Pas facile de voir clair dans le conflit qui vient d’émerger entre Amaury Sport Organisation (ASO) et l’Union Cycliste Internationale (UCI) au sujet de la réforme du cyclisme prévue pour 2017.
Voici ce qu’il faut savoir pour comprendre.
En premier lieu, les acteurs.
D’un côté, l’UCI et le nouveau groupe appelé « Velon« , celui-là même qui nous offre, depuis un an, ces vidéos de l’intérieur du peloton (caméra embarquée sur les vélos), ceci dans le but « d’enrichir l’expérience des fans de cyclisme ». Velon regroupe actuellement une dizaine d’équipes World Tour, pas plus, mais des équipes influentes comme Sky ou encore Tinkoff du controversé Oleg Tinkoff.
De l’autre, ASO, propriétaire du Tour de France, de la Vuelta, du Dauphiné, de LBL, de Paris-Roubaix, de la Flèche Wallonne, de Paris-Tours, etc.
D’abord seule, ASO vient d’avoir du renfort au cours des derniers jours, avec d’une part l’Association internationale des organisateurs de courses cyclistes (AIOCC) et d’autre part l’Association internationale des coureurs (CPA) qui se disent désormais contre la réforme eux-aussi. L’asso des coureurs n’avait pas beaucoup le choix puisque défier ASO sur ce point aurait pu être dangereux à l’égard de participation future au Tour!
En deuxième lieu, l’historique.
L’idée de la réforme du cyclisme pro vient en fait d’une poignée de propriétaires d’équipes qui déplorent depuis des années le manque de « stabilité » du modèle actuel, les équipes professionnelles étant selon eux trop à la merci des sponsors et des organisateurs (la récente situation de l’équipe Europcar en est, selon eux, une nouvelle illustration). Ces propriétaires (beaucoup sont propriétaires d’une société gérant l’équipe cycliste, qui leur appartient. Le sponsor ne paie pas directement les coureurs, elle paie la société qui paie à son tour les coureurs, selon le modèle inventé par Guimard et Fignon chez Système U)voudraient obtenir plus de sécurité dans leur « business » en créant un « circuit professionnel » sur les mêmes bases que celles des circuits NBA, LNH, ou encore en Formule Un: nombre limité d’équipes présentes à long terme, circuit de courses bien défini, bref, une ligue « privée » qu’on peut mousser, vendre des produits dérivés sous licences, attirer plus facilement des sponsors, générer des profits et donc s’enrichir.
Velon a ensuite réussi à convaincre l’UCI de promouvoir cette réforme: seule l’Union cycliste internationale a l’autorité de la mettre en place. Je crois personnellement que l’UCI et Brian Cockson sont allés de l’avant non pas par conviction, mais de peur d’un conflit avec Velon qui, souvenons-nous en, menaçait il y a quelques mois de créer leur propre ligue professionnelle.
L’UCI a tenté d’agir en consultant l’ensemble des partenaires. Après un bon départ il y a plusieurs mois, une dérive s’est produite cet automne alors que Velon et l’UCI ont modifié considérablement le projet initial. Et c’est récemment que les divers acteurs ont réalisé que la réelle réforme proposée n’avait plus grand chose à voir avec les principes initiaux proposés par l’UCI il y a plusieurs mois.
D’où la situation actuelle d’une nouvelle impasse dans le cyclisme pro, comme on l’avait déjà vu entre 2005 et 2008 avant la création du ProTour. ASO s’était alors déjà engagée dans un bras de fer avec l’UCI de Pat McQuaid à l’époque.
Troisièmement, la réforme elle-même.
Elle rentrerait en vigueur en 2017.
Seulement 18 équipes se verraient attribuer une licence « World Tour » et ce, pour une durée de 3 ans. Cette solution est évidemment à l’avantage des propriétaires d’équipe qui, en sécurisant une licence WorldTour, pourraient vendre à un éventuel sponsor la garantie d’une présence sur les trois prochains Tours de France, ASO étant obligé, selon cette réforme, d’admettre au départ toutes les équipes WorldTour. C’est la raison pour laquelle ASO affirme, dans son refus de collaborer, que le « critère sportif » doit demeurer le seul qui prévaut dans l’octroi d’un départ sur le Tour. Et je suis bien d’accord!
