En complément de l’analyse « quantitative » des performances sur la récente Haute Route proposée hier par Frédéric Portoleau et diffusée sur ce site, Peter Pouly, vainqueur de l’épreuve, a très gentiment accepté de répondre à mes questions, ajoutant un volet « qualitatif » à cette rétrospective. Je le joins en Thailande.
La Flamme Rouge: Bonjour Peter, bienvenue sur La Flamme Rouge! Tu es actuellement en Thailande, ton pays d’adoption, ou tu organises notamment des camps d’entrainement cyclistes. Peux-tu te présenter un peu à nous?
Peter Pouly: Bonjour et merci de me donner la parole sur ce site! Je vis en effet en Thailande depuis 3 ans, pays que j’ai découvert après l’arrêt de ma carrière professionnelle en VTT en 2005. Aujourd’hui, je suis gérant d’une société de sourcing et consulting dans le domaine du sport (ndlr: pour en savoir plus, consultez http://www.peterpouly.com). Depuis deux ans et demi, j’ai retrouvé en Thailande le plaisir de faire du vélo et j’essaie de le partager avec d’autres, en organisant des stages d’entrainement et des voyages. Ma société organise tout cela à la carte, et je travaille avec des sportifs de tous les niveaux.
LFR: Je crois que tu as eu du succès en VTT avant de te lancer dans le cyclisme sur route. Peux-tu nous résumer ta carrière cycliste jusqu’ici?
PP: J’ai d’abord commencé par le BMX dès l’âge de 7ans. Ensuite, à 15 ans, j’ai découvert le VTT, un sport qui m’a permis de comprendre mes bonnes capacités d’endurance. À 17 ans, je signais un premier contrat de coureur professionnel après avoir été Champion de France Junior et pris la 4ème place des Championnats du monde, derrière un certain… Cadel Evans. Au cours de ma carrière de 1995 à 2005, j’ai gagné en tout cinq titres de Champion de France, le Roc d’Azur en Elite et j’ai réalisé quelques top 10 sur des épreuves de Coupe du Monde.
LFR: Je crois que tu connais bien Antoine Vayer et Frédéric Portoleau, qui fréquentent tous deux La Flamme Rouge? Antoine a été ton entraineur?
PP: Antoine a en effet été mon entraineur et ce, dès l’âge de 17 ans. J’ai beaucoup appris de lui, son suivi de ma progression était très sérieux et nous faisions beaucoup de tests de toutes sortes. Bref, il était très proche de moi et aujourd’hui encore, je continue de m’entrainer de la même façon, sur les mêmes bases qu’il m’a transmise. Je connais également Frédéric depuis pas d’années, j’ai fait pas mal de stages et je lui ai parfois servi d’étalon pour calibrer ses calculs de puissance! C’est un personnage atypique et très intéressant dans le milieu cycliste et j’aime échanger avec lui ainsi que lire ses analyses de puissance.
LFR: Antoine me disait en tout cas que physiquement, tu es un immense talent qu’on avait vu dès l’âge de 16 ans. Tu as toujours eu de la « facilité » sur un vélo?
PP: Ce que je peux dire, c’est que quand j’ai commencé le VTT à l’âge de 15 ans, je roulais souvent avec des adultes qui courraient au niveau régional et ces derniers n’arrivaient souvent pas à me suivre! J’ai cependant totalement arrêté le vélo pendant cinq ans et j’ai repris sérieusement en novembre 2010. Au bout de 15 jours, j’avais déjà de bonnes sensations et j’ai pu accumuler rapidement de nombreux kilomètres en Thaïlande.
LFR: Tu participes désormais à plusieurs cyclosportives chaque année. Tu étais à l’Étape du Tour dans les Alpes en juillet, puis sur la Haute Route. La course cycliste pure et dure, c’est terminé pour toi? Tu as pourtant de belles dispositions.
