Je connaissais comme adversaire de course Yves Lefebvre depuis une dizaine d’années, à souffrir dans sa roue lors des Grand Prix de Charlevoix alors qu’il courrait encore pour les Dynamics de Contrecoeur. Il est devenu un ami l’an dernier lorsque nous nous sommes retrouvés sur la Haute Route Alpes ensemble, qu’il faisait avec sa conjointe, la championne canadienne sur route en 2012 Pascale Legrand.
Cette année, Pascale et Yves sont devenus des « IronRiders » de la Haute Route, enchainant la Haute Route Alpes puis la Haute Route Pyrénées une semaine plus tard, excusez un peu. Ensemble, ils ont donc affrontés 14 étapes de haute montagne, près de 1500 kms de course et plus de 30 000 mètres de dénivelé!
Yves a très récemment accepté de m’accorder une petite entrevue pour le bénéfice de La Flamme Rouge, entrevue que je publie aujourd’hui. Il y a quelques semaines, Pascale avait quant à elle accordé cette courte entrevue au site Vélo 101.
La Flamme Rouge: Yves, première question, le parcours de la Haute Route Alpes 2013 était-il plus difficile que celui de l’édition 2012 que nous avons fait ensemble?
Yves Lefebvre: Pas plus difficile, mais les difficultés étaient réparties différemment. En 2012, nous avons dû affronter certaines grandes étapes marathon, notamment le 3e jour entre Courchevel et l’Alpe d’Huez, par delà Madeleine, Glandon et montée finale vers l’Alpe. C’était des étapes très difficiles, longues et comportant beaucoup de dénivelé. En 2013, pas de grandes étapes marathon de la sorte, mais des étapes tous les jours assez difficiles. Les étapes étaient donc dans l’ensemble plus homogènes en 2013 comparé à 2012.
LFR: Vous avez eu de la bonne météo…
YL: Oui, tout à fait. Super température sur la Haute Route Alpes, mais un peu plus froid le matin cependant. Le départ de Val d’Isère cette année, à 1800m d’altitude et à 7h du matin, c’était pas chaud! (2-3 degrés).
LFR: Et le plateau était-il aussi relevé que l’an dernier?
YL: Je dirais que oui. Pouly, en tout cas, a moins dominé même s’il reste sur une autre planète, et a laissé des victoires d’étape à ses coéquipiers. Sinon, pour le reste, c’était pas mal similaire à l’an dernier: sitôt l’étape lancée, c’était tout le monde pour soi et à fond les manettes jusqu’à l’arrivée. Les places au général étaient chèrement défendues!
LFR: Et ta condition personnelle?
YL: Je pense que j’étais à peu près au même niveau que l’an dernier, mais je me suis présenté au départ beaucoup, beaucoup plus frais qu’en 2012. L’an dernier, Pascale et moi sommes débarqués en Europe le jeudi avant le départ de la Haute Route, prévu le dimanche. Cette année, nous y étions un mois avant! Ca a joué énormément, surtout que nous avons passé ce dernier mois à Mégève, dans un chalet situé à 1300m d’altitude, ce qui ne nuit certainement pas à la formation de globules rouges dans le sang!!! Cette année, je me sentais vraiment bien dans les Alpes, plein de jus.
LFR: Et tu exploses tes temps!
YL: Oui, j’ai amélioré ma place au général par rapport à l’an dernier, même si ce n’était pas là mon principal objectif qui était plutôt une étape particulière, le chrono sur la Bonette où je voulais me tester. Je termine 24e je crois de cette étape en améliorant mon temps d’ascension de quelques 18 minutes par rapport à l’an dernier! Ce fut une journée de grâce pour moi, je ne sentais pas les pédales et je me suis fait vraiment plaisir. Je me suis également fait plaisir dans l’Izoard cette année, j’avais l’expérience de 2012 dans ce col et savait donc parfaitement doser mon effort. Globalement, cette année, je montais un peu plus vite les cols et ce, dès le pied où je me mettais rapidement « dans ma zone » grâce à mon capteur de puissance Quarq.
