochains mois, se pencher sur les actions – et les inactions – de l’UCI à l’égard de la lutte contre le dopage, et particulièrement liées à l’Affaire Armstrong.

Le rapport de l’USADA avait en effet soulevé de sérieux doutes à l’endroit de l’UCI, laissant entendre que l’instance dirigeante du cyclisme avait même caché des contrôles positifs ou suspects de Lance Armstrong, en plus d’agir à sa demande auprès d’autres cyclistes qui menaçaient la suprématie du coureur américain.

Ces trois personnes sont deux britanniques, Philip Otton, un juge, Tanni Grey-Thompson, une ex-athlète para-olympique, et un australien, Malcolm Holmes.

Le président de l’UCI Pat McQuaid s’est félicité de la nomination de ces trois personnes, estimant: « Some of our critics have suggested that this Commission would not be fully independent. They were wrong. The UCI had no influence on the selection of the Commission members. »

C’est vrai, l’UCI n’a pas eu d’influence sur le choix des trois personnes puisque c’est John Coates, président du Tribunal arbitral du sport, qui l’a fait.

Sauf que c’est l’UCI qui a chargé Coates de nommer les membres de la Commission indépendante! McQuaid nous prend vraiment pour des imbéciles…

Rappelons que Dick Pound, le Canadien ex-directeur de l’Agence Mondiale Anti-dopage, a déjà affirmé avoir des doutes quant à l’impartialité de Coates dans ce dossier. Il faut savoir que Coates et McQuaid sont tous les deux membres du comité olympique international…

Je partage tout à fait l’opinion de Dick Pound, à savoir que l’UCI aurait dû se contenter de demander à l’Agence Mondiale Anti-dopage de mener enquête sur ses actions en matière de lutte anti-dopage. L’UCI n’aurait pas dû nommer quiconque en charge de trouver des personnes membres d’une commission, ni même n’aurait dû s’exprimer sur la forme que cette enquête aurait pu prendre. Pourquoi en effet avoir rejeté une enquête policiaire? À ce que je sache, seuls les policiers peuvent avoir des mandats étendus pour perquisitionner. Au lieu de ça, la Commission indépendante devra demander à l’UCI ses dossiers… c’est très différent, car cela suppose la collaboration de l’UCI. L’UCI a certes promis de collaborer, mais elle garde quand même le contrôle sur ce qu’elle donnera ou ne donnera pas à la Commission.

Le rapport de la Commission indépendante devra se pencher sur les questions suivantes:

1 – les allégations du rapport USADA à l’endroit de l’UCI sont-elles fondées? On peut déjà anticiper la réponse: non.

2 – L’UCI savait-elle ce qui se passait chez US Postal? On peut déjà anticiper la réponse: officiellement, non. On ajoutera, pour être crédible, que certains membres de l’UCI avaient des doutes, mais qu’ils ne pouvaient rien faire dans le cadre légal en vigueur.

3 – Les mesures anti-dopage de l’UCI sont-elles adéquates ou sont-elles insuffisamment appliquées? On peut déjà anticiper la réponse: elles sont adéquates, les plus avancées du monde du sport. Mais elles ne sont pas suffisantes (ca donnera un nouveau mandat à l’UCI!)

4 – L’UCI avait-elle des preuves du dopage dans le cyclisme et pouvait-elle agir autrement? On peut déjà anticiper la réponse: bien sûr que non.

5 – L’UCI a-t-elle échoué sa détection du dopage lors du retour à la compétition de Lance Armstrong en 2009? On peut déjà anticiper la réponse: bien sûr que non. Tout au plus dira-t-on qu’on avait Lance Armstrong a l’oeil.

6 – Lance Armstrong a-t-il payé l’UCI et était-ce approprié? On peut déjà anticiper la réponse: oui, Armstrong a payé l’UCI. Mais c’était pour l’achat d’équipements visant la lutte contre le dopage. Et il était approprié, mais pas éthique, d’accepter l’argent.

7 – L’UCI a-t-elle découragé des gens à dénoncer le dopage? Sur cette question, difficile d’anticiper la réponse de la Commission. Évidemment, tout le monde sait bien que la réponse est oui. L’UCI n’a cherché qu’à discréditer les témoins gênants durant les années 2000, que ce soit Bassons, Simeoni, Landis, Hamilton, Jaksche, et bien d’autres encore.

8 – L’UCI a-t-elle collaborée adéquatement avec l’USADA? On peut déjà anticiper la réponse: oui, elle a fourni à l’USADA ce qu’elle demandait. En fait, ici, c’est la question qui est mal posée. Elle devrait être: « pourquoi est-ce l’USADA, et non l’UCI, qui a eu le leadership de l’enquête à l’endroit d’Armstrong? » Si nous n’avions eu que l’UCI, Lance Armstrong serait évidemment encore le vainqueur acclamé de 7 Tours de France…

9 – Les ex-dopés devraient-ils pouvoir travailler dans le cyclisme une fois descendu de vélo? Difficile d’anticiper la réponse de la Commission sur ce point. S’ils ont du courage, la réponse sera la bonne: évidemment que non!

10 – L’UCI était-elle en position de conflit d’intérêt entre son but de promouvoir le cyclisme, et sa responsabilité d’enquêter sur Armstrong? La réponse est évidemment oui, mais il est difficile d’anticiper la réponse de la Commission sur ce point-là. Là encore, si elle a du courage, elle dira oui.

11 – Les contrôles anti-dopage dans le cyclisme sont-ils adéquats et en ligne avec le travail de l’AMA? On peut déjà anticiper la réponse: non, les contrôles anti-dopage ne sont pas adéquats, et oui, ils sont en lien avec les régles de l’AMA.

Bref, pour résumer, je suis convaincu qu’il ne faut pas attendre grand chose de cette Commission indépendante pour réformer le cyclisme. Il m’apparait très clair que nos vrais espoirs résident plutôt avec des initiatives comme ChangeCyclingNow, initiatives qui découlent de personnes indépendantes des instances dirigeantes et qui luttent depuis des années contre le dopage dans le cyclisme.

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