1 – *Tour d’Italie 1956*, 20e étape Merano-Trente. L’arrivée est jugée au sommet du Monte Bondone, une montée de 14 kms. Gaul pointe à la 24e place du général, à plus de 16 minutes du leader Fornara. Il pleut. Dès le premier col du jour, Gaul se détache avec Bahamontès et Dotto. Dans la descente, ses freins ne répondent plus. Le voilà contraint de freiner avec les pieds. Au passage du second col du jour, le Predazzo, il pointe à 40 secondes de ses deux compagnons du matin. En tête au 3e col du jour, le Passo Rolle, il reperd du temps dans la descente, victime de deux crevaisons. Dans l’ascension du 4e col, le Broccon, le brouillard, la pluie puis la neige et le froid sont de la partie. La caravane du Giro est perdue, les véhicules en déroute. Au sommet, Gaul passe de nouveau en tête, mais se fait encore reprendre dans la descente. À 70 kms de l’arrivée (quelle étape!), il pointe à 2 minutes 30 derrière deux italiens échappés dans la descente, mais 7 minutes devant ce qu’il reste du peloton.
Le froid se fait plus mordant. Au pied du Monte Bondone, un vent glacial s’est levé. Il neige. Le thermomètre affiche entre -5 et -10. Tout le col se noie dans un décor apocalyptique. Les deux leaders sont en perdition, ils craquent. L’un d’eux abandonne et déclare « _pour dix millions de lires, je ne serais pas reparti_ ». C’est la débandade, l’hécatombe dans le peloton : 60 coureurs vont abandonner. Jamais le Giro n’a connu une telle catastrophe. Un coureur continue pourtant: Gaul. Il remporte l’étape, mais n’a plus la force de lever le bras en signe de victoire. Des soldats tentent de le réchauffer à l’arrivée. Une heure plus tard, à l’hôtel, il sera nécessaire de découper son maillot collé à sa peau encore bleuie. Il est désormais premier du classement général avec 3 minutes 27 d’avance sur le second, Fiorenzo Magni. Jacques Goddet écrit le lendemain dans L’Équipe : « _Charly Gaul a remporté le triomphe le plus complet qu’un coureur cycliste ait obtenu en une journée… C’est un exploit sans précédent dans le cyclisme contemporain. On retrouve là le caractère des étapes de montagne des temps préhistoriques. Il a fallu pour cela le cataclysme céleste, mais aussi la classe très rare et très particulière du petit Luxembourgeois… Dans chaque col, le fantastique grimpeur comblait son retard avec une virtuosité que, pour ma part, je considère supérieure à celle de tous les meilleurs grimpeurs connus à ce jour…_ ».
Gaul gagnera ce Giro ainsi que le classement de la montagne. Il a 24 ans.
Un an plus tard, dans l’étape qui se terminera aussi au Monte Bondone, Gaul perdra le Giro, victime d’une traitrise de Louison Bobet qui l’attaqua alors qu’il faisait… une pause pipi! Malgré une chasse de 130 kms, Gaul ne parvint jamais à rentrer sur le groupe Bobet-Nencini et perdra plusieurs minutes en haut de Bondone. Ironie du sort…
2 – *Tour 1958*. Étape du Ventoux escaladé contre-la-montre, 22 kms. Le duel du siècle entre deux grands grimpeurs, Gaul et Bahamontès. Anquetil est là aussi. Les suiveurs prédisent la victoire de l’Espagnol, plus à l’aise dans la chaleur étouffante. Il fait effectivement très chaud. Gaul s’impose au sommet avec 31 secondes d’avance sur Bahamontès. Le meilleur grimpeur, c’est lui! L’éditorialiste Michel Clare écrira : « _De l’endroit ou j’étais situé, j’ai assisté à une scène pathétique d’une grande et violente beauté, en l’espace de quelques secondes. Je me trouvais au dixième km, à l’ombre de chênes verts qui tamissaient la chaude lumière du jour. Un petit groupe de personnes s’étaient agglutinées autour de notre voiture rouge qui retransmettait le language chiffré de radio-Tour. Nous savions déjà que Bahamontès, que nous avions vu passer en danseuse, le regard fixé devant lui et suivi de sa voiture technique, avait le meilleur temps à mi-course. Nous attendions Louison Bobet. Il vint enfin, précédé d’un motard de la police, le sifflet entre les dents. Il n’était pas seul. Charly Gaul, parti deux minutes derrière lui, surgissait sur son côté, juste au détour de la route. Ces images