LFR: L’expérience de 2012 t’a donc servi…
YL: Oui, c’est sûr à 100%, ca a fait une grosse différence, notamment au niveau de la confiance et la gestion des ascensions comme des descentes. Je savais ce que c’était que d’enchainer 3, 4 voire 5 grosses journées de travail sur le vélo, je savais que j’étais capable de passer au travers, donc j’étais plus serein qu’en 2012. Je savais également que je pouvais donner un peu plus qu’en 2012 sans risquer de m’effondrer.
LFR: Et tu vis les mêmes émotions avec Pascale à votre arrivée sur la Promenade des Anglais à Nice?
YL: Non! Ce n’était pas la même chose que l’an dernier. La magie de terminer pour la première fois une telle épreuve n’était plus là. On était content, c’était grandiose encore une fois au niveau de l’accomplissement personnel, mais je n’ai pas revécu les mêmes émotions que l’an dernier, alors que tu étais avec nous. Les pros disent souvent que leur première victoire chez les professionnels est la plus marquante: je peux les comprendre!
LFR: Comment as-tu géré la semaine de repos entre les deux Haute Route?
YL: Pascale et moi avons pris ca très très relax. On roulait de 1 à 2h par jour, guère plus, et vraiment en roulottant. On a fait des étirements, mais aucun entrainement intensif. Aucun intervalle. Juste une sortie de 4h en milieu de semaine, mais très mollo là encore.
LFR: Et sur la ligne de départ de la Haute Route Pyrénées une semaine plus tard, tu sentais que tu avais récupéré à 100% des Alpes?
YL: Oui, complètement. Aucun souci de ce côté. J’étais à 100%, avec beaucoup de jus encore une fois. J’ai l’impression que mon corps a su assimiler la charge de travail et surcompenser efficacement. J’étais prêt.
LFR: Plus difficile, la Haute Route Pyrénées?
YL: Non, la Haute Route Alpes est plus difficile. L’épreuve dans les Alpes est plus longue, avec plus de kilomètres à parcourir, et aussi plus de dénivelé. Nous avons été chanceux dans les Pyrénées également, avec une météo très bonne sauf sur les deux dernières étapes. Il a d’ailleurs plu lors de la dernière étape, mais par chance ce n’était pas trop froid.
LFR: As-tu connu une nouvelle journée de grâce dans les Pyrénées?
YL: Journée de grâce je ne sais pas, mais j’ai connu beaucoup de bonnes journées dans les Pyrénées. J’avais ciblé une fois de plus le chrono de Hautacam pour me défoncer. Je termine 14e de cette étape je crois. Que du bonheur…
LFR: Quelle différence t’a frappé le plus entre la Haute Route Alpes et Pyrénées?
YL: Les cols des Pyrénées sont définitivement plus pentus, mais moins longs. C’était donc globalement moins dur dans les Pyrénées, mais c’est casse-pattes par moment.
LFR: Tu avais quoi comme braquet minimal?
YL: Comme l’an dernier: 39-25. Je ne mouline pas beaucoup, je monte en force (ndlr: à la Thierry Claveyrolat!).
LFR: Un col où tu as plus souffert que les autres?
YL: C’est drôle que tu poses la question, mon col d’horreur est resté le même qu’en 2012, soit la montée vers la station d’Auron dans les Alpes. C’est pas très pentu, c’est pas très difficile mais pour une raison que j’ignore, j’y ai beaucoup souffert les deux fois!
LFR: J’ai eu beaucoup de mal avec le sommeil l’an dernier sur la Haute Route, comme si mon corps tout entier avait oublié comment s’endormir. Quelle est ton expérience maintenant que tu as trois Haute Route à ton actif?
YL: De mon côté Laurent, je dors comme un bébé! C’est très important de bien dormir pour bien récupérer, ca doit donc être assez difficile si tu ne dors pas bien. De ce côté-là, pour moi c’était « pas de problème ». Nous avions, Pascale et moi, choisis l’hébergement en hôtel cette année et ca a également fait une grosse différence sur notre récupération, bien meilleure je crois que l’an dernier.
