S’il est utile de faire le ménage du passé, question de mieux comprendre le présent, j’estime que la critique ne suffit pas.
Ils sont nombreux, depuis 24h, à réagir au plus grand scandale de dopage de l’histoire du sport.
Peu proposent concrètement des solutions. Pas même David Millar, Michael Barry ou Jonathan Vaughters.
Je vous propose aujourd’hui des solutions concrètes, réalistes, crédibles voire audacieuses. Je vous invite à ne pas hésiter à réagir à mon texte et à me faire part de vos solutions. Alimentons la réflexion! Le lectorat de La Flamme Rouge est important, qui sait, cela suscitera peut-être la réflexion de quelques responsables du cyclisme…
Mes solutions au problème du dopage dans le cyclisme
Elles s’articulent autour de trois grands axes: 1) réforme des institutions 2)prévention 3) répression. Une approche classique, mais habituellement efficace.
1 – RÉFORME DES INSTITUTIONS
Mesure #1: s’assurer que seule l’Agence Mondiale Anti-dopage – et ses organes nationaux affiliés comme le CCES (Canada), l’USADA (États-Unis) ou l’AFLD (France) – est responsable de la lutte contre le dopage dans le sport, y compris bien sûr le cyclisme. Ceci inclut les tests sur et hors-compétition, de même que l’administration du passeport biologique.
Pour moi, c’est très clair depuis longtemps: l’UCI est en conflit d’intérêt permanent entre deux responsabilités, celle de développer le cyclisme et celle de lutter contre le dopage. Cela va même parfois plus loin: saviez-vous que le frère de Pat McQuaid, Darach, est l’homme d’affaire derrière les Mondiaux de cyclisme en 2015 à Richmond, aux États-Unis? Saviez-vous que deux de ses fils sont très impliqués dans le cyclisme professionnel, l’un (Andrew) comme agent de coureur (dont Nicolas Roche, Richie Porte, Taylor Phinney et Christophe Le Mevel) et l’autre, David, comme directeur de courses pro?
Selon cette première mesure, l’UCI ne serait donc plus responsable que de la promotion du cyclisme et de la gestion de son fonctionnement: octroi des licences, coordination du calendrier, règlements, etc. La lutte contre le dopage relèverait de l’AMA, et seulement de l’AMA, qui aurait donc toute l’indépendance nécessaire pour remplir son mandat.
Mesure #2: négocier un arrangement entre l’AMA et les principaux organisateurs de courses cyclistes, en premier lieu ASO, pour diriger une partie des revenus des droits télé vers la lutte contre le dopage.
Une « win-win » situation. ASO souffre depuis des années de voir ses épreuves ternies par le dopage, en particulier le Tour de France qui voit son palmarès récent ridiculisé. L’AMA aura besoin de ressources financières pour assurer une lutte crédible contre le dopage dans le sport. Un tel accord serait mutuellement bénéfique: les tests anti-dopage seraient administrés par une entité sérieuse et plus efficace, et les épreuves, le sport n’en seraient que plus crédibles.
2 – PRÉVENTION
Mesure #3: imposer une limite aux jours de courses d’un coureur dans une saison
Le problème n’est pas tant la difficulté des grands tours (après tout, Guillaume Prébois et Christophe Bassons ont déjà prouvé qu’on peut faire le Tour à l’eau claire, seulement pas à la même vitesse…), mais plutôt la longueur de la saison cycliste professionnelle qui s’étale de février à octobre. Pourquoi ne pas imposer un plafond de jours de course à tous les coureurs pro (60 jours par exemple)? Chaque coureur, chaque équipe demeureraient maîtres de choisir quelles courses faire, et chaque coureur disposerait du même nombre de jours de course que les autres pour s’illustrer. Cela humaniserait le sport et limiterait l’attrait du dopage pour « tenir le coup », une situation clairement exprimée par Michael Barry récemment.
Mesure #4: assigner à chaque équipe pro World Tour un médecin d’équipe indépendant accrédité par l’AMA et interdire tous les autres médecins et soigneurs d’équipe.
Les équipes ont actuellement tout le loisir de choisir quel médecin ou gourou oeuvrera auprès de leurs coureurs. C’est une porte ouverte aux mauvaises pratiques. Pourquoi ne pas accréditer une flotte de médecins indépendants relevant de l’AMA et les imposer dans les équipes pro, avec rotation chaque année? Pas de médecins indépendants, pas de licence WorldTour, c’est aussi simple que ca. Ces médecins seraient en charge du suivi médical des coureurs, seraient en charge du passeport biologique et de rapports fréquents à l’AMA. Il va de soi que les médecins d’équipe seraient formellement interdits.
Ces médecins indépendants ne seraient pas bien acceptés dans les équipes? Je n’en suis pas si sûr: les coureurs propres y trouveraient rapidement leur compte…
Mesure #5: officialiser le calcul des puissances comme un outil de la lutte contre le dopage.
Nous connaissons aujourd’hui les limites des capacités humaines sur un vélo. Ces calculs ont été validés à de très nombreuses reprises. Pourquoi se priver d’un tel outil pour identifier les coureurs suspects et ainsi les surveiller de plus près?
