Invité par une université américaine à prononcer une conférence dans le cadre d’un colloque scientifique à San Antonio Texas, je n’ai pas résisté à faire le colloque buissonnier l’espace d’un jour pour une bonne raison : un rendez-vous avec Lance Armstrong… ou plutôt avec Austin, sa ville, sa boutique, sa fondation. Récit d’une journée pas comme les autres…
8h45 mardi matin, the sun is out, 15 degrés au thermomètre, me voici lancé, le coeur léger, à 70 miles per hour (limite oblige), direction Austin Texas, la ville natale de « Lance », comme tout le monde dit par ici. Ma rutillante Dodge Avenger louée ne mettra que 1h15 pour couvrir les 80 miles qui séparent Austin de San Antonio. À défaut de l’accélérateur, musique dans le tapis bien sûr.
Première impression du Texas : c’est plat. Tout plat. Pas la moindre bosse à l’horizon. On se demande comment une telle région a pu accoucher de cyclistes (Bobby Julich vient de Corpus Christi) capables de descendre aussi bien les cols les plus tortueux ! Et c’est aride, le Texas : la végétation est sèche, le temps est sec, il n’y a aucun vent. Je ne peux m’empêcher de penser que nous cyclistes du Québec l’avons moins facile que ceux du Texas, surtout si on tient aussi compte de la qualité des routes…
Arrivée à Austin, ville de 700 000 habitants environ. Il fait 22 degrés. Quelques gratte-ciels composent le centre-ville, je mets illico le cap sur Mellow Johnny’s, la boutique de Lance. Première impression vu de l’extérieur : vraiment, c’est ici ? Jugez vous-même…
L’édifice est modeste. Le coin de rue anodin. L’enseigne discrète. C’est pourtant le magasin d’un coureur qui a remporté 7 fois le Tour. La réalité est implacable : vu d’ici, à Austin, les Cowboys de Dallas sont d’un intérêt beaucoup plus grand qu’un gus qui pédale sur un vélo. The what ? The Tour de France ? Who cares anyway ? Évidemment, le magasin serait à New York ou L.A., ce serait bien différent.
Une fois à l’intérieur, l’impression est tout autre : plus qu’un magasin, c’est dans un véritable musée que je viens de pénétrer. Yellow jerseys au mur, posters de Lance partout, ses vélos suspendus au plafond (y compris les premiers de sa carrière, alors qu’il était encore chez Motorola), atmosphère très décontractée, matos de pointe, je dois dire que je suis conquis. All right. L’impression persistante d’être dans un authentique temple du cyclisme. L’espace de quelques heures, c’est à une communion qu’on m’invite. Je ne louperai pas l’occas…
Mellow Johnny’s, c’est ambiance cool je dois dire : les vendeurs me laisseront tout le loisir d’errer dans le magasin pendant une heure, sans jamais me solliciter. J’y boierai également un excellent expresso au petit café attenant « Juan Pelota » ou se côtoient, dans le bar à drinks, les boissons énergétiques et les soft drinks. Car Mellow Johnny’s, c’est aussi un commuting centre. For a buck (1$) a day, les gens qui viennent travailler au centre-ville tout près peuvent s’y changer, prendre une douche et y laisser leur vélo qui, au besoin, fera l’objet d’une révision technique. Visiblement, Mellow Johnny’s, on y vit presque davantage qu’on y achète. Cool.
Oh ! wait, here’s Kevin Levingston. Propriétaire de Pedal Hard, un training centre situé au sous-sol de Mellow Johnny’s, Kevin vient d’arriver. Ce sera mon seul regret de la journée, celui de l’impossibilité de prendre une photo avec lui car il passera l’heure au téléphone. Son assistant m’avouera que Lance vient régulièrement faire son test de lactates avec Kevin, question de mesurer sa progression. Voici d’ailleurs son home-trainer SRM. Les passionnés remarqueront en effet la selle caractéristique de Lance… Je ne comprendrai également pas pourquoi 4 ou 5 cyclistes viendront s’échiner sur des CompuTrainer dans un sous-sol alors qu’il fait grand soleil et 22 degrés dehors… Silly.
Pause dans le commuting centre to satisfy a call of nature. Je m’approche de l’urinoir. En face, un poster d’un Ride of the Rose. Merde, c’est signé. Je porte attention. Moment de grâce : pour la première fois de ma vie, j’urine tranquillement en lisant la signature de Miguel Indurain, Eddy Merckx et Lance Armstrong sur un poster. Very cool. Ca vaut bien deux photos.
Retour dans le store. L’impression favorable est illico renforcée par le constat qu’outre des Trek en abondance, des vélos Eddy Merckx et surtout Pinarello jonchent le plancher. All right.