PP: J’ai toujours aimé faire des cyclosportives, car les parcours sont toujours magnifiques et montagneux. Ceci étant, j’aimerais vraiment refaire des courses UCI sur le circuit asiatique, il y a vraiment de belles courses par étapes d’une longueur qui varie entre 4 et 7 jours. À ce jour cependant, aucune opportunité ne s’est présentée à moi pour intégrer une équipe continentale asiatique, mais je ne désespère pas! Entre temps, j’ai couru quelques courses au Vietnam et en Thailande, dont une course célèbre ici, la montée du Doi Inthanon, une course de côte de 42 kms, très très difficile. Je l’ai remporté en établissant le record de l’ascension. Plus tôt cette année, j’ai passé 2 mois en France et j’ai participé à cinq courses FFC de 2ième caté: j’en ai gagné quatre! Cet été, je suis venu sur l’Étape du Tour (qui me tenait à coeur) avec des amis thailandais. Nous avons passé 10 jours en France, je leur ai servi de guide tout en ayant organisé tout le séjour. Étant arrivé la veille de l’Étape du Tour et ayant passé toute la journée au salon du vélo organisé en marge de l’événement, j’ai trouvé la cyclosportive difficile et j’ai terminé très fatigué!
LFR: venons-en à cette Haute Route, que nous avons tous les deux faite. Ironique de se parler par courriel aujourd’hui alors que j’ai passé 40 bornes dans ta roue lors de la première étape, en sortant de Genève! Tu as apprécié l’épreuve autant que moi? La météo et l’organisation, en tout cas, ont été parfaites…
PP: Oui, c’est dommage de n’avoir pu échanger ensemble durant cette Haute Route! J’apprécie vraiment cette épreuve qui est organisée par un ami et je l’avais déjà faite l’an dernier. J’y avais vécu quelque chose de vraiment unique, et la Haute Route est un vrai challenge personnel pour tous les participants. Cette année, le parcours et la météo ont tout simplement été parfaits.
LFR: tu as dominé la course de la tête et des épaules, terminant loin devant Michel Chocol, 2e. As-tu été inquiété par tes concurrents lors de ces 7 étapes?
PP: C’est vrai que j’ai dominé l’épreuve. L’an dernier, la Haute Route était nouvelle pour moi et je gérais vraiment ma course afin de ne pas avoir de jour sans. Cette année, avec l’expérience de l’an dernier, j’étais dans un tout autre état d’esprit. J’avais coché certaines ascensions et je suis parti avec l’objectif cette année de faire ces montées le plus rapidement possible car je me savais en bonne condition, donc capable d’établir de vrais bons chronos qu’il me serait difficile de répéter dans les prochaines années, et aussi pour attirer l’attention des équipes continentales en Asie. Mais ca, c’était sur le papier avant la course. La première chose à faire sur la course a été de juger la concurrence lors de la première étape entre Genève et Mégève.
LFR: chaque jour, ton équipe et toi établissiez une stratégie de course ou c’était improvisé sur la route?
PP: Nous avions pas vraiment de plan précis dans l’équipe. Deux coureurs, en particulier, étaient capables de gagner des étapes si la course tournait à leur avantage mais cela n’a jamais été le cas, malheureusement. Tous les jours, il y a eu une féroce bataille pour la 3ème place scratch entre Ben Blaugrund, un Kenyan et Emma Pooley, avec comme impact d’éliminer progressivement, à mesure que les étapes passaient, mes équipiers et leur chance de victoire.
LFR: je crois que comme moi, tu as été surpris par le courage, la détermination et le niveau d’Emma Pooley. Impressionnante, cette fille!
PP: Emma m’a surtout impressionné par sa générosité sur le vélo: elle prenait tous ses relais et elle attaquait tout le temps! C’est pour cette raison que je tenais tant à franchir la ligne d’arrivée de la dernière étape, à Vence, avec elle. Un beau moment.
LFR: tu gagnes au chrono de l’Alpe d’Huez en 42 minutes. On sent que celle-là, tu la voulais particulièrement, non ?
PP: Ce qui me tenait vraiment a coeur le matin de l’étape, c’était le record amateur tel que disponible sur… Strava! Ce site est super car il n’y a pas de doute sur le temps effectué. C’était un moment magique que l’étape chrono sur l’Alpe d’Huez, qui demeure une montée mythique. En plus, ma fille de 5 ans m’a suivi en moto lors de mon ascension et m’encourageait! C’était vraiment un moment particulier pour moi.
