S’étonnant des « petites jambes » de nombreux coureurs professionnels qu’il a pu voir de très près lors du récent GP de Québec, un lecteur de La Flamme Rouge me demande comment ces coureurs peuvent-ils générer 500 watts de puissance dans ces conditions, avec en apparence si peu de muscles visibles? Évoquant par exemple Ryder Hesjedal et ses échasses en guise de jambes, il se demande ce qui explique cette physionomie particulière et si une technique d’entrainement ou le dopage sont derrière tout ca.
M’étant moi-aussi posé ces questions il y a cependant fort longtemps, voici, cher lecteur, les réponses. Et surtout, je vous remercie de votre intérêt pour La Flamme Rouge!
En fait, il existe non pas une, mais bien des physionomies parmi les coureurs cyclistes pro, de la même façon que pour le grand public.
Ainsi, les jambes des sprinters ou des spécialistes des chronos seront habituellement plutôt musclées, impressionnantes, hypertrophiées. Celles d’un André Greipel par exemple sont éloquentes à ce sujet. Mark Cavendish a également une bonne paire de cuisses, sans évoquer celles de Tony Martin ou de Fabian Cancellara! Ces coureurs ont habituellement un grand nombre de fibres musculaires rouges, dites rapides, leur permettant de générer beaucoup, beaucoup de watts sur une période de temps assez brève (de quelques secondes à maximum une heure environ).
Les jambes des grimpeurs (Andy Schleck, Joaquim Rodriguez) ou des coureurs plus complets (Alberto Contador, Alejandro Valverde, etc.) seront souvent plus fines, élancées, voire émaciées. Dans certains cas, on aura du mal à voir les mollets! (c’est souvent le cas chez les coureurs très grands comme par exemple Hesjedal, Froome, Wiggins, les Schleck ou Van Summeren). Leurs muscles sont à dominante de fibres blanches dites lentes, permettant de soutenir des efforts d’extrême endurance. La puissance est certes moindre, mais le rapport poids/puissance est optimisé. Ces coureurs ne peuvent rivaliser, sur le plat, avec les meilleurs sprinters ou spécialistes du chrono qui disposent de beaucoup plus de force, de puissance pour tourner les pédales; par contre, dès que la pente s’élève, c’est une autre histoire, car la gravité prend son importance! Et la gravité tire la masse vers le bas!
Vous avez vu beaucoup de coureurs aux jambes fines, élancées à Québec tout simplement parce que les équipes ont sélectionné des coureurs susceptibles de bien faire sur des parcours accidentés comme ceux des GP de Québec et Montréal. L’équipe Sky, par exemple, savait pertinemment qu’il était inutile de s’amener avec Mark Cavendish au Canada car les chances que les courses se terminent au sprint étaient à peu près nulles. Idem pour Lotto avec Greipel.
Mais il y a plus.
Ce plus, c’est qu’il n’y a absolument aucun lien entre grosseur des muscles des jambes et performance en cyclisme. Rendez-vous, cher lecteur, sur une course FQSC au Québec: vous y verrez des coureurs aux muscles impressionnants, bien définis. À côté d’eux, j’ai l’air d’un chétif poulet!!! Mon ami Dominic Picard est impressionnant à ce chapitre! Actuel champion québécois Maître A (30-39 ans) sur le chrono et sur route, excusez-un-peu (mes félicitations en passant Dominic!), il n’est cependant pas coureur pro pour autant, même si sa musculature n’a rien à envier à celle de Cancellara.
Tout cela pour dire que ce qui fait un coureur pro, c’est une chose et une seule: le moteur. C’est à dire la VO2max, la capacité pulmonaire, les facultés de récupération, bref la « santé ». Et tout cela est en très grande partie déterminé par les aptitudes physiques à la naissance. Par les gênes.
En gros, vous l’avez ou vous l’avez pas. Et si vous ne l’avez pas, ben il n’y a rien à faire pour l’avoir! Les carottes sont cuites.
J’aurais personnellement pu m’entrainer 30 heures / semaine depuis l’âge de 12 ans, jamais je ne serais passé pro. Je n’ai tout simplement pas hérité d’un bagage génétique me permettant d’atteindre ce niveau. Mes parents, mes grands-parents n’étaient pas de grands athlètes privilégiés par un bagage génétique idoine. Par contre, Taylor Phinney, Nicolas Roche, Andy et Franck Schleck, Moreno Moser, etc. le sont tous. Les exemples de transmission de ces gênes de pères en fils sont légion dans le peloton. Certaines familles toutes entières sont même passées à l’histoire comme les Vandenbroucke en Belgique tant il y a eu des coureurs cyclistes pro parmi elles!