sont pour toujours fixées dans ma mémoire. Je revois, je reverrai toujours cette petite ligne droite entre deux virages, une centaine de mètres et, devant moi, la large bâtisse de cantonnier, ses fenêtres aveugles et son toit de tuiles rouges fixées par de gros cailloux gris pour les jours de grand vent. La route, la tranche de route. Un décor de tragédie. Ce fut cruel et bref. On eût dit que l’ancien chevillard luxembourgeois ajustait une victime promise au sacrifice. Il frappa sans bavure avec une sorte de cruauté lucide et détachée. Gaul se leva sur ses pédales, s’agitant avec la frénésie contenue du grimpeur. Il prit dix, puis vingt mètres en l’espace d’un éclair. Déjà, il disparaissait au détour du chemin. Louison Bobet eu un ultime regard pour ce maillot, pour cette roue qui filait devant lui, et qui disparurent, soudainement masqués par la voiture de Goldschmit avec, sur le siège arrière, le mécano tenant une roue dans sa main droite. L’ange exterminateur était passé, il s’enfuyait dans un nuage de poussière…_ »
Gaul avait vengé l’affront de Bobet un an plus tôt au Giro…
3 – *Tour 1958*. Étape Briançon-Aix les Bains (219 kms). Lautaret, Luitel, Porte, Cucheron et Granier à franchir. Il pleut, il fait froid. Au Luitel, Gaul démarre, Bahamontès emboîte le pas. Pas pour longtemps puisque l’Espagnol est décroché avant le sommet. Gaul y passe avec 1 minute 5 secondes d’avance sur Bahamontès et déjà 5 minutes 30 d’avance sur Géminiani, maillot jaune. Quelque chose d’extraordinaire se passe. L’équipe de France (celle de Géminiani) commence à paniquer. Anquetil est à la dérive. Bobet aussi. Gaul poursuit son effort et triomphe à Aix-les-Bains avec plus de 14 minutes d’avance sur Géminiani. Anquetil abandonnera le Tour le surlendemain.
Gaul gagnera le Tour 1958, à 25 ans et demi. Jean Bobet écrira: « _Charly Gaul a gagné dans la tradition des grands maîtres en remportant les étapes décisives. Dans ce Tour, il était celui qui faisait la différence. Le seul. Donc le meilleur_ ».
4 – *Giro 1959*. Un grand duel Anquetil-Gaul est au programme. Dès la 3e étape qui arrive au sommet d’Abetone, Gaul frappe un grand coup, remportant l’étape et reléguant Anquetil à plus de 3 minutes. Anquetil déclarera à l’arrivée « _À quel moment Gaul est-il parti?_ » Il ne l’avait pas vu passer à côté de lui!
5 – *Giro 1959*, avant-dernière étape Aoste-Courmayeur (293 km!!!) par les cols du Grand St-Bernard, de la Forclaz et du Petit St-Bernard qu’on annonce enneigé. Anquetil est en rose au départ, devançant Gaul de 3 minutes 36 secondes au général. Gaul attend sagement son heure, sachant qu’elle viendrait dans le petit St-Bernard, les coureurs abordant ce col avec 240 bornes dans les jambes. Comme de fait, il s’envole dès son pied. Le journaliste Roger Frankeur écrira : « _Nous ne l’avions jamais vu aussi fringant, aussi décidé, le Charly. Un démarrage foudroyant le projeta 100 mètres devant le groupe de ses adversaires. Seul le jeune Battistini parvint à l’accompagner durant quelques brèves minutes – brèves pour Charly ces minutes, mais interminables sans doute pour l’Italien. Lorsque Battistini se fut relevé, provisoirement, étouffé par l’allure infernale du Luxembourgeois, celui-ci adopta un rythme régulier et rapide, un rythme d’une rapidité positivement ahurissante qu’il n’abandonna plus jusqu’au sommet. Il rejoignit Zamboni, Conterno, Gismondi, Junkermann, échappés depuis la vallée, les dépassa aussitôt et s’en alla, seul, sans connaître le moindre ralentissement, vers une victoire devenue certaine. Nous pesons nos mots: Charly Gaul n’avait jamais escaladé un col aussi rapidement depuis 1953. Que pouvait espérer contre cet escaladeur hors série, Jacques Anquetil ? Durant un long moment, l’ancien recordman du monde de l’Heure donna l’impression de pouvoir limiter son retard et même sauver son maillot rose. Mais, une fois passée la mi-col, les forces l’abandonnèrent. Progressivement, sa défaillance prit des allures d’effondrement. Son retard sur Gaul passa en trois kilomètres de 4 minutes à plus de 6…_ ».
