« Lucas, j’avais presque oublié, c’est la course sur route du Grand Prix Cycliste de Gatineau ce soir, tu veux venir avec moi regarder les coureuses faire la course? »
15 minutes plus tard, nous voilà partis à vélo, père et fils, pour voir la course. Le circuit du Boulevard des Allumettières est à moins de deux kilomètres de la maison, et je me fais un devoir d’encourager les événements cyclistes de ma région, ça me paraît normal, solidarité cycliste après tout et respect aux organisateurs qui investissent des efforts importants pour mettre sur pied de tels événements. Et puis, qui sait, c’est parfois ainsi qu’on transmet à la jeune génération le goût d’un sport…
Bretelle du Boul. des Allumettières, je m’engage toujours à vélo.
Sirène de police, la voiture étant garée tout près.
« Oui M. l’agent? ».
« Y’a une course cycliste, vous ne pouvez pas passer. »
« Merci M. l’agent, je sais en effet qu’il y a une course cycliste, c’est justement pour cela que je suis ici avec mon fils. Nous sommes en route pour aller encourager les coureuses dans leur épreuve, dont certaines que je connais. »
« Vous ne pouvez pas passer. »
« Vous savez M. l’agent, j’ai l’habitude des courses cyclistes, je suis moi-même coureur (à ce stade-ci, je présume que M. l’agent avait remarqué que j’étais habillé en cycliste avec mes vêtements La Flamme Rouge, et que je chevauchais un vélo un peu particulier, de toute évidence un vélo de course ultra-léger), et nous resterons évidemment en dehors de la route. J’ai toujours fait ainsi les dernières années et on m’a toujours laissé passer à cet endroit, j’habite juste un peu plus loin par là, vous voyez? On veut juste s’approcher un peu pour voir la course, car d’ici on ne voit rien. » (la bretelle, qui fait 500m de long en tournant, masque complètement le boul. des Allumettières).
« Vous ne pouvez pas passer, l’organisation est formelle. »
« Je vous rassure M. l’agent, je ne veux pas aller faire du vélo sur le boulevard des Allumettières, je veux juste voir la course, prendre quelques photos et encourager les coureuses, dont certaines sont des amies. Nous resterons bien en retrait, j’ai l’habitude des courses cyclistes, l’endroit n’est pas dangereux, on voit arriver les coureuses de loin, la route est trois voies de large, en plus la bretelle est séparée de la route par un petit terre-plein. »
« Vous ne pouvez pas passer. »
« Ha bon! Dans ce cas, où puis-je voir la course, M. l’agent? »
« Vous pouvez toujours monter plus haut et rester sur le viaduc, la course sera en contrebas. »
« Ha bon! Pas top pour les photos avec mon petit appareil. Rien d’autre? »
« Non. »
À ce moment de la discussion, j’ai cru utile de pousser le bouchon un peu plus loin, question de sonder jusqu’où irait le manque de jugement.
« Et le site départ-arrivée? »
« Pas sûr d’où c’est. »
« Ha bon! Donc vous me dites que je ne peux aller sur le bord de la route encourager les coureuses même si je suis moi-même cycliste de toute évidence, et que ma seule option pour voir la course est le viaduc St-Raymond 200m plus haut. »
« C’est ca. Je pense qu’il y a une piste cyclable juste ici qui longe des Allumettières mais si vous la prenez, vous devez rester dessus et ne pas vous approcher de la route. »
« Je vous confirme, M. l’agent, qu’il y a bel et bien une piste cyclable qui longe des Allumettières et oui, nous allons la prendre pour aller voir la course. Merci, M. l’agent. Bonne soirée, M. l’agent. Vous faites bien votre travail, M. l’agent. »
Comment ne pas penser, après pareille conversation, que si on accueille ainsi les rares spectateurs du GP Cycliste de Gatineau qui font l’effort de se déplacer pour simplement VOIR la course et encourager les cyclistes, ils ne reviendront plus?
