Mercredi 14 août. Dernier jour de vacances pour moi. Je termine en beauté: sortie d’entrainement prévue avec David Veilleux (Europcar) du côté de Lévis, question de faire une petite interview avec lui. La sortie sera finalement annulée, fraicheur (12 degrés), pluie et vent étant de la partie, mais David et moi nous sommes tout de même rencontrés pour l’entrevue, alors qu’il se rendait au 3e chrono d’une série régionale qui porte son nom.
Bref, pour le retour de La Flamme Rouge au service normal, grande entrevue avec David, que voici. J’aime bien David, un coureur généreux dans l’effort comme envers les autres, qui fait du vélo comme moi La Flamme Rouge pour les bonnes raisons et qui a su garder toute sa tête, sa modestie, malgré ses succès pourtant géants.
La Flamme Rouge: Salut David, merci de nous accorder une entrevue.
David Veilleux: Ca me fait plaisir.
Thème 1: Matos
LFR: On devait aller rouler ensemble, le froid et la pluie ont modifié nos plans mais je vois que ton vélo équipé d’un groupe Super Record électrique. Content?
DV: Oui, content, je n’ai eu aucun problème avec mon groupe. J’en suis très satisfait.
LFR: J’ai l’impression que ce n’est pas tous les coureurs Europcar qui utilisent le groupe électrique.
DV: Tu as raison, certains, comme Pierre Rolland ou Thomas Voeckler, préfèrent encore le groupe mécanique, d’une fiabilité absolue. Les coureurs pro mettent à rude épreuve le matériel et je sais que le groupe électrique a parfois manqué de fiabilité, mais de mon côté je n’ai eu aucun problème à ce jour.
LFR: L’équipe Europcar utilisez aussi les roues Campagnolo Bora, dans toutes les conditions. Je les aime aussi beaucoup, mais je trouve le freinage sous la pluie délicat, notamment dans les cols.
DV: J’aime moi-aussi beaucoup les Bora et je les utilise quasiment tout le temps. Pour le freinage, le secret réside dans les patins de freins. On utilise des patins de freins Campagnolo rouges, de type BR-BO500.
LFR: Tu les chausses même en montagne?
DV: Oui, même en montagne. Sur des accélérations en côte, elles sont un peu moins réactives que les Hyperon, mais elles sont plus polyvalentes. J’avais les Bora sur l’étape du Ventoux lors du Tour, car on avait 200 bornes de plat juste avant d’entamer l’ascension.
LFR: Et tu collabores aussi avec Louis Garneau au développement des produits?
DV: Exact, j’étais même avec eux ce midi pour en parler. Chez Europcar, chaque coureur est libre concernant les périphériques (lunettes, souliers, etc.) et les miens sont des Garneau. Je teste actuellement une nouvelle paire de chaussures par exemple. Garneau me fait essayer pas mal de produits et ca fait partie de notre collaboration.
Thème 2 : Tour de France 2013
LFR: Revenons un peu sur ton récent Tour de France. Avant le départ, tu avais des doutes sur tes capacités d’arriver à Paris?
DV: Sur trois semaines de course, il y a beaucoup de choses que tu ne contrôles pas. Alors oui, forcément, je me posais la question. Je savais que j’étais capable, mais il fallait aussi que tout aille bien.
LFR: Ton meilleur moment?
DV: L’arrivée sur les Champs Élysées remplis de spectateurs, sur les pavés, au soleil couchant et où m’attendait ma famille. C’est assez spécial, et rempli de signification après 3 semaines de course.
LFR: Ton pire moment?
DV: La 19e étape entre Bourg d’Oisans et Le Grand Bornand. Cétait long, c’était dur, le lendemain de l’étape de l’Alpe d’Huez. J’ai tenu jusqu’au moment ou Sagan s’est relevé avec 2 de ses équipiers. Comme je savais qu’ils rentreraient dans les délais, je me suis relevé aussi, question de bien gérer pour la suite du Tour.
LFR: Un regret?
DV: Oui et non. C’est difficile de s’échapper sur le Tour, c’est tellement dur! Je n’ai pas de regret dans le sens d’avoir manqué une échappée. Mais on veut toujours faire mieux!
LFR: As-tu constaté certaines adaptations physiologiques sur trois semaines de course?
DV: Pas vraiment, je n’ai pas perdu de poids sur le Tour! J’ai cependant été surpris d’avoir parfois, le soir des étapes, les jambes très lourdes mais elles repartaient efficacement le lendemain. Les jambes tournaient bien, même si elles étaient raides.