À l’arrivée, Gaul remporte à la fois l’étape, le Giro et le classement de la montagne.
La plupart de ces extraits proviennent du livre « L’ange de la montagne – Charly Gaul » écrit par Jean-Paul Ollivier et publié aux éditions Glénat dans la série « La véridique histoire ».
Comme Bahamontes, comme Ocana, comme Van Impe et comme Pantani, Gaul avait donc ce pouvoir qu’ont tous les grands grimpeurs, celui de renverser une épreuve par étape en l’espace d’une seule journée en montagne et ce, en attaquant de loin comme tout près de l’arrivée. Grimpeur exceptionnel, le destin de Gaul ressemble d’ailleurs de façon troublante celui de Pantani. Tous deux d’apparence fragile, d’un moral très variable (tantôt frisant la paranoia, tantôt d’une résistance à toute épreuve), solitaires, secrets et timides, leur vie aura été différente de celle des autres, singulière. Et tragique. Les grands grimpeurs sont vraiment des êtres à part.
Le plus bel hommage à Charly Gaul ce soir est à mettre au crédit de notre inspiré collègue Raphael de Velochronique, « un hommage qu’il faut absolument lire et qui n’a rien à envier aux proses de Blondin »:http://www.velochronique.com/chroniques/article.php3?id_article=605. Chapeau l’artiste!
Et quelque chose nous dit que ce soir, Pantani et Gaul, d’ordinaire seuls en haut des cols, sont désormais deux… pour l’éternité.
Art-Mode-Design
Magnifique texte et un bel hommage.
Normal de ne pas rouler a 40km/h avec des étapes comme ça et des vélos de 15kg.
the coach
Personne n’égratigne le mythe, la prise d’amphet avec de gros effets secondaires sous la chaleur, … ah omerta
didier girsch
faut arreter sous peine d’anachronisme,ce delire sur c.gaul.il n’y a aucune omerta ou complaisance,jusqu’en 1965/1970 la prise de stimulant amphetaminique etait courante dans tous les milieux:étudiants en examen,pilotes d’engins divers y compris avions de ligne,ecrivains(Sartre a ecrit l’etre et le neant sous amphet!!!)sportifs évidemment..tous assumaient ces comportements,aujourd’hui Heras conteste les conditions (la forme) de son test positif pour ne pas reconnaitre le fond:la transgression d’une regle.
Le Vélo Sans Selle
CHARLY, T’IRAS PAS AU PARADIS
Pour une trop grande familiarité avec les anges auxquels tu ne cessais d’embrasser le cul lors de tes envolées au plus haut des cieux, pour avoir mis ton nez dans la raie des Dieux, quand d’autres étaient à l’arrêt devant ce non de Dieu, mélopée pour pédalées souples à travers les monts et merveilles, balançant ton corps entre le bien et le mal ; ce don digne de Satan qui te poussait à préférer la neige au soleil, l’apocalypse à la douceur enchanteresse, fera de toi ce mythique mutique dont le mysticisme n’aura d’égal que l’excentricité d’un Bahamontès s’arrêtant au sommet des cols pour manger des glaces. Toi les glaces, tu en fera tes alliers pour triompher sur les routes italiennes et françaises, affirmant ton talent au son des vents et tempêtes, pour fondre inexorablement aux premières chaleurs.
Sourions au souvenir d’une incontinence urinaire sur un Giro d’Italia, Louison en pleurera jusqu’à sa mort, toi le lutin des cimes, pissant à la raie du fourbe Bobet, interdisant l’exploit d’une vie en rose.
Tu quitteras la faune vélocipédique pour l’anonymat des bois, barbe à poux dansant avec les loups dans une folie destructrice pour ne réapparaître qu’en père spirituel du fragile Pantani, père spiritueux d’un enfant mort-né incapable de gérer ces pouvoirs diaboliques.
Et cette dernière ascension, nous laisseras l’amertume des derniers lacets ou l’amertume des derniers lassés ; bandaison molle en cette fin d’année. Car ce matin, on n’avait plus la Gaul…