Il faut donc savoir que le cyclisme sur route est un de ces seuls sports ou le travail, l’entrainement ne suffit pas: il faut avoir les dispositions physiques au départ. Les dispositions mentales peuvent se travailler par la suite, mais sans les dispositions physiques, point de salut.
Bref, ne devient pas coureur cycliste professionnel qui veut. Tous les coureurs pro du World Tour présentent des prédispositions génétiques à la naissance. Par exemple, à 12 ou 14 ans, ils auront « coté » 70 ml/min/kg à un test de VO2max tandis que vous aurez coté 45. Avec l’entrainement, ils seront passés à 88 et vous à 60 car leur réaction aux stimulis d’entrainement est également meilleure que la vôtre. S’il est bien connu que Lance Armstrong ne disposait pas d’une VO2max très importante lorsque comparé à d’autres champions cyclistes, il était tout de même à plus de 70 après plusieurs mois de chimiothérapie et 6 mois d’arrêt complet. Je n’ai pour ma part jamais coté plus haut que 67 au meilleur de ma forme!!!
Enfin, l’entrainement permet d’optimiser cette VO2max, de la bonifier mais dans des proportions modestes. L’entrainement permet surtout de développer d’autres facettes importantes dans le sport cycliste, comme la récupération dont une partie des qualités émanent aussi d’aptitudes à la naissance.
Voilà donc réponse à vos questions, c’est-à-dire pourquoi certains coureurs pro ont l’air de frêles gamins au départ d’une course et qu’il vous soit difficilement concevable que ces gamins puissent rouler 250 bornes à 43 de moyenne sur un parcours d’enfer. Rappelez-vous ceci: ces gamins en apparence disposent d’avantages physiologiques sur vous et vous êtes hors concours avant même d’avoir enfourché votre vélo! J’écrivais, en début de texte, m’être posé les mêmes questions que vous, mais il y a longtemps: j’avais été particulièrement impressionné par Viatcheslav Bobrik (équipe Gewiss à l’époque) au départ de l’étape de Cluses sur le Tour 1994, alors que j’avais 23 ans: Bobrik avait de plus petites jambes que moi (aucun muscle apparent) et ce coureur qui se changeait juste à mes côtés était un coureur du Tour! Pourquoi pas moi alors?!
Voilà aussi pourquoi, si vous êtes pratiquant, vous serez un jour écoeuré de voir un nain bedonnant vous dépasser dans un col, alors que vous souffrez en montant à votre limite et que vous êtes affuté comme une dague: il a certainement un meilleur moteur que vous.
Voilà surtout pourquoi en cyclisme, la modestie est toujours, toujours de mise. Les crâneurs, les vantards sont habituellement remis à leur place assez rapidement merci! Une seule sortie suffit… Les « grands » coureurs pro sont aussi ceux qui savent rester modestes en respectant les autres cyclistes, quels qu’ils soient, puisque même si ces derniers roulent moins vite qu’eux, la souffrance est la même pour tous du moment qu’on roule tous « accotés ». À 52 ou à 32 de moyenne, un chrono peut être aussi difficile pour deux coureurs, selon leurs moyens physiques.
Deux autres choses encore.
Le dopage permet quant à lui d’améliorer les performances. Le dopage « classique », soit avant les années 1990, ne permettait pas de changer la hiérarchie naturelle (basée sur la génétique à la naissance), même au sein du peloton pro. Le drame avec le dopage sanguin, c’est qu’il peut transformer un « modeste » coureur pro en un vainqueur du Tour de France. Les exemples de Bjarne Riis et de Lance Armstrong, deux coureurs qui n’auraient jamais remporté le Tour sans un recours massif au dopage sanguin, sont éloquents à ce sujet. Ces deux coureurs disposaient cependant de dispositions génétiques à la naissance leur permettant d’être de bons coureurs pros, comme plusieurs autres.
Finalement, vous évoquez « une shape d’anorexique » et vous avez raison. La maigreur de certains coureurs pro depuis quelques années étonne jusqu’aux meilleurs médecins par ailleurs totalement étrangers au sport cycliste et disposant donc d’un regard teinté de recul. Il est possible que certains nouveaux produits dopants, comme l’AICAR, soient liés à cette situation puisque ces produits maximisent la force musculaire tout en brulant les graisses, faisant atteindre à ceux qui en prennent des taux de gras vraiment très bas tout en bonifiant leur puissance. Si on ne saurait, par un simple examen visuel, conclure au dopage pour des coureurs très maigres (après tout, Fausto Coppi n’était pas, à l’oeil, très gros dans les années 1940 et 1950!) il est probablement de mise de rester prudent quant à l’interprétation des performances de certains coureurs pro de premier plan présentant des profils émaciés. Dans ce contexte, les analyses de puissance de M. Portoleau (voir mon texte d’hier) sont un éclairage utile pour tous ceux voulant être des observateurs éclairés du cyclisme.