La Flamme Rouge publiait récemment un texte concernant l'Entraînement par Intervalles Courts (EPIC) à la suite de la conférence prononcée au centre sportif de Gatineau par Guy Thibault, expert reconnu internationalement des techniques d'entraînement. Selon ce dernier, l'EPIC serait actuellement une des méthodes d'entraînement les plus efficaces pour maximiser rapidement la puissance aérobie maximale (PAM).
Vous avez été nombreux à me faire part de vos commentaires à la fin de la conférence d'abord, par courriel ensuite puis sur ce site via les commentaires.
Je vous propose aujourd'hui une entrevue avec Guy Thibault afin de revenir sur quelques unes de vos questions.
La Flamme Rouge: merci Guy d'accepter cette entrevue sur La Flamme Rouge!
Guy Thibaut: Ça me fait plaisir!
LFR: pourrais-tu nous clarifier quel est le protocole exact de l'entraînement EPIC "ultime" que tu préconises pour des gains de PAM maximaux? Tu parlais, lors de ta conférence, d'une séance de 45 minutes, à raison d'un premier bloc de fractions d’effort de 40 sec entrecoupées de 20 sec de récupération, puis de 30-30 et enfin de 20-40. Merci de nous préciser au passage la récupération à suivre (passive, active, ou en prise) ainsi que la durée entre les blocs.
GT: C’est en fait la centième et dernière (d’où son nom : « Ultime ») séance d’entraînement que je propose dans mon dernier livre, Entraînement cardio, sports d’endurance et performance, Vélo Québec Éditions. Elle est amusante et donne d’excellents résultats. Mais attention! D’autres formules semblables pourraient donner d’aussi bons résultats. Loin de moi l’intention d’en faire une religion! Les cyclistes ont besoin de repères pour concevoir une variété de séances, et non pas de recettes toutes faites. Quoi qu’il en soit, le schéma de cette séance ultime est 3 blocs de 3 séries de 3 répétitions, pour un total de 27 fractions d’effort. Chacune des 9 séries du premier bloc : 3 fois 40 secondes à intensité élevée avec une récupération active « incomplète » (parce que trop courte et parce que l’intensité demeure quand même assez élevée) de 20 secondes entre les répétitions, et avec 2 minutes de récupération active à intensité très faible entre les séries. Même formule dans le deuxième bloc, sauf que les 9 fractions d’effort sont de 30 secondes et la récupération « incomplète » de 30 secondes. Même chose dans le troisième bloc, sauf que les 9 fractions d’effort sont de 20 secondes et la récupération « incomplète » de 40 secondes.
LFR: tu parlais, lors de ta conférence, de cyclistes ayant obtenu des gains de PAM de l'ordre de 60 watts en quelques semaines en s'entrainant par EPIC. Certaines personnes présentes dans la salle ont trouvé que cela fait beaucoup! Est-ce réaliste de croire à des gains aussi importants chez des cyclistes déjà très entrainés et ayant déjà maximisé une bonne partie de leur potentiel?
GT: J’ai moi-même été surpris par cette importante amélioration chez mon sujet qui s’est tapé une trentaine de séances d’EPI tirées du modèle graphique de l’EPI que j’ai mis au point pour que les entraîneurs et les athlètes puissent se concocter une infinité de séances « payantes ». J’ai même pensé que mon CompuTrainer (modèle de laboratoire, donc réputé valide et fidèle) avait fait défaut. Mais plusieurs entraîneurs ont obtenu des améliorations similaires et même supérieures pendant l’entraînement hivernal d’athlètes bien motivés. On peut faire l’hypothèse que les améliorations de mon « rat de la laboratoire aux pattes rasées » auraient été moins prononcées s’il ne s’était pas rendu à épuisement à chaque séance. Voilà une belle hypothèse à vérifier!
LFR: L'EPIC n'a-t-elle pas une forte composante anaérobique? Comment peut-elle alors pleinement développer la PAM?