Mesure #6: rendre obligatoire, pour obtenir une licence de coureur cycliste, une formation en ligne sur le dopage.
Pas de formation faite, pas de licence, aussi simple que cela. Cela vaudrait pour toutes les catégories, du coureur pro au coureur junior. Je me surprend chaque année de constater que peu de coureurs Maîtres connaissent les produits dopants et la frontière à respecter. Il m’apparaît utile de rappeler à tous les règles, les produits autorisés et non autorisés, les sanctions encourues, etc. et ce, une fois l’an. Cela s’applique également au cyclosport dont la formation en ligne serait également obligatoire avec chaque inscription. Je serais personnellement heureux de me souscrire à une telle formation chaque année, actualisant mes connaissances sur le dopage et sur ce qui m’est permis et interdit de faire.
CORRECTION DE L’AUTEUR: un lecteur très proche du milieu cycliste professionnel en Europe (que je remercie au passage) porte à mon attention le fait que ce programme d’éducation existe déjà et est appelé « Vrai champion ou tricheur », disponible sur le site de l’UCI. Pourquoi ne pas rendre cette formation obligatoire à toutes les personnes, niveau junior et plus, désirant obtenir une licence de course cycliste, chaque année?
3 – RÉPRESSION
Mesure #7: bannir à vie les ex-dopés de toute activité dans le cyclisme
Comment assurer la crédibilité du cyclisme en acceptant qu’Alexandre Vinokourov devienne le manager de l’équipe Astana? Comment croire en la probité de Bjarne Riis, Jonathan Vaughters, Didier Rous, Mauro Giannetti ou encore Kim Andersen qui savent très bien « ce qu’il faut faire pour gagner » ? Si une telle mesure sera difficile à mettre en place, je pense qu’à moyen et long terme, les sponsors seraient ravis. Il faut parfois du courage pour aller de l’avant.
CORRECTION DE L’AUTEUR: l’UCI a modifié ses règlements pour y ajouter une disposition interdisant aux personnes reconnues coupables d’avoir violé le code antidopage d’occuper un poste de manager, directeur sportif, entraîneur, médecin ou assistant paramédical, mécanicien, chauffeur, agent de coureurs ou toute autre fonction à préciser sur la licence. Ce règlement est entré en vigueur le 1er juillet 2011. Dans ce contexte, je comprends mal cependant la nouvelle récente à savoir qu’Alexandre Vinokourov devenait le manager de l’équipe Astana pour 2013.
Mesure #8: autoriser les contrôles rétrospectifs et abolir le « délai de prescription »
Il faut clairement laisser entendre aux coureurs pro que passer les tests antidopage sur le Tour de France de l’année n’est aucunement la garantie qu’ils passeront à travers les mailles du filet. Comme le dopage a souvent une longueur d’avance sur les tests de détection, cette mesure nous permettrait de réduire l’envie de plusieurs d’avoir recours à des produits actuellement indétectables: ils le seront éventuellement dans l’avenir, et nous re-testerons leurs échantillons, une procédure légale pouvant conduire à de lourdes sanctions rétrospectives.
Mesure #9: collaborer davantage avec la police
Les plus grands scandales de dopage dans le cyclisme sont tous survenus au terme d’enquêtes policières, pas de tests positifs: Affaire Festina (douanes françaises), Affaire Puerto (police espagnole), Affaire Oil for Drugs, Affaire Ferrari, Affaire de Padoue (carabinieri italiens), Affaire Armstrong (FIB puis USADA). etc. De toute évidence, les tests anti-dopage sont un élément nécessaire de la lutte, mais pas forcément l’élément le plus efficace. En cas de doute sur un coureur, par exemple suite à l’examen de ses puissances ascensionnelles ou son passeport biologique, il faudrait rapidement en avertir la police pour éventuellement « surveiller » le dit-coureur de près.
Mesure #10: faire le ménage dans les AUT (Authorisation à Usage Thérapeutiques)
Il y a vraiment trop de grands asthmatiques dans le peloton professionnel aujourd’hui…
4 – AUTRES MESURES
Mesure #11: abolir les oreillettes…
… et retrouver un cyclisme où les petits, les audacieux, pas forcément les plus forts mais peut-être les plus malins, auront une chance de se faire voir et valoir. Si le cyclisme ne peut que se gagner à la pédale, l’attrait du dopage demeurera toujours très fort. Mais le cyclisme, historiquement, c’est aussi la tactique, l’initiative, le flair, le courage d’attaquer de loin, la surprise, etc.
Enfin, je ne crois pas à cette idée d’amnistie générale pour permettre aux coureurs voulant briser l’omerta de le faire sans avoir peur des sanctions. Je vois mal les actuels coureurs en activité commencer à déballer leurs méthodes employées sur le dernier Tour de France, amnistie ou pas.
Pour moi, la balle est clairement du côté de l’AMA et de l’UCI actuellement. Des aveux de Lance Armstrong serait par ailleurs un fort accélérateur des réformes nécessaires. Ces aveux sont à souhaiter dans les prochains jours.