LFR: L’organisation de la Haute Route était toujours à la hauteur en 2013, comme en 2012?
YL: Globalement oui. Les ravitos, les transports de bagages, les massages, tout cela était vraiment au point une fois de plus. J’ai cependant des réserves quant à deux points. D’une part, j’ai trouvé que la sécurité était moins assurée qu’en 2012, avec moins de motos, du moins en apparence, moins de sécurité en particulier dans les descentes de cols. Certains virages dangereux, notamment un virage dans la descente du Cormet de Roseland côté Bourg St-Maurice, n’étaient carrément pas signalés, et ca aurait pu avoir de graves conséquences puisque j’y ai été surpris comme beaucoup d’autres participants. D’autre part, les transferts en autobus le matin des étapes sur la Haute Route Pyrénées étaient vraiment désagréables. C’était toute une logistique et se lever aux aurores pour se taper 1h30 à 2h de bus avant de monter sur le vélo pour l’étape, c’est vraiment pas fameux. Je comprends mieux les pros aujourd’hui qui se plaignent régulièrement des transferts sur les grands tours!!! C’était vraiment usant, plus usant que les étapes elles-mêmes…
LFR: Au bout des deux semaines de course, comment termines-tu à la fois physiquement et mentalement?
YL: Physiquement, je dois t’avouer que ca allait très bien. Mentalement cependant, j’étais usé de tout: la préparation tous les jours, les levers très tôt, les transferts, les hôtels différents tous les jours, etc. Je n’ai jamais été tanné d’être sur le vélo, mais le contexte me devenait difficile mentalement.
LFR: Et pour Pascale?
YL: Trois semaines avant de s’élancer sur la Haute Route Alpes, Pascale a eu une tendinite. Pas le bon timing mettons! Elle n’était donc sûre de rien en abordant ces deux épreuves. Au final, ca s’est bien passé, elle fait même deux podiums sur la Haute Route Alpes et grimpe la Bonette en 1h40, un très bon temps. Dans les Pyrénées, les bobos revenaient doucement au fil des étapes, il était donc temps que ca finisse pour elle. Elle a cependant bien terminé et peut elle-aussi dire « objectif réussi »!
LFR: Un mois après la fin de la Haute Route Pyrénées, il te reste quoi comme impressions dans la tête?
YL: L’idée d’avoir accompli un surpassement personnel incroyable, un réel accomplissement. Je suis également fasciné de voir comment mon corps a réagi à tout ca. Je crois que le corps sait s’adapter à ce genre d’épreuves et devient plus fort encore.
LFR: As-tu sympathisé avec d’autres Canadiens et Québécois sur les Haute Route cette année?
YL: Pas beaucoup avec les autres Québécois, que j’ai à peine vu. Par contre, comment oublier Marg Fedyna, 48 ans, une Canadienne de l’Ouest du pays qui termine 3e du général dans les Alpes et qui gagne dans les Pyrénées!! Elle était incroyable, toute petite, 110 livres mouillée, elle riait tout le temps et elle montait les cols sur le grand plateau de son pédalier compact, style 50-25 ou 50-27, la chaine en travers! Vraiment, une fille très forte qui aime assurément la montagne. C’est également elle qui gagne l’IronRider chez les femmes qui a couronné le meilleur temps des deux Haute Route. (ndlr: une entrevue avec Marg est disponible ici, et son blog personnel est ici).
LFR: Aux cyclistes québécois qui voudraient se préparer pour participer à une ou deux Haute Route, tu leur dis quoi fort de ton expérience en 2012 et 2013, et fort de tes qualités d’entraineur?
