Les réactions aux déclarations de Floyd Landis
C’était prévu, les réactions aux déclarations de Floyd Landis ont été musclées aujourd’hui et ne surprendront personne. La seule qui m’apparaît articulée, constructive et digne d’intérêt est celle de l’AMA qui, loin de s’attaquer à la personne de Floyd Landis, déclare plutôt être très inquiète des révélations de Landis et vouloir y donner suite rapidement : "WADA is aware of the serious allegations made by Mr. Landis. We are very interested in learning more about this matter and we will liaise with the United States Anti-Doping Agency (USADA) and any other authorities with appropriate jurisdiction to get to the heart of the issues raised. WADA looks forward to these further investigations and enquiries by those responsible. Generally speaking, WADA encourages everyone with knowledge of banned practices in sport, including athletes who were caught cheating and who denied the evidence for years, to be forthcoming in disclosing the information they may have to the proper authorities. This will further contribute to clean sport and strengthen existing anti-doping programs for the good of clean athletes worldwide." Le ton est posé, responsable et le message est conforme à ce qu’on attend d’une grande institution comme l’AMA.
Michael Barry
Le Canadien Michael Barry est un des cyclistes ayant été nommé par Floyd Landis comme faisant partie des coureurs avec qui il s’est dopé. Pas très surprenant considérant que Barry a été équipier de Landis au sein de l’équipe d’Armstrong. En vérité, pourquoi les coureurs canadiens seraient-ils différents des autres côté dopage ? Quoi qu’il en soit, son équipe actuelle, Sky, affirme, comme toutes les nouvelles équipes, que sa tolérance envers le dopage est zéro et qu’elle convoquera, très bientôt, M. Barry pour entendre ses explications. Si Michael Barry n’a probablement pas grand chose à craindre (il n’aura qu’à nier), sa réputation vient tout de même d’en prendre un coup, du moins à mes yeux. Sympathique, fils d’une famille cycliste à Toronto, c’est dommage que son éthique sportive n’aie pas résisté au milieu.
Comprendre Floyd Landis
Plusieurs personnes se posent une question, une seule, suite aux événements du jour: pourquoi le 20 mai 2010 ? Pourquoi diable Landis a-t-il attendu tout ce temps pour déballer la vérité ?
Personnellement, le timing ne me surprend en rien. Voici pourquoi. La suite est évidemment basée sur quelques hypothèses, je ne suis pas dans la tête de Floyd Landis après tout. Mais le suivi de l’actualité cycliste nous permet toutefois de penser que Floyd Landis a respecté une certaine logique chronologique. Cela va comme suit:
23 juillet 2006
Floyd Landis est au top. LE top. Il vient de rouler en jaune sur les Champs Élysées. Vainqueur du Tour de France. L’épreuve cycliste la plus prestigieuse du monde. Celle qui couronne LE meilleur cycliste du monde. Détail important, Landis est le premier vainqueur du Tour de l’ère post-Armstrong, les… 7 dernières éditions ayant été remportées par le Texan, non sans l’aide de Floyd pour plusieurs d’ailleurs. Bref, Landis est enfin calife à la place du calife. Le cyclisme est à ses pieds. C’est LE champion cycliste parmi tous les champions. Et le cash va enfin rentrer à la pelle. N’est-il pas américain ?
27 juillet 2006
Le monde de Floyd Landis s’écroule: positif à la testostérone. Comment ? Moi positif à la testo ? Ben voyons ! J’utilise le truc depuis 2002 ! Comment est-ce possible ? Jamais je n’ai été pris avant, pourquoi moi et maintenant ?
Jours suivants
Sous le choc, déstabilisé, au centre d’un tourbillon médiatique que son nouveau statut de vainqueur du Tour lui confère, Landis s’emmêle dans ses explications. Évoque différentes raisons pour laquelle le contrôle est positif. Une erreur, c’est évidemment une erreur. Après quelques gaffes malheureuses, ses avocats lui conseillent évidemment de tout nier en bloc, ce qu’il fait. Pas question de tout balancer pour le vainqueur du Tour, il faut penser aux contrats juteux, à l’équipe, à la saison prochaine, à la gloire et l’adulation du public aussi…
Mois suivants
Landis pense qu’il est intouchable. Ses avocats vont forcément le tirer de ce mauvais pas. Évoquer le vice de procédure, LA méthode pour se sortir de ce merdier. Surtout, il faut continuer à tout nier en bloc, c’est le plus important pendant que les avocats travaillent. Mais le dossier s’enlise. Curieusement, ses appuis s’estompent. Se croyant protégé comme Lance Armstrong l’était (n’est ce pas la prérogative du meilleur coureur du monde, vainqueur du Tour), il commence à déchanter. L’UCI ne le protège en rien. On l’isole. L’Affaire Puerto n’arrange rien car manque de chance, le scandale a éclaté grâce à des enquêtes de journalistes, pas des contrôles positifs. Or, l’image du vélo est mis à mal dans le public. Il faut retrouver une crédibilité au cyclisme, par tous les moyens. L’impératif pour ce faire ? Prouver que les contrôles sont désormais efficaces. Et le seul gros poisson piqué par un contrôle, c’est Landis. Il commence à comprendre que l’UCI se servira de son cas pour gagner la bataille de l’opinion publique et prouver aux yeux du monde que les contrôles sont efficaces et que le travail d’enquête des journalistes n’est plus nécessaire pour débusquer les tricheurs. Et puis, sa défense coûte cher, horriblement cher. Landis découvre qu’il risque fort bien de tout perdre dans l’histoire, lui qui, quelques mois avant, figurait parmi les hommes les plus riches du peloton.