Au détour d’une rangée, je tombe même sur ce display mariant Pinarello géométrie et couleurs femmes aux vêtements Louis Garneau femmes. Very nice. Et oui ! Chez Mellow Johnny’s, vous pouvez aussi acheter du Louis Garneau, preuve irréfutable de la réputation de la marque québécoise qui y côtoie d’autres marques comme Giordana ou Capo. Le Québec m’est soudainement apparu beaucoup plus proche !
Visite du premier plancher over. Je descends au sous-sol. Outre le Pedal Hard Centre, on y trouve une superbe salle de réunion et un petit local visiblement réservé pour les tests de position, le BikeFit Studio. Kevin Livingston s’y entretient toujours au téléphone, avec Lance depuis Hawaii qui sais-je ?
Ambiance "cosi" au sous-sol. Superbe wall of wheels. Fauteuils cuirs pleine fleur. Maillot vert de Thor Hushovd. Je prends une pause pour me détendre cinq minutes.
Que vois-je autour de moi ? Des DeRosa Idol, des DeRosa King3 et, dans la salle de réunion à l’écart, deux superbes Pinarello Dogma 60.1. Mellow Johnny’s got it right about this bike: sur le carton de presentation du vélo, c’est écrit “enough said”. Ca résume tout, non ? More than 11,000 bucks. Aie aie aie.
Retour au premier plancher. Comique, j’y trouverai cette pub d’un produit énergétique mettant en scène… Alberto Contador ! Chez Lance…
Plus loin, j’y découvre un espace fermé à clef : service course, Radio Shack Pro Cycling Team. On ne me la fait pas à moi : le local est beaucoup trop petit et vide pour être le service course de la nouvelle équipe américaine…
Je quitte Mellow Johnny’s, allégé de quelques bucks, pour mon prochain rendez-vous : le siège social de la fondation LiveStrong. Quelques minutes de route au travers du centre-ville d’Austin, sans y voir de cyclistes. J’y suis déjà. Édifice moderne, une ancienne usine reconvertie en un édifice satisfaisant aux normes environnementales LEED, très exigeantes.
Dès l’entrée, encore des yellow jerseys. Un univers épuré, lumineux, motivant : partout, les leitmotivs de la fondation : attitude is everything. Unity is strenght. Hope rides again. Puissant marketing. Si ca sauve des vies, why not ?
Mon hôte me fera gentiment faire un rapide tour du jardin. Me montrera cette sculpture étonnante et importante pour Lance puisqu’elle retrace les événements marquants de sa vie, notamment la naissance de chacun de ses quatre enfants. On me dit que le champion américain y vient en moyenne une à deux fois par mois, entre les courses.
Je repars vers le centre-ville. Avant de partir, détour vers le Capitole d’Austin, apparemment plus grand que celui de Washington, preuve que les texans ne font rien à moitié.
Épilogue
Fort Alamo (San Antonio), mars 1836. L’histoire d’une poignée de colons américains qui ont préféré la liberté à l’autorité d’un dictateur mexicain et sa puissante armée. Retranchés dans le fort Alamo, les ricains se sont battus pendant plusieurs jours, refusant de se rendre, fidèles à leur mot d’ordre : « victory or death ». S’ils périrent tous (sauf un), leur esprit survécu jusqu’à ce jour et forge de toute évidence la mentalité texane, tout ou rien. Comment faire autrement ? Fort Alamo est omniprésent à San Antonio, du souvenir pour touriste du plus mauvais goût au menu de restaurants.
Après quelques jours à San Antonio et à Austin, je repars avec le sentiment d’avoir mieux compris qui est Lance Armstrong. Comme ses compatriotes texans, il est frondeur, entier, arrogant même. Les Texans sont visiblement des gens déterminés pour lesquels il n’existe pas de demi-mesure. Une de leur devise, visible partout au Texas, n’est-elle pas « Don’t mess with Texas » ? Même le manifeste de la fondation LiveStrong reprend l’esprit des colons de Fort Alamo : We’re about the hard stuff. And if it comes to it, being in control of how your life ends. It’s your life. You will have it your way. Take no prisoners.
D’esprit analytique, j’ai suffisamment de maturité et d’expérience, à 39 ans, pour savoir que la nuance et l’équilibre sont la marque des grands sages de ce monde. Accusant un très gros retard dans ma préparation pour la Marmotte 2010 en raison de 3 mois d’inactivité totale, je repars cependant du Texas avec l’impression que ce séjour m’a fait du bien, que l’esprit texan m’a pénétré et qu’il me sera utile sur le plan sportif dans les prochains mois. Et s’ils avaient raison ? Et si l’homme ne se sublimait que dans les situations désespérées ? Victory or death. Rendez-vous le 3 juillet prochain à Bourg d’Oisans. I’ll be there. Ready. Whatever it takes.