LFR: ton meilleur moment sur la Haute Route? Le mien fut l’étape de la Bonnette: j’avais de bonnes jambes, il faisait très beau, et que la montagne était belle! J’ai beaucoup souffert, mais j’étais heureux d’être là. Et quelle descente sur Risoul!
PP: J’ai trouvé magique le départ de Genève, et tous ces visages des participants sur lesquels on pouvait sentir certes l’inquiétude liée à ce grand défi personnel, mais aussi l’envie et la détermination d’aller jusqu’à Nice.
LFR: allez, tu peux maintenant nous dire ta moins bonne journée, la course est finie! De mon côté, ce fut les étapes 1 vers Morzine (crampes dans le final) et 5 vers Risoul, pas de jambes (j’ai peut-être payé mes efforts de la veille, sur le chrono de l’Alpe d’Huez). J’ai essayé de vous suivre dans le Lautaret, j’ai explosé après 4 bornes et je crois bien que ca m’a coûté cher dans l’Izoard!
PP: Contrairement à l’an passé où j’avais eu une défaillance dans les trois derniers kilomètres de la montée des Arcs, cette année je dois avouer que je me suis senti très bien tous les jours!
LFR: j’ai cru lire que tu avais une revanche à prendre dans le col du Glandon franchi lors de la 3e étape, après une mésaventure dans l’Étape du Tour. Peux-tu nous en parler?
PP: Je n’avais jamais monté le Glandon avant l’Étape du Tour cet été et cela a été un vrai chemin de croix ce jour là. Pourtant, une semaine avant, je tenais facilement 340 watts à l’entrainement et ce jour-là, probablement dû à la fatigue du voyage, j’avais du mal à pousser 280 watts! J’ai vu le groupe de tête partir devant moi, sans rien pouvoir faire et ce fut un moment très frustrant. Alors sur la Haute Route quelques semaines plus tard, je voulais vraiment prendre ma revanche sur ce Glandon en me faisant plaisir. Ce fut le cas et cela m’a réconcilié avec ce col difficile!
LFR: avais-tu fait une préparation physique spécifique pour être prêt sur la Haute Route cette année?
PP: Après avoir observé une coupure d’un mois et demi, j’ai repris l’entrainement début juin et j’ai effectué 6000 kms avant le départ de la Haute Route. Je me suis entrainé comme Antoine Vayer me l’a appris, c’est à dire en faisant des séries assez longue à une intensité de I2-I3 (tempo), suivant mon niveau de fatigue. Par ailleurs, j’essaie toujours de garder l’envie car à mon avis personnel, il est impératif d’arriver mentalement frais sur une épreuve comme la Haute Route, avec une grosse envie de monter des cols et d’aller au bout de soi-même.
LFR: après les avoir cotoyé de près, tu crois que les Kenyan Riders pourront réaliser leur rêve de Grande Boucle d’ici quelques années?
PP: Rien d’impossible, seulement il faut du temps et de la patience!
LFR: je termine dans ta roue à Nice, mais endeuillé par le décès tragique d’un concurrent. Comme moi, tu as trouvé que les concurrents de cette Haute Route prenaient par moment des risques insensés dans les descentes?
PP: Difficile de commenter là-dessus, j’ai été, comme tous les autres participants de la Haute Route, très choqué par le décès de ce coureur.
LFR: reviendras-tu l’an prochain sur les Haute Route Alpes et Pyrénées?
PP: Oui je l’espère, avec de nouveaux objectifs humains ou sportifs, ca reste à voir!
LFR: Merci Peter, je te souhaite bonne route dans les prochains mois et au plaisir de te retrouver, l’an prochain, au départ d’une cyclo en France ou ailleurs. Et qui sait, peut-être pourrais-je aller te rejoindre en Thailande pour un camp d’entrainement en début de saison? Nous les Québécois avons bien besoin de tels camps, on se les gêle ici durant l’hiver et le home-trainer a ses limites!
PP: Merci Laurent, j’espère bien te rencontrer un jour et bienvenue en Thailande, un pays où les montagnes sont raides et très longues… davantage encore que sur cette Haute Route!