LFR: À ton avis, les Europcar ont-ils été victimes d’une vandetta des Movistar suite à l’étape où Valverde crève alors que vous rouliez devant?
DV: Non, pas du tout. C’est une simple coïncidence que nous roulions devant alors que Valverde crève. Pierre était devant pour simplement se tenir en sécurité et faire sa course, point. Cette histoire, c’est n’importe quoi car il est déplacé de croire que Pierre voulait faire la différence sur une étape de plat!
Thème 3 : Une nouvelle popularité
LFR: David, ta popularité a beaucoup augmenté depuis l’annonce de ta sélection sur l’équipe Europcar du Tour de France. Comment vis-tu cela?
DV: Bien. Je me fais parfois reconnaître désormais, mais ce n’est jamais achalant, comme l’autre jour en achetant des draps! J’ai plus de sollicitations lors d’événements cyclistes comme la récente cyclo Louis Garneau. Je ne recherche pas la popularité, mais ca me fait plaisir de voir que les gens ont suivi mes récentes performances.
LFR: Mardis cyclistes de Lachine, cyclo Louis Garneau, Solidarité Lac Mégantic, tu réponds aussi beaucoup aux sollicitations.
DV: Oui. Je pourrais les ignorer, mais j’estime que c’est un peu mon devoir. Il y a tellement de gens qui m’ont aidé pour que j’arrive là où je suis, alors si je peux aider d’autres gens, peut-être d’une autre façon, je le fais.
Thème 4 : Saison 2013
LFR: David, tu es rentré au Québec sitôt le Tour de France terminé, il y a trois semaines. Quels sont tes prochains objectifs?
DV: En fait, mes deux prochains objectifs sont les GP de Québec et Montréal. Après le Tour, j’avais besoin de repos, ca fait du bien d’être un peu à la maison car c’est usant d’en être souvent loin. Je suis très satisfait de ma saison 2013.
LFR: Pas de David Veilleux dans l’équipe canadienne pour les Mondiaux de Florence?
DV: Non, pas cette fois-ci, le parcours est très exigeant et il faudra être au top pour y briller.
Thème 5 : Saison 2014
LFR: Je t’ai récemment entendu lors d’autres entrevues être évasif sur ta saison 2014. Tu poursuis d’ailleurs toujours des études d’ingénieur.
DV: Je n’ai pas encore trop pensé à ma saison 2014. J’ai plusieurs options devant moi. Je n’ai actuellement pas de plans bien établis, j’ai toujours pris le vélo une saison à la fois et je ne me mets pas de pression pour la suite. Je ne me force pas à faire une carrière de coureur pro jusque 35 ans, et j’ai la chance de ne pas avoir que le vélo dans la vie. Je suis actuellement coureur pro par plaisir et par passion, une année à la fois!
LFR: Que souhaite-t-on à David Veilleux en 2014 maintenant que tu as gagné une étape du Dauphiné et terminé le Tour ? Une victoire sur une Classique?
DV: Je suis davantage un coureur pour les courses par étapes que les classiques, ca c’est certain. Même si je me place bien, les efforts sur les classiques sont très différents de ceux qu’on fait sur les courses par étapes. Alors j’aimerais encore briller sur des courses par étapes en allant chercher des victoires d’étapes, voire de bonnes places au général.
Thème 6 : La vie d’un coureur pro
LFR: Parlons un peu de ta vie de coureur pro. En Europe, tu es basé en Vendée?
DV: En fait, je suis itinérant! Cet hiver, j’ai par exemple passé deux mois avec ma conjointe à Gérone, que je connais bien. J’y vais pour bénéficier d’une bonne météo durant l’inter-saison. Je me suis ensuite un peu promené, notamment à l’occasion des stages de préparation de l’équipe Europcar, mais ma « maison » est effectivement le service course de l’équipe Europcar en Vendée, ou j’ai ma chambre.
LFR: Comment vis-tu l’éloignement lorsque tu es en Europe?
DV: Ce n’est pas toujours facile, mais je suis capable de mettre cela de côté, de faire de travail de coureur pro. Dans mon cas, ca se passe quand même bien.
Thème 7 : Entrainement
LFR: Ton rythme cardiaque au repos?
DV: Environ 38-40 pulsations/minute.
LFR: À combien de séances d’entrainement te soumets-tu par semaine?
DV: 6 ou 7.
LFR: Parfois deux la même journée?
DV: C’est plutôt rare, mais ca peut arriver.
LFR: Et tu suis une diète spéciale?