20 septembre 2007
Coup dur, on lui retire son titre de vainqueur du Tour 2006. Ce n’est plus drôle. Mais Landis continue de jouer le jeu du milieu: surtout, ne rien avouer. Tout nier en bloc. Tant qu’il n’a pas épuisé tous ses moyens de laver sa réputation, le seul chemin possible est de nier. Et il reste encore l’appel au TAS…
30 juin 2008
Ruiné, Landis apprend que le TAS rejette son appel. Game over. D’immenses énergies et des sommes d’argent collossales qui n’ont rien donné. Le fond du baril. Landis est épuisé, rongé par des mois d’inquiétudes et de soucis. Son mariage y est passé. Mais Landis a un projet: revenir au cyclisme. Remonter sur le vélo. Dans ce contexte, il faut respecter la règle du milieu et continuer de se taire. Landis adopte alors une nouvelle approche: le mutisme. Ne plus parler de cette histoire, comme pour nier l’existence même du scandale. Refuser toute entrevue. Et pouvoir revenir tranquille. Comme David Millar. Comme Alexandre Vinokourov. Comme Ivan Basso.
30 janvier 2009
Landis peut recourir, ayant purgé ses deux ans de suspension. Après des années d’enfer, petit mieux: l’équipe Ouch-Maxxis l’engage, son nom attire donc encore. Plus encore, il dispute le Tour de Californie 2009. Enfin pouvoir faire la seule chose qu’il sait faire, c’est à dire du vélo. Avec l’espoir, probablement, de se refaire un peu financièrement.
15 février 2009
Landis constate que le peloton n’a pas ralenti et que le retour s’annonce plus ardu que prévu. Le dilemne se pose: comment gagner sans dopage, et comment se doper alors qu’il se sait très surveillé par les instances ?
Fin 2009
Auteur d’une petite saison sans grands résultats mais encore ambitieux, Landis lâche, à la surprise générale, Ouch-Maxxis malgré un contrat pour 2010. Il veut rejoindre une équipe plus importante et disputer des courses en Europe affirme-t-il. À son étonnement, aucune équipe ne se manifeste. C’est la surprise. Pourquoi donc ? Il a purgé sa peine comme les autres. Il comprend que le milieu l’a rejeté définitivement. Il ne comprend pas pourquoi puisque d’autres dopés, Vinokourov en tête, reviennent en toute quiétude dans le peloton européen. En désespoir de cause mais voulant courir en 2010, il signe pour la petite équipe continentale de 3e division, Bahati Foundation.
Début 2010
Les démons ne le lâchent pas. Il apprend que son équipe, pourtant sélectionnable, n’est pas retenue pour le Tour de Californie, son unique chance de se faire valoir à ce niveau de compétition. Il comprend qu’il est définitivement cramé du sport cycliste. Pire, il est frustré : n’a-t-il pas respecté la règle, celle de ne jamais avouer s’être dopé ? Pourquoi alors le milieu le rejette-t-il ? Que lui reproche-t-on ?
C’est ainsi, je pense, qu’épuisé d’années de tourmente, Landis a décidé, quelque part ce printemps, de tout déballer, n’ayant plus rien à perdre puisque même s’il avait jusqu’ici respecté les règles de l’omerta du milieu, ce dernier l’a quand même rejeté. Il a choisi de tout déballer durant le Tour de Californie, plus importante épreuve cycliste aux États-Unis, ceci afin d’avoir une caisse de résonnance la plus importante possible. Sincère dans sa volonté de se libérer d’années de tourmente, de tourner la page définitivement (je ne serais pas surpris qu’on entende plus jamais parler de Floyd Landis à partir de maintenant), il a tout déballé sachant très bien ce qu’il l’attendait. Cramé pour cramé, autant essayer, une dernière fois, d’être utile à quelque chose, c’est à dire la lutte contre le dopage. Et de couler, oui peut-être par ressentiment, quelques ex-coéquipiers qui n’ont pas joué le jeu en lui donnant une chance de se ré-intégrer au peloton, alors que lui l’a joué le jeu, respectant jusqu’à ce jour la règle de l’omerta, ce qui a d’ailleurs largement servi le milieu dans l’intervalle…
Je persiste à croire qu’il fallait un sacré courage pour agir de la sorte. Je n’ai aucune hésitation à affirmer aujourd’hui que Floyd Landis a remonté dans mon estime au cours des dernières heures. Il faut encourager de toutes nos forces ce genre d’aveux susceptibles de nous faire bien comprendre les coulisses les plus ténébreuses du sport cycliste. C’est bien pour cela que les réactions des McQuaid, Armstrong, Bruyneel et autres sont si scandaleuses. La mesure de leur indignation prouve bien qu’ils ne sont pas tranquilles avec tout ca…