GT: Précisons que j’appelle EPIC des séances où les fractions d’effort sont d’au plus 20 secondes. La séance « Ultime » décrite plus haut n’est pas une véritable séance d’EPIC, bien qu’elle donne toujours de bons résultats. Quoi qu’il en soit, il est vrai que dans cette séance et dans des séances d’EPIC, on pédale à des intensités supérieures à celle correspondant à la consommation maximale d’oxygène, le fameux VO2max. Suivant la vision traditionnelle mais, je crois, désuète, de programmation de l’entraînement, des telles intensités ne seraient utiles que pour le développement de la capacité anaérobie et n’auraient pas d’utilité pour ceux et celles qui cherchent plutôt à développer leur aptitude aérobie (VO2max, puissance aérobie maximale, endurance). Mais au cours de la dernière décennie, on a vu apparaître d’intéressants rapports de recherches menées au Japon, en Scandinavie et en Ontario, indiquant que des séances comprenant des pointes d’effort de 30, 20 et même 10 sec seulement s’accompagnaient d’importantes améliorations de l’aptitude aérobie. En réalité, une partie du travail effectué pendant les brèves fractions d’effort d’une séance d’EPIC profite de la présence d’oxygène dans la cellule musculaire (liée à la myoglobine). Pendant la récupération, le système cardiovasculaire doit « rembourser » la dette d’oxygène (recharger la myoglobine), d’où une amélioration « aérobie », même si le travail musculaire est plutôt dans le registre anaérobie. Par ailleurs, d’autres recherches indiquent que seules des séances de musculation et de sprints intenses s’accompagnent d’une amélioration de l’efficacité du coup de pédale, amélioration qu’on n’obtient pas avec l’entraînement à intensité modérée.
LFR: qu'en est-il de l'effet de l'EPIC sur le système nerveux central, aussi appelé en jargon cycliste "l'influx nerveux"? Il peut s'épuiser très vite!
GT: Je ne sais pas encore très bien quelle est la signification biologique de ce qu’on appelle dans le milieu cycliste « l’influx nerveux »! Mais peu importe. La bonne façon d’exécuter une séance d’EPIC (comme toute autre séance d’EPI), c’est d’en garder sous la pédale au début et d’intensifier d’un poil l’intensité de pédalage d’une répétition à la suivante, tout en cherchant à obtenir finalement un degré général de fatigue ni trop petit, ni trop élevé. Inutile, donc, de craindre un affaissement nerveux si l’on sait bien doser ses efforts. Rappelons qu’une séance d’EPI ne doit pas nécessairement être épuisante pour donner de bons résultats. Toutes choses étant par ailleurs égales, l’EPI donne toujours de meilleurs résultats que son contraire, l’entraînement continu; toujours!
LFR: tu proposes de débuter l'entraînement par des intervalles courts puis, plus tard en saison, d'allonger les durées d'effort. Quelle est la durée maximale à ne pas dépasser lors des efforts question de travailler efficacement?
GT: Il n’y a pas de règles précises en cette matière. Mais on peut raisonnablement penser qu’en débutant la préparation physique avec des séances misant sur un très grand nombre de fractions d’effort (plus de 50) de moins de 20 secondes, on se prépare très bien pour des séances futures où l’on pourra allonger les répétitions à 30, 45, 60, puis 90 secondes. A l’approche des compétitions qui comptent, on peut passer à de l’entraînement fractionné comprenant de plus longues fractions d’effort, par exemple : 4 à 8 fois 3 à 5 km à intensité proche de celle d’un contre-la-montre de 40 km. Cela ferait une belle progression de la « quantité » (gros volume à intensité cible élevée en début de saison, d’où une amélioration anticipée de plus grande importance des déterminants physiologiques de la performance) vers la qualité (on apprend à tenir longtemps l’intensité cible).
LFR: si on travaille bien en EPIC, est-il possible d'enchainer deux jours d'entraînement par EPIC de suite?
GT: On peut même en faire deux dans la même journée (c’est ce que font de plus en plus de nageurs). Mais en général, mieux vaut se refaire une santé et bien se donner dans les séances d’EPI. On en fait donc deux ou trois par semaine.
LFR: certains cyclistes de la région de l'Outaouais sont des adeptes de la formule d'intervalles de type "Gimenez", préconisant 9 blocs de 5 minutes se découpant ainsi: 4 minutes en "prise" suivi d'une minute à intensité élevée. Frédéric Grappe parle de la formule dans son bouquin "Cyclisme et optimisation de la performance". À choisir, EPIC ou Gimenez?
GT: Pourquoi pas EPIC en début de saison, et Gimenez quand on a enfin développé ses qualités physiologiques? De toute manière, ce dont les cyclistes ont besoin, ce n’est pas d’une formule miraculeuse (ça n’existe pas!), mais de repères pour se construire une grande variété de séances d’EPI dans les bonnes fourchettes de durées de fractions d’effort, de nombre de répétitions et d’intensités. C’est justement ce pourquoi j’ai développé un modèle graphique simple de l’EPI. Mieux vaut apprendre à s’en servir et diversifier ses séances, que de répéter sans cesse une même formule, qu’elle soit celle de Gimenez, votre EPIC préférée ou la séance dite « ultime ».
LFR: quelles sont selon toi les qualités fondamentales à développer dans le sport cycliste sur route?