Comprenez-moi bien: je suis le premier à déplorer ces inconscients qui mettent en danger la vie des coureurs en courant à leurs côtés, en pratiquant eux-même le vélo sur le parcours de la course, en prenant des photos dangereuses, en y amenant des chiens sans laisse, voire en traversant la route au mauvais moment.
Ca ne prenait pourtant pas la tête à Papineau pour voir, ce soir, que j’étais moi-même coureur, que je n’avais pas de chien, que je connaissais la course cycliste et que je présentais donc, dans ce contexte, peu de risque pour les coureuses, pour moi-même et pour mon fils. On appelle ça du jugement et notre société en fait cruellement défaut.
Chose certaine, M. l’agent n’a jamais vu des images de la montée de l’Alpe d’Huez sur le Tour, où des dizaines de milliers de spectateurs en transe se massent au contact des coureurs! Ni du Vieux Quaremont!
Anyway, je ne reviendrai plus dans mon cas, terminé. C’est aussi mon dernier reportage sur cette course, après quelques uns au cours des dernières années.
La course a par ailleurs été belle, nos Canadiennes ont bien faits (deux Canadiennes terminent en 2e et 3e places, soit Joelle Numainville et Leah Kirchmann), Lucas et moi les avons encouragé comme nous avons aussi encouragé les coureuses attardées, mais j’ai été triste de voir l’affluence ce soir: trois pelés et un tondu (ils n’étaient guère plus à l’arrivée, mais il est vrai que c’est un soir de semaine). Le sympathique Fred Gates, manager de l’équipe Apogée-Lowest Rates qui prépare actuellement le GP de Saguenay puis le Tour de Beauce, m’aura toutefois permis d’avoir un agréable moment à discuter avec lui.
J’espère de tout coeur que le chrono demain et que les événements du week-end connaitront une participation populaire plus importante, sinon y’a de quoi être inquiet pour la suite. Déjà que le caractère international du peloton n’est pas à la hausse, que les courses séniors et maitres chez les hommes ont disparu (vraiment dommage) et qu’on a à peu près rien entendu dans les médias sur l’événement au cours des derniers jours ici à Gatineau…
Les photos
Le fameux viaduc St-Raymond qui, selon M. l’agent, était ma seule option. Notez la largeur de la route à cet endroit et la présence d’un terre-plein offrant d’autres espaces pour les spectateurs sur le côté de la route.
Après deux boucles dans le Parc de la Gatineau, une échappée avait pris le large et déjà, Joelle Numainville devant (en rouge).
Toujours bien placée ce soir, Carol-Ann Canuel, une fille de la région que je croise parfois à l’entrainement dans le Parc de la Gatineau. Une belle pointure face au chronomètre, et elle a un bon coup à jouer aujourd’hui sur le contre-la-montre, ayant terminé 2e l’an dernier de l’épreuve.
Le peloton derrière chassait ferme, c’était bien étiré. Trois voies de large à cet endroit, avec le viaduc St-Raymond en toile de fond. Mais pour M. l’agent les consignes étaient claires, « vous ne pouvez pas passer. »
Plus tard dans la course et une fois l’échappée reprise, petite bosse du Parc, Joelle Numainville (en rouge) ne quitte pas les avant-postes.
Canuel non plus!
L’équipe Colavita-Bianchi était aussi attentive…
Lucas et moi avons encouragé les attardées également, certaines n’ont jamais lâché prise.
Canuel toujours bien placée.
… tout comme l’équipe canadienne.
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Certaines coureuses de l’équipe du Québec ont bien fait durant la course.
Ca relançait bien pour passer sur le viaduc Parc-Allumettières, une relance pas si facile que ça pour l’avoir déjà faite en course du temps où le GP de Gatineau présentait des courses pour les hommes.
Encore Canuel et Numainville aux avant-postes!
Et les Colavita-Bianchi pas loin non plus.
Visages marqués en fin de course… l’ajout d’une boucle du Parc aura fait mal aux jambes!
Victoire au sprint de l’Australienne Kimberly Wells, une belle pointure du peloton féminin, championne d’Australie en titre sur le critérium.