On y est. Le grand déballage vient de débuter dans le cadre du procès Armstrong.
L’USADA a donc rendu public hier la preuve à l’endroit de Lance Armstrong, Johan Bruyneel et trois autres personnes. J’ai commencé la lecture du document original, mais cela me prendra quelques jours tant le dossier est volumineux! Il couvre la période de 1998 à 2012, détaillant pour chacune de ces années, des éléments concrets du système de dopage utilisé par Lance Armstrong et ses proches.
Cinq éléments m’ont paru particulièrement intéressants jusqu’ici.
Le premier, ce sont les aveux de trois coureurs ex-équipiers de Lance Armstrong: George Hincapie, Levi Leipheimer et le Canadien Michael Barry. Ils n’avaient évidemment plus le choix puisque témoins à charge dans le dossier de l’USADA. Ils ont avoué leur dopage, mais aussi le fonctionnement à cet égard de l’équipe US Postal puis Discovery. En conséquence, ils sont tous suspendus, tout comme Christian Vande Velde, Tom Danielson et David Zabriskie. Pour Hincapie et Barry, c’est une bien triste fin de carrière… surtout que leurs victoires antérieures leur seront probablement retirées, comme les primes les accompagnant.
Le deuxième, c’est la publication des preuves de collaboration et de versements monétaires (pour un million de dollars!!!) entre Lance Armstrong et Michele Ferrari à une époque où Lance Armstrong affirmait pourtant ne plus avoir aucun lien « professionnel » avec le gourou italien du dopage. Sa collaboration s’est même poursuivie en 2009, année de son deuxième come-back. Les publications des courriels échangés entre Armstrong et Ferrari dans le mois précédent le Tour 2009 sont particulièrement intéressants.
Le troisième, ce sont des preuves scientifiques d’un dopage sanguin de Lance Armstrong entre 2009 et 2012, les années de son deuxième come-back. Des taux de réticulocytes (jeunes globules rouges) et de plasma sanguin anormalement bas et… le refus de l’UCI à l’endroit de l’USADA d’acheminer davantage de données de laboratoires sur le profil sanguin de M. Armstrong, sous prétexte que ce dernier refusait (bien évidemment) de donner son accord.
Le quatrième, c’est la façon dont Lance Armstrong pouvait facilement déjouer les contrôles. Son entourage proche (surtout Johan Bruyneel) était en mesure de le prévenir d’avance de l’imminence d’un contrôle, et donc de le planifier. Il fallait donc d’autres personnes à l’autre bout pour les prévenir, mais qui ? Le rôle de l’UCI n’est d’ailleurs pas très clair à ce niveau puisqu’en 2009, elle était conjointement responsable des contrôles avec l’AFLD. Or, il est prouvé que cette année-là, l’équipe Astana de Lance Armstrong (et Alberto Contador, le vainqueur…) a bénéficié d’un traitement de faveur à l’égard des contrôles anti-dopage. Douteux quant on connaît les liens qu’entretenaient Armstrong et l’UCI dès 2001.
Le cinquième, c’est l’usage par Lance Armstrong d’intimidation et de menaces à l’encontre de ceux qui osaient se dresser contre lui à l’égard du dopage, en particulier lorsque ces derniers brisaient la loi de l’omerta. Il est d’ailleurs intéressant de constater à ce chapitre que Hincapie, Barry et Leipheimer auront attendus hier, soit le tout dernier moment possible, pour passer aux aveux… tous étaient en activité en 2012… Le rapport prouve également que Lance Armstrong a menti alors qu’il était sous serment dans le cadre du procès avec sa compagnie d’assurance et qu’il a tenté de produire de faux affidavit.
Seuls les trois premiers éléments constituent selon moi des preuves recevables d’un dopage organisé dans le cadre d’un jury ou d’un procès. Les deux derniers sont plutôt des éléments de contexte pouvant nous convaincre de la culpabilité de Lance Armstrong.
Il est possible que les prochains jours nous apportent d’autres éléments à mesure que le rapport est décortiqué plus en détails.
Quoi qu’il en soit, une question se pose à partir de maintenant: combien de temps Lance Armstrong va-t-il pouvoir tenir sa position de deni?