GT: Comme disait mon ami Paul Jurbala, ex-entraîneur national : « le cyclisme sur route est un sport anaérobie sur fond aérobie »! À développer, dans l’ordre : la consommation maximale d’oxygène et l’efficacité du coup de pédale, la capacité anaérobie, et, finalement, l’endurance. Sans compter le « sens de la course ».
LFR: on affirme souvent que de nombreux athlètes amateurs et maîtres sont surentrainés. Qu'en penses-tu?
GT: J’ai connu de nombreux cyclistes qui s’entraînaient trop, d’où une amélioration qui tarde, mais peu de cyclistes véritablement surentraînés. Le surentraînement est un problème grave, mais quand même assez rare. Chose certaine, quand on ne sait pas comment concevoir et adapter judicieusement un plan d’entraînement, on a forcément tendance à rouler plus et plus vite, ce qui peut évidemment mener à un excès de fatigue, une contreperformance, voire au surentraînement. À cela s’ajoute que les maîtres doivent souvent composer avec des sources externes de stress (boulot, famille), qui se conjuguent avec celui de l’entraînement et des compétitions cyclistes. L’idéal, c’est de satisfaire le maso en soi en se tapant de bonnes séances d’EPI ou prolongées, puis de s’allouer tout le temps nécessaire pour en récupérer avec la prochaine séance intensive. De plus en plus d’athlètes de haut niveau s’entraînent ainsi et je crois que c’est bien, à condition d’avoir la santé et la base d’entraînement nécessaires.
LFR: tu as parlé du fameux entraînement de type Tabata lors de ta conférence. À choisir, pour le cycliste sur route, Tabata ou EPIC?
GT: Bien qu’elle jouisse d’une grande popularité, surtout en musculation, la formule Tabata (8 efforts de 20 secondes, récupération de seulement 10 sec) ne me semble intéressante pour les cyclistes que pour le « fine tuning » à l’approche des compétitions importantes : elle stimule l’aptitude à relancer quand ça chauffe! Mais je ne la recommanderais pas en début de saison (les véritables séances d’EPIC me semblent bien plus appropriées), car la récupération est trop courte et, surtout, le volume total de pédalage à intensité cible beaucoup trop petit (2 min 40 s!).
LFR: Dominique Rollin, David Veilleux, et d'autres québécois au sein de l'équipe SpiderTech se frottent dorénavant aux meilleurs cyclistes sur route de la planète. Un Québécois vainqueur d'une grande classique ou d'une étape du Tour prochainement, tu y crois?
GT: Je crois que le nombre trop petit de cyclistes canadiens actifs réduit les chances que l’on développe plusieurs grands champions. Mais il me semble que les cyclistes du Québec profitent souvent ici d’un encadrement supérieur à celui généralement offert en Europe, où l’on est en quelque sorte victime de la tradition. C’est ce que j’ai constaté au cours d’un stage de perfectionnement que j’animais à Paris au bénéfice des entraîneurs de la Fédération française de cyclisme. On compte de plus en plus d’entraîneurs nord-américains qui ne s’empêtrent pas dans les traditions et qui font des choses très bien. Par exemple, Francis Paradis, premier entraîneur de David Veilleux, a fait des trucs intéressants. Et Pierre Hutsebaut a pris le relai en ajoutant des éléments qui m’apparaissent fort pertinents. Sa grande culture cycliste ne l’empêche pas d’innover, d’exploiter brillamment des connaissances nouvelles.
LFR: plusieurs, dont Bernard Hinault, ont critiqué, ces dernières années, le manque de résultats des coureurs français sur la scène internationale. À ton avis, dans quelle mesure les coureurs français du peloton international connaissent-ils et appliquent-ils l'entraînement EPIC?
GT: C’est vraiment à géométrie variable. Quand je conseillais l’entraîneur de Crédit Agricole, il n’arrivait à convaincre que ses coureurs non-français de faire ce que je proposais, par exemple de la musculation intensive ou de l’EPIC. Heureusement, mon copain Fred Grappe (Française des Jeux) fait de l’excellent boulot et la nouvelle génération de physiologistes de l’exercice européens est partante pour innover, par exemple le Basque Inigo Mujika, le Hollandais Vincent Villerius et le français Xavier Nési, pour ne nommer que ceux-là.
LFR: Au nom des lecteurs de La Flamme Rouge et du mien, merci Guy d'avoir pris le temps de répondre à nos questions et au plaisir de garder le contact avec toi!
GT: merci à toi Laurent de m’avoir donné l’occasion de faire ce que j’aime : vulgariser des connaissances scientifiques au bénéfice des cyclistes.