YL: Qu’il faut commencer à se préparer tôt! En janvier, il faut déjà avoir bien commencé sa préparation selon moi, notamment avec des séances de home-trainer ici, en faisant des intervalles. La planification de l’entrainement est très importante, afin de ne pas faire d’erreur, notamment au niveau de la récupération. J’ai personnellement appris qu’il faut savoir accepter d’en faire parfois moins, pour taper plus fort à l’entrainement après. Il faut donc s’entrainer, mais pas trop non plus! Pas la peine de faire 2 Haute Route à l’entrainement avant d’aborder les vraies Haute Route en France… Je conseillerais également aux gens de prévoir se rendre tôt en France avant le départ des épreuves, ceci afin d’assimiler le décalage horaire au mieux, et pour fignoler l’entrainement. Ma semaine à Mégève, à 1300m d’altitude, à rouler parfois intensément, mais également moins que d’habitude, m’a permis d’aborder les Haute Route 2013 dans les meilleures conditions, plus frais qu’en 2012. Au final, je crois que ca a fait une grosse différence sur mes performances.
LFR: Dernière question Yves, il se fait tard! Côté alimentation, tu avais modifié quelque chose?
YL: Rien ! Je ne suis pas suivi par un nutritionniste ou un médecin. Mon alimentation est donc demeurée la même que d’habitude, rien de plus. Comme je mange peu de viande rouge, j’ai pris l’habitude, depuis des années, de prendre une vitamine Centrum par jour, et une capsule de fer tous les 3-4 jours, mais c’est vraiment tout. Donc rien de spécial!
LFR: Merci Yves d’avoir pris le temps pour cette entrevue, et au plaisir de me taper le Stelvio à tes côtés l’an prochain lors de la Haute Route Dolomites!
YL: Crois-moi, tout le plaisir sera alors pour moi!
Photo: les « IronRider » des Haute Route 2013, avec Greg LeMond (à droite).
Revivez la Haute Route 2012 avec La Flamme Rouge:
Les Canadiens sur la Haute Route.
Comment suivre la Haute Route?
Ambiance village-départ sur la Haute Route.
2e étape de la Haute Route: une bonne journée!
3e étape de la Haute Route: difficile, mais une autre bonne journée.
Haute Route: chrono de l’Alpe d’Huez.
5e étape de la Haute Route: une journée difficile.
6e étape de la Haute Route: très bonne journée pour moi!
Haute Route: 7e étape et épilogue.
Les chiffres de la Haute Route 2012, avec Frédéric Portoleau.
Entrevue avec Peter Pouly, vainqueur des Haute Route 2011, 2012 et 2013 (Alpes).
Entrevue avec Christian Haettich, athlète handisport et IronRider 2013.
Michel M
par curiosité, il avait quoi comme roues? Alu ou carbone, boyaux ou pneus?
En général dans ce type d’épreuve les gens vont vers quoi?
Je suis curieux de voir ce que choisissent ces gens qui font de la distance en altitude mais qui n’ont pas à faire plaisir à un commanditaire … Désolé si vous avez déjà répondu à la question ailleurs.
G.Lambert
Good job Yves !
Serge
Bravo, impressionnant! Et il fait quoi ds la vie Yves quand il n’est pas sur un velo?
Merci, toujours interessant de comprendre le contexte.
Serg
David Maltais
Merci, ces entrevues à hauteur d’homme sont toujours intéressantes. Des aventures à notre portée si on y met toute la gomme! Ça demeure tout un exploit. J’ai le goût là!
Pascal-A Vendittoli
Notre équipe de 5 québécois (les Vél Os) a participé à la Haute Route Pyrénées 2013. Nous étions fier et impressionnés par les performances de Yves et Pascale. Je leur lève mon chapeau car cette épreuve est fort difficile et demande une condition impeccable. Les objectifs de mes copains et moi même étaient plus modeste: avoir du plaisir, vivre un moment de vélo de rêve et tout de même donner son 110%. Ayant tellement aimé l’expérience, nous nous sommes inscrits aux Alpes en 2014… Pour les passionné qui veulent relever un défi personnel et vivre une course organisée comme pour des pros… pour amateurs !