Il a réagi hier par la voie de ses avocats qui n’ont pas été chercher bien loin leurs arguments de défense. C’est assez pathétique, voire cela suscite la pitié: « Ignoring the 500-600 tests Lance Armstrong passed, ignoring all exculpatory evidence, and trying to justify the millions of dollars USADA has spent pursuing one, single athlete for years, USADA has continued its government funded witch hunt of only Mr. Armstrong, a retired cyclist, in violation of its own rules and due process, in spite of USADA’s lack of jurisdiction, in blatant violation of the statute of limitations, and without honoring UCI’s demand to produce the entire USADA « file » for an independent review and decision as mandated by national and international rules. »
Chose certaine, avec chaque élément de preuve rendu public, Lance Armstrong perd davantage de sa crédibilité déjà sérieusement atteinte. Il vient toujours un moment où le mensonge ridiculise le menteur lorsque ce mensonge devient trop évident. Bref, ca va vite devenir intenable pour lui et s’il persiste, son mensonge pourrait miner complètement son avenir, par exemple ses ambitions politiques.
On peut aussi voir la situation différemment: Lance Armstrong a aujourd’hui une vraie opportunité de poser un acte de courage et d’amour du sport cycliste, en déballant lui-aussi sur une période trouble du cyclisme. Ce qui permettrait à la lutte contre le dopage de faire un grand pas en avant.
La situation risque aussi d’être difficile pour l’UCI au cours des prochains jours car elle devra expliquer comment elle a pu passer à côté, durant plusieurs années, d’autant d’éléments du dossier Armstrong alors qu’elle est la principale instance en charge du cyclisme et qu’elle affirme depuis longtemps que la lutte contre le dopage est une de ses priorités. Son inaction ne serait-ce qu’à enquêter autour des agissements de Lance Armstrong soulèvera forcément des questions et minera aussi sa crédibilité.
Mais surtout, il y a un risque énorme que tout ce déballage occulte le plus important: ce qui se passe aujourd’hui dans le peloton. Car si le procès Armstrong est nécessaire à mes yeux, ce n’est que pour nous faire comprendre ce qui peut se passer aujourd’hui dans le peloton. Et à ce chapitre, les récents calculs de Frédéric Portoleau tendent à nous montrer que les puissances sur le Tour et la Vuelta ont de nouveau fleurtées avec des seuils surhumains. S’il est probable qu’une accalmie ait eu lieu sur la scène du dopage en 2010 et 2011, il y a des doutes raisonnables quant à la saison 2012 et il n’est pas impossible que de nouveaux produits aient fait leur apparition dans le peloton, comme l’AICAR ou le GW1516 et leurs dérivés. La domination de certaines équipes en 2012, en particulier sur les grands tours, ne fait-elle pas trop penser à la grande époque US Postal?
Le piège Armstrong, c’est donc le fait que les acteurs actuels du cyclisme vont tenter de nous faire croire que tous ces scandales, toutes ces pratiques appartiennent à une époque révolue, au passé. Que le cyclisme d’aujourd’hui est beaucoup plus propre. Ca a d’ailleurs déjà commencé, par exemple les propos de Dave Brailsford, manager chez Sky, qui joue la carte de la surprise. Je crois qu’il n’en est rien, les systèmes de dopage ont simplement évolué vers d’autres produits, d’autres techniques, d’autres réseaux, d’autres passeurs. Je vous rappelle, pour preuve, que le rythme des scandales n’a rien perdu de sa vigueur avec, depuis deux ans, les contrôles positifs de Contador, Franck Schleck, Remi Di Gregorio, Ivailo Gabrovsky, et l’Affaire Pozzatto. Plus encore, Michele Ferrari continue de pratiquer auprès de coureurs pros aujourd’hui, comme Kreuziger, Pellizotti, Gasparotto, Chichi. Il convient d’être vigilants et d’user de jugement dans les performances qui nous sont offertes.
Bref, espérons que Lance Armstrong fera prochainement acte de courage en passant aux aveux pour nous permettre de bien comprendre ce qui peut se passer aujourd’hui dans le peloton, à la lumière de ce qui se passait hier dans ce peloton professionnel. Espérons que ce dossier assemblé par l’USADA soit pris au sérieux par toutes les instances du cyclisme professionnel et débouche sur des actions concrètes mises en oeuvre au sein du peloton actuel. Car si tout ce déballage ne reste qu’un exercice portant sur le passé plutôt que sur le présent, il n’y aura que des perdants dans toute cette histoire…