DV: Oui, tout à fait, je fais très attention. Je bois par exemple peu d’alcool, et j’ai banni le bacon de mes déjeuners depuis fort longtemps! Chez Europcar, c’est cependant plus facile, car nous avons le camion Fleury-Michon pour nos repas, donc ils nous suivent de près côté diététique. Tu sais, le vélo c’est beaucoup une affaire de rapport poids-puissance et depuis mon arrivée en Europe, j’ai réalisé l’importance qu’un bon rapport avait. J’ai globalement maigri depuis 3 ans.
LFR: Côté récupération, vous êtes massés tous les soirs en compétition, mais hormis cela, tu utilises d’autres moyens comme l’électrostimulation?
DV: Oui, je pratique l’électrostimulation, juste pour des cycles de récupération cependant. On utilise aussi Veino Plus, qui est un commanditaire de l’équipe, pour la récupération. Évidemment on utilise les bas de compression et après les étapes, Fleury-Michon nous prépare un repas à consommer tout de suite après en avoir terminé. Beaucoup de glucides!
LFR: Et durant la course, tu consommes quoi?
DV: Je mange en fait beaucoup de barres énergétiques, et je garde les gels pour le final des étapes. Si tu commences les gels trop tôt dans l’étape, tu satures au niveau du goût du sucre, et tu peux manquer d’énergie plus tard car des gels, c’est de l’énergie très rapide. Une fois qu’on commence les gels, il faut les poursuivre car sinon, c’est facile de manquer d’énergie.
LFR: Comment as-tu modifié ton entrainement pour encaisser la distance des courses pro en Europe?
DV: En fait, on fait beaucoup de volume à l’entrainement, car on court beaucoup et les intensités, c’est en course qu’on les fait. Je fais quand même du spécifique à l’entrainement, mais pas tant que ca, c’est vraiment axé sur le volume, pour ne pas qu’on se brule non plus.
LFR: Donc tu peux faire des sorties de 5-6 heures?
DV: Oui, tout à fait, mais pas en ce moment, je n’en ai pas besoin après le Tour! Les 5-6 heures, je fais plutôt ca durant l’inter-saison, pour me préparer aux compétitions.
LFR: Ton entraineur de longue date est Pierre Hutsebault. Pas d’entraineur chez Europcar?
DV: Non, en fait l’équipe Europcar n’impose pas d’entraineur à ses coureurs. Comme je suis un des seuls à utiliser un capteur SRM à l’entrainement. Certains ont une approche plus traditionnelle du cyclisme, il existe des différences dans les méthodes d’entrainement des coureurs. Pierre Rolland est très pointu à l’entrainement, Thomas Voeckler gère davantage aux sensations, et ca lui réussit aussi très bien.
Thème 8 : Dopage
LFR: Pour terminer, évoquons un peu les contrôles anti-dopage. Combien de fois as-tu été testé cette année?
DV: En 2013, environ une dizaine de fois peut-être. Le CCES sont d’ailleurs venus chez moi près de Québec la semaine dernière pour me tester!
LFR: Tu as un passeport biologique bien sûr?
DV: Oui, mais j’ignore beaucoup de choses sur ce passeport biologique. J’ignore par exemple sur combien de tests sanguins ce passeport repose, 5 ou 6 peut-être? Je n’ai en tout cas jamais eu 5 ou 6 tests sanguins durant une année pour le passeport! Mais j’ai eu des tests sanguins avant et pendant le Tour. Mon intuition est qu’ils ciblent beaucoup les coureurs et que pour certains, le nombre de tests est plus élevé que pour d’autres coureurs.
LFR: Tu dois te conformer aux exigences du système Adams de localisation. Beaucoup de coureurs s’en plaignent, estimant qu’il s’agit d’une contrainte importante, voire d’une atteinte à leur vie privée. Est-ce vraiment contraignant?
DV: Je dois en effet leur dire où précisément je suis et ce, tous les jours durant une fenêtre d’une heure. Tous les jours. Mais je peux remplir le calendrier pour les trois prochains mois, et le mettre à jour régulièrement. Et il est simple de leur trouver une heure: moi, je leur donne souvent entre 7h30 et 8h30 le matin. Je peux me faire réveiller, c’est sûr, mais t’es sûr que tu es là où tu leur as dit que tu étais. Oui c’est une contrainte, mais pour moi, cela fait partie intégrante de la vie d’un coureur professionnel. Parfois, je trouve que certains coureurs en rajoutent, car ce n’est pas si contraignant que ça. Et je crois qu’en fait, ca aide tout le monde.
LFR: Merci David, bonne fin de saison, et j’invite tous les lecteurs de LFR à ne pas hésiter à t’encourager lors des GP de Québec et Montréal très prochainement.