D’autre part, le calendrier World Tour serait étendu d’environ 120 jours de course actuellement à près de 180. Sans le coucher sur papier, un tel nombre de jours de course exigerait que les coureurs WorldTour ne participent à peu près exclusivement qu’aux épreuves World Tour, créant une certaine « rareté ». C’est pour cette raison qu’ASO a affirmé que cette réforme suggérait un « cyclisme fermé » où un Thibault Pinot par exemple aurait plus de difficulté à courir le Tour du Doubs, trop occupé à courir en WorldTour. Et je suis bien d’accord!
Enfin, le système de classement mondial serait légèrement revu.
Quatrièmement, les enjeux.
Les réels enjeux sont aussi ailleurs.
Le premier d’entre eux, c’est les profits. Derrière la réforme se cache l’idée de créer une « ligue professionnelle » en cyclisme, comme celles qui existent en NBA, LNH ou Formule Un, où on monnaye tout. Déjà, on voit apparaitre sur les courses, notamment les grandes Classiques belges d’avril, des estrades ou zones payantes, où on monnaie l’entrée des spectateurs. Du moment que les coureurs World Tour sont prisonniers des courses World Tour, les fans seront obligés de payer s’ils veulent voir Cancellara ou Boonen au Carrefour de l’Arbre ou dans le Vieux Kwaremont. C’est l’idée derrière le projet Velon lorsqu’ils affirment vouloir « engager les fans« . Tout un engagement!!!
En octroyant les licences pour 3 ans, on enlève également aux organisateurs la possibilité de choisir les équipes qui participeront à leurs épreuves. Rappelons qu’il y a quelques années, ASO a refusé une participation au Tour à l’équipe Astana, au prise avec des scandales de dopage. Avec la réforme, Velon se donne le moyen de ses ambitions en limitant le pouvoir des organisateurs de course. Velon pourra vendre l’idée « des meilleurs coureurs sur (juste) les meilleures courses » (mais vous devez payer pour les voir!).
ASO milite plutôt vers un cyclisme « ouvert » en reprenant l’idée en vigueur dans le foot par exemple: chaque année, grâce à un système de points, des équipes Continentale Pro pourraient « monter » en World Tour, et les deux ou trois équipes les moins performantes en World Tour « descendraient » au niveau inférieur.
Selon ce système, l’accession au World Tour se fait sur mérite sportif. Ce système obligerait également indirectement les équipes d’aligner leurs meilleurs coureurs sur les courses majeures, ceci afin de s’assurer de rester en WorldTour l’année suivante.
Enfin, Velon ne s’attaque pas aux réels enjeux du cyclisme, comme la sécurité en course. Le débat sur les oreillettes est faussé à ce sujet, les équipes estimant que les oreillettes sont nécessaires pour cette sécurité. Or, les chutes n’ont jamais été aussi nombreuses! ASO, au contraire, milite avec d’autres pour une réduction du nombre de coureurs par équipe, de 8 à 7 sur les courses d’un jour, et de 9 à 8 sur les grands Tours. Et je suis bien d’accord!
Au final…
Au final, je suis parfaitement d’accord avec ASO sur ce coup-là. La réforme du cyclisme telle que présentée par l’UCI n’est pas une bonne chose pour l’avenir du cyclisme, ni pour les fans de cyclisme que nous sommes qui, à terme, risqueraient de voir le cyclisme perdre son âme de sport populaire et accessible. Le spectacle offert dans le monde déconnecté et aseptisé de la F1 est affligeant depuis des années déjà, merci de bien vouloir l’éviter en cyclisme. Prudhomme a raison de dire que le cyclisme ne peut pas survivre si la base est déconnectée de l’élite.
En allant en classe « H.C. » en 2017, ASO et ses épreuves pourra garder le contrôle sur les équipes qui participeront, lui permettant de maintenir la pression sur les équipes en matière notamment d’éthique. J’y vois un point positif.
Enfin, le président Cookson de l’UCI a probablement joué gros sur cette réforme et l’échec actuel est de très mauvais augure pour la suite de sa carrière à la tête de l’UCI. Je vois mal comment il pourra se maintenir à son poste, la confiance ayant disparu, du moins